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Il se remit donc en selle et se lança au galop jusqu’à ce qu’il se trouvât en face de Beaugency. Comme on le lui avait dit, il y avait un bac, à cet endroit, servant pour le passage des piétons, des chevaux et des voitures. Le passeur se trouvait justement sur la rive gauche de la Loire, c’est-à-dire sur la rive où était Pardaillan lui-même. Il n’eut donc qu’à embarquer. Et le passeur commença à haler sur la corde.

Pardaillan l’interrogea. Un cavalier avait-il, la veille au soir, franchi la Loire? Si oui, le passeur avait-il remarqué dans quelle direction se dirigeait ce cavalier? Le passeur répondit qu’aucun cavalier n’avait franchi le fleuve: mais que, se trouvant la veille au soir sur la rive gauche, il avait été interpellé par un gentilhomme fait comme celui dont on lui parlait; et que ce gentilhomme lui avait demandé si la route se prolongeait bien jusqu’à Orléans…

– Bon