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– Est-ce donc à dire, fit-il, en essayant de démêler les intentions du frère portier, que le prieur vous adresse à moi?…

– Pas tout à fait… mais presque… Daignez permettre, mon gentilhomme, je meurs de soif.

En même temps, Timothée remplit un gobelet jusqu’au bord et le vida d’un seul trait.

– À votre santé, à celle de la Ligue, murmura-t-il en clignant de l’œil, et à la mort du tyran!…

Maurevert tressaillit… Il se pencha vers le moine et d’une voix basse, rapide:

– Est-ce pour cela que vous venez à Blois?…

Timothée, encore, cligna de l’œil, réponse qu’il jugeait apte à concilier son désir de bien dîner et sa complète ignorance de la mission dont il était chargé… il portait une lettre, voilà tout. Mais cette réponse, Maurevert l’interpréta dans le sens de l’affirmative. Et dès lors, il résolut de savoir à quoi s’en tenir.

Sa haine contre le duc de Guise, plus encore que le désir de passer le plus tôt possible chez le trésorier royal, lui faisait souhaiter ardemment la mort du duc. Or, depuis huit jours que sa trahison était consommée, il avait beau étudier les visages, soupeser les moindres incidents, recueillir tous les bruits, il n’avait pas encore pu saisir le moindre indice que le roi fût décidé à se débarrasser de Guise.

On conçoit l’intérêt énorme que prit tout à coup à ses yeux frère Timothée, envoyé de Bourgoing, c’est-à-dire d’un ligueur enragé, frère Timothée venu du couvent des jacobins, c’est-à-dire de l’un des centres les plus actifs de la conspiration.

– Buvez, puisque vous avez soif, dit-il d’une voix très adoucie.

Et il versa lui-même une nouvelle rasade au moine, qui alors s’installa et avoua:

– Je ne meurs pas seulement de soif, mais aussi de faim. Songez donc, messire, que j’ai fait en moins de quatre jours le voyage de Paris à Blois…

«Cette fois, songea-t-il, tu m’invites à dîner!»

Et un troisième clignement des yeux indiqua toute l’importance de la mission qu’il venait remplir à Blois.

– C’est donc bien pressé? fit Maurevert qui pâlit à cette idée que Guise, peut-être, allait agir le premier… Voyons, vous savez que je suis bon catholique, bon ligueur, intime de monseigneur de Guise et de votre prieur. Au nom des grands intérêts que vous connaissez, si vous m’êtes envoyé, je vous somme de parler. Et si ce n’est pas moi que vous cherchez, je vous en prie…

– Mon cher monsieur de Maurevert, dit le moine, c’est bien vous que je cherchais car voilà quatre heures que je cours après vous. Le révérend prieur m’a expressément recommandé de ne rien faire sans vos avis. Je parlerai donc. Mais je vous avoue qu’avant dîner, mes idées ne sont jamais bien nettes…

– Venez! dit Maurevert qui tout à coup se leva et gagna rapidement la porte, de façon qu’on vît bien qu’il ne sortait pas en compagnie du moine.

Frère Timothée demeura un instant abasourdi, jeta un dernier regard navré du côté de la cuisine, acheva par acquit de conscience le pot de vin qui était devant lui, et sortit à son tour sans avoir été autrement remarqué. Dans la rue, il détacha sa mule et, mélancoliquement, s’apprêta à suivre Maurevert qui l’attendait.

– Je vous veux traiter, dit Maurevert, selon vos mérites, c’est-à-dire beaucoup mieux qu’en cette auberge. Suivez-moi donc à quelques pas, car il importe qu’on ne nous voie pas ensemble, vous comprenez?

– Si je comprends! s’écria Timothée qui prit au même instant une figure rayonnante.

«Marche, ajouta-t-il en lui-même. Je te suis. Et je comprends admirablement que je vais dîner comme un prince.»

