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– Henri, murmura-t-elle au plus profond d’elle-même, Henri de Guise, tu m’appartiens! Tu seras roi parce que je veux être reine! Tiare et couronne, ni mon front ni ma volonté ne faibliront sous ce double poids. Maîtresse de la France et de l’Italie, avec ces deux bras puissants, j’enlacerai l’univers… Henri, périsse donc tout ce qui t’empêche de m’aimer… moi, moi seule! Périsse Catherine de Clèves, ta femme! Périsse cette Violetta que tu adores!

Et d’une voix brève, soudain devenue métallique et dure:

– Cardinal, voici l’heure d’agir… Voyez cet homme sur qui reposent d’immenses espérances. Croyez-vous qu’il pense à ce trône qu’il touche enfin grâce à nous? Aux engagements qu’il a pris pour le jour suprême? Non, cardinaclass="underline" depuis trois mois, depuis qu’à Orléans il a vu une pauvre fille de bohème dont il porte partout l’image, Guise soupire, Guise hésite: il nous échappe et il est perdu pour nous… si je ne lui arrache du cœur la racine même de cette passion! Voyez-le. À l’heure même où sur toutes les routes nos courriers volent pour annoncer la chute de la dynastie de Valois, à l’heure où le monde attend le geste que va faire cet homme… regardez-le! Frémissant, il s’arrête devant une voiture de bohémiens, prêt à s’agenouiller aux pieds d’une petite mendiante nomade, d’une Violetta!

Le cardinal posa son regard sur l’adorable enfant, et il frissonna longuement.

– Pauvre innocente! murmura-t-il.

– La pitié est un crime souvent, une faiblesse toujours, dit la princesse Fausta, glaciale. Je tiens dans mes mains de femme le glaive flamboyant des archanges: je frappe!… Descendez, cardinal, et faites en sorte que le bohémien Belgodère m’amène cette petite en mon palais de la Cité…

Sans doute, le cardinal savait quelle effroyable sentence cachait cet ordre, car il baissa la tête, étendit les mains et balbutia:

– Frappez-donc, puisque la mort de cette infortunée créature est nécessaire! Mais épargnez-moi l’affreuse besogne de vous la livrer! Hélas! vous savez combien mon cœur s’émeut pour les jeunes filles de cet âge…

– Cardinal, reprit-elle avec une terrible froideur, vous préviendrez maître Claude.

– Le bourreau! haleta le cardinal. Madame, madame! vous êtes la toute-puissance et la souveraineté! Soyez généreuse. Ne me condamnez pas au hideux supplice de revoir l’homme qui m’arracha l’âme en me volant et en laissant mourir ma…

– Silence, cardinal Farnèse!…

Il y eut cette fois un tel grondement de tonnerre dans l’accent, une telle fulguration d’éclair dans les yeux de la princesse, que l’homme chancela, haletant, ébloui, dompté. Alors, calmée soudainement, paisible:

– Ce sera pour ce soir dix heures. Allez, cardinal. Agissez. Et en même temps, faites tenir cette lettre au duc de Guise.

Le gentilhomme saisit le pli cacheté, puis, plus morne encore, il sortit et descendit en râlant au fond de son cœur:

– Ah! la malédiction pèse sur moi, toujours!… Marche, maudit! Un crime de plus! Qu’importe dans la funèbre série!…

Sur la Grève, à travers la foule qui formait cercle, le visage redevenu rigide, il marcha vers Belgodère. Sur l’avant de la voiture attendait Violetta, tremblante. Près du cheval, Saïzuma, immobile, énigmatique. À ce moment, le duc de Guise se penchait vers le sacripant et murmurait:

– Chien de bohème, tout à l’heure, un gentilhomme t’apportera mes ordres. Exécute-les, si tu ne veux avoir les os rompus.

– Je suis prêt, monseigneur. Ordonnez!

– Bien! en ce cas, à toi les ducats… à moi la fille!… Et maintenant fais-la chanter afin que ma présence ait ici un prétexte.

– À l’instant même. Violetta! Violetta!

La jeune fille tressaillit, arrachée à un rêve d’extase. Elle n’avait pas vu Guise, qui, le visage pourpre, la contemplait… Au loin, du fond de la place, un jeune seigneur s’avançait, les yeux fixés sur elle… Leur double regard chargé d’effluves magnétiques se cherchait, se croisait. Et ce gentilhomme, tout radieux de sa jeunesse et de son amour, c’était le fils du roi Charles IX, le duc d’Angoulême!

– Violetta! vociféra Belgodère.

Un cri terrible l’interrompit… Un cri d’agonie ou d’épouvante qui jaillissait de la roulotte.

– Ma mère! ma mère se meurt! balbutia Violetta qui se rejeta dans l’intérieur.

L’agonisante, celle qu’elle appelait sa mère, les mains crispées sur le matelas pour se soulever, les yeux exorbités, tenait son visage collé à la petite fenêtre, comme fascinée par une effroyable apparition…

– Ma mère! ma mère! sanglota Violetta.

– Messeigneurs! criait dehors Belgodère, un instant de patience, et je vous ramène la chanteuse. En attendant, la célèbre Saïzuma va vous dire la bonne aventure!

Saïzuma demeurait immobile. Ses yeux flamboyants du fond du masque rouge se rivaient sur le cardinal Farnèse… sur l’homme envoyé pour préparer la mort de Violetta… La bohémienne avait aperçu ce seigneur habillé de noir qui pénétrait dans le cercle à la seconde où, dans la voiture, la clameur de la mourante avait soudain retenti… Le cardinal avait vu cette femme masquée de rouge… Et tous les deux se regardaient, pareils à deux spectres qui s’interrogent sur des choses lointaines, effrayantes et mystérieuses.

– Violetta! Violetta! arrive à l’instant! hurlait Belgodère en montant les marches.

– Mère! mère! balbutiait Violetta à genoux près de l’agonisante. Cette femme, alors, tourna vers elle un visage empreint d’une immense pitié:

– Ta mère! râla-t-elle. Violetta, je vais mourir. Il faut que tu saches… je ne suis pas ta mère!…

– Oh! sanglota la jeune fille éperdue, c’est un affreux vertige qui vous saisit. Revenez à vous, mère!

– Je ne suis pas ta mère!… Et ton père, Violetta, tu crois que ce fut maître Claude, dis?… Tu le crois!… Eh bien, maître Claude n’est pas ton père!…

– C’est l’agonie! murmura Violetta épouvantée. C’est le délire de la mort!…

– Ta mère, reprit la mourante dans un râle effrayant… je ne sais où elle est… Mais ton père, Violetta!… ton père!… veux-tu le connaître?… Veux-tu le voir?… Eh bien… tiens… regarde!…

Dans une effrayante convulsion, la mourante essaya de désigner l’homme sur qui elle dardait son regard.

– Saints et anges! balbutia Violetta éperdue, prenez pitié de ma mère!

À cet instant, une sauvage imprécation éclata sur cette scène poignante, et Belgodère apparut, ramassé sur lui-même, serrant ses poings énormes. Il se jeta sur la jeune fille, l’empoigna par les deux épaules, et d’un geste furieux la remit debout.

– Dehors! gronda-t-il. Au travail, la chanteuse!

– Regarde! cria l’agonisante. Regarde! Et souviens-toi!…

– Enfer! vociféra le bohémien. Voici la Simonne qui s’en mêle maintenant! Attends un peu, toi!

D’une violente poussée, il rejeta Violetta dans le fond de la roulotte et se rua sur celle qu’il appelait la Simonne – sur la mourante! Il la renversa sur la couchette et lui plaqua une de ses formidables mains sur la bouche, l’autre sur la gorge…

La Simonne se débattit deux secondes… Soudain, elle eut un bref soupir, une petite secousse, et elle se tint immobile, tandis que son bras décharné, tordu comme un sarment, tendu vers la fenêtre, semblait montrer encore l’homme dans la foule… l’envoyé de Fausta! le prince Farnèse! l’amant de Léonore de Montaigues!… Le père de Violetta!