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– Moi! répondit une voix sonore.

Le fugitif vit le plus jeune des deux étrangers qui s’avançait… Alors une terreur subite, inexplicable, exorbita son regard affolé, ses mains frappèrent le vide comme pour repousser une affreuse vision et ses lèvres blanches bégayèrent:

– Toi! Toi! Charles! Mon frère, es-tu donc sorti du tombeau pour m’accabler?

– Vous vous trompez, répondit l’inconnu. Je ne suis pas celui qu’évoque votre remords, je ne suis pas Charles IX.

– Et qui donc es-tu alors?…

– Je suis son fils. Je suis Charles, duc d’Angoulême.

– Ah! gronda le fugitif, c’est toi l’enfant de Marie Touchet et de Charles! C’est toi le bâtard d’Angoulême! Eh! bien, parle! Que me veux-tu? Que viens-tu demander à Henri III, roi de France?

– Je vais vous le dire. J’ai quitté Orléans pour vous parler en face! Il y a huit jours, Sire, j’ai atteint ma majorité. Ce jour-là, ma mère m’a conduit dans sa chambre et a découvert un portrait que j’avais toujours vu voilé d’un crêpe: j’ai reconnu Charles IX.

– Mon frère! balbutia Henri III.

– Oui, votre frère!… Alors ma mère s’est agenouillée. Elle m’a raconté comment était mort l’homme qu’elle avait adoré. J’ai su l’effroyable agonie de mon père! J’ai su que, désespéré, lamentable, poussé à la folie, chacun des soupirs de sa dernière heure fut une terrible accusation contre trois bourreaux, trois démons qu’elle me désigna… Et je suis parti pour dire au duc de Guise: Traître et rebelle, qu’as-tu fait de ton roi?…

– Guise! rugit Henri, tu le trouveras dans mon palais, sur mon trône, peut-être!

– Je suis parti pour crier à Catherine de Médicis: Mère infâme! mère sans entrailles, qu’as-tu fait de ton fils?

– La reine-mère! sanglota Henri, tu la trouveras dans les prisons de Guise!

– Je suis parti pour trouver Henri de Valois, roi de France, et lui crier ce que durent crier jadis les enfants d’Abel à leur oncle… Caïn! qu’as-tu fait de ton frère?…

À cette dernière apostrophe, le roi, d’une violente saccade, fit reculer son cheval; puis il s’affaissa sur lui-même, secoué d’un tremblement mortel, et sourdement répéta:

– Caïn!…

Une clameur alors éclata parmi les cinq gentilshommes qui vociférèrent:

– Le roi est toujours le roi! Vive le roi! À mort l’insulteur!

En même temps, ils dégainèrent… À cet instant, le compagnon du duc d’Angoulême bondit au milieu du groupe furieux, tira une longue rapière qui, au soleil levant, jeta un rapide éclair, et très calme:

– Messieurs, dit-il, ceci est une affaire intime. Laissez l’oncle et le neveu s’expliquer à la douce. Ou bien je croirai que vous êtes de la famille. Et dans ce cas, je serai forcé de croire que j’en suis aussi, moi!

Les cinq s’avancèrent, grinçants de fureur. Et les épées allaient s’entrechoquer, lorsque le roi fit un signe impérieux. Les gentilshommes s’arrêtèrent en grondant:

– On se retrouvera!… si toutefois monsieur ne cache pas son nom!

– Messieurs, dit froidement l’étranger sans relever cette insolence, mon épée et mon nom sont à votre disposition: je m’appelle le chevalier de Pardaillan!

Les cinq tressaillirent. Et ce nom jeté avec une glaciale simplicité leur apparut sans doute dans l’éclat fulgurant d’héroïques souvenirs, car ils répétèrent dans un murmure d’admiration et d’effroi:

– Le chevalier de Pardaillan!

Le chevalier ne parut pas avoir remarqué le prodigieux effet produit par son nom. Il se retira à l’écart, comme si cette scène violente eût cessé de l’intéresser. Et sifflotant entre les dents une fanfare de chasse du temps de Charles IX, il se mit à examiner une troupe de cavalerie qui, sortant de Paris, s’approchait de Chaillot – sans trop de hâte, d’ailleurs.

Le duc d’Angoulême n’avait pas bougé. Sombre comme une figure du remords, Henri III se tourna vers lui.

– Jeune homme, dit-il, il manquait à mon malheur de vous rencontrer sur le chemin de l’exil. Priez le ciel qu’au jour où je remonterai sur mon trône, je puisse oublier que vous avez insulté à ma misère!

– Ce jour-là, vous me verrez me dresser sur les marches de ce trône! Je vous arracherai votre manteau royal! Et quand je vous aurai mis à nu, je crierai encore: Voici Caïn qui tua son frère!

Henri III se mordit les poings et jeta dans l’espace un sourd gémissement.

– Jusque-là, continu Charles, je ne puis vous haïr; vous n’avez droit qu’à ma pitié! Paris vous chasse; vous n’êtes plus qu’un fantôme de roi que hante le fantôme d’une victime. Allez donc, sire! car voici qu’on se met à votre poursuite… Regardez!… Jusqu’à ce que vous soyez redevenu roi de France, le fils de Charles IX vous fait grâce!

Henri III, blême de rage, voulut balbutier quelques mots qui se perdirent dans un sanglot. Mais ses fidèles, apercevant le gros de cavaliers qui sortait de Paris, saisirent son cheval et l’entraînèrent. Bientôt leur troupe disparut comme un nuage de poussière que balaye l’orage.

Charles d’Angoulême demeura songeur, les yeux fixés sur Paris. Que se passait-il dans cette âme! Pourquoi ce jeune homme ne suivait-il pas d’un dernier regard de haine le roi à qui il venait de jeter de tels défis?

Oui! Pourquoi ce regard qui eût dû lancer des éclairs était-il attiré vers la grande ville comme par un aimant de tendresse?… Un nom avec une infinie douceur vint voltiger sur ses lèvres. Et ce nom c’était:

– Violetta!…

Peu à peu, par degrés, les derniers reflets des sentiments violents qui venaient de l’agiter s’éteignirent sur son visage qui s’éclaira alors d’un sourire très doux, comme l’apaisement du crépuscule remplace à l’horizon l’incendie du soleil couchant.

D’une voix d’extase, il murmura:

– Paris!… Oui, je viens y chercher la vengeance… mais je viens y chercher aussi l’amour! Insensé! Ose donc t’avouer à toi-même que, si Violetta était encore à Orléans, tu ne serais pas ici!… Paris! C’est là que je vais te retrouver, chère inconnue qui emporta mon âme, Violetta… douce violette d’amour…

À ce moment, le chevalier de Pardaillan s’approcha de lui et le toucha à l’épaule. D’un geste large, il enveloppa Paris. Et regardant le fils de Charles IX dans les yeux, jusqu’au fond de l’âme, il prononça:

– Un trône à prendre, monseigneur!…

Charles d’Angoulême eut le tressaillement du rêveur qu’on arrache soudain au plus doux songe; et il balbutia:

– Un trône!… Quoi! Vous songeriez donc à vous emparer…

– Pas pour moi, monseigneur, dit le chevalier de sa voix paisible et mordante. J’ai autre chose à faire… deux mots à dire à un certain Maurevert que je cherche depuis une éternité… Et puis, il me faut des sièges solides à moi… Ce trône est trop lézardé… qui sait s’il ne s’effondrerait pas si l’idée me venait de m’y asseoir!

Peut-être le duc d’Angoulême, comme les gentilshommes d’Henri III, connaissait-il le formidable passé de cet homme: ses énormités lui semblèrent toutes naturelles venant de lui!

– Mais vous, reprenait le chevalier, vous pouvez, vous devez…