La nuit était tout à fait venue. Les rues étroites de Blois étaient plongées dans les ténèbres que le brouillard faisait plus intenses. Pourtant, des passants assez nombreux se montraient, pareils à des fantômes, bourgeois qui regagnaient leurs logis, ou seigneurs qui se rendaient à la réception royale. C’est à la lueur des falots de ces passants que Timothée pouvait suivre Maurevert, qui montait une ruelle escarpée, pavée de cailloux pointus destinés à aider la descente des chevaux.

«Si cet imbécile est porteur de quelque ordre grave, je le saurai, réfléchissait Maurevert. Et je préviendrai la vieille Médicis. Alors, de deux choses l’une: ou c’est le roi qui agit le premier, ou c’est Guise qui tue Valois. Dans le premier cas, j’aurai rendu un service à la monarchie, et il faudra bien qu’on m’en tienne compte. Dans le deuxième cas, j’en serai quitte pour attendre une nouvelle occasion de prouver à Guise qu’on ne me traite pas impunément comme un valet. Et comme il ne sait rien, comme il ne peut rien savoir, je demeure son intime!»

Maurevert s’arrêta devant une auberge de médiocre apparence. C’est là qu’il avait son logis. Timothée fit la grimace et soupira:

– L’auberge du Grand Saint-Matthieu me paraissait infiniment plus respectable.

– Ne vous fiez pas aux apparences, ricana Maurevert d’un ton qui un instant donna le frisson à Timothée. Je vous ai promis de vous traiter selon vos mérites, et je vous jure que vous le serez. Entrez donc, faites mettre votre mule à l’écurie, puis traversez la salle, montez l’escalier qui se trouve au fond, et faites-vous donner la chambre n° 3.

Timothée commençait à se repentir d’avoir suivi Maurevert. Il éprouvait un étrange malaise. En somme il eût bien voulu s’en aller, quitte à mal dîner. Mais la rue était déserte. Maurevert le surveillait. Et puis, enfin, il n’y avait aucune probabilité que Maurevert, ami de Guise et de Bourgoing, lui voulût du mal.

Il se conforma donc aux instructions qu’il venait de recevoir. Ayant appelé, il donna l’ordre qu’on conduisît sa mule à l’écurie; puis il entra, et sans s’inquiéter des questions de l’hôtesse, demanda une chambre, la chambre n° 3 qu’on lui avait recommandée.

L’hôtesse le conduisit donc à la chambre en question, et se retira en emportant la bénédiction du moine qui demeura seul. Une demi-heure se passa.

– Par les tripes de saint Pancrace! gronda le moine, qui à certains moments redevenait reître et sacrait comme un hérétique.

Ayant proféré ce juron peu élégant, mais énergique, frère Timothée ajouta:

– Est-ce que par hasard ce M. de Maurevert, qui n’est ni marquis, ni baron, serait un rien du tout qui se moquerait de moi? Oui?… C’est ce qu’on verra, car du moment que l’honneur des jacobins est en jeu…

À ce moment, la porte s’ouvrit, et Maurevert parut, en mettant un doigt sur sa bouche, ce qui dans toutes les pantomimes a toujours signifié: «Tais-toi!…» Le moine se contenta donc de suivre Maurevert, qui par un deuxième geste l’invitait à venir avec lui.

Le gentilhomme traversa le couloir sur lequel s’ouvraient diverses chambres de l’hôtellerie, et pénétra dans le logement situé juste en face de celui qu’occupait le moine. Dès lors, le visage du frère Timothée rayonna plus que jamais et, de rubicond qu’il était, devint incandescent.

En effet, au beau milieu de cette pièce, où Maurevert venait d’entrer, une table toute dressée offrait aux regards les éléments d’un dîner près duquel ceux du Grand Saint-Matthieu n’eussent été que de simples hors-d’œuvre. Dans le coin de la cheminée, une douzaine de flacons en rang de bataille attendaient.

– Ah! ah! fit simplement frère Timothée en claquant de la langue – mais ce claquement de langue était à lui seul un poème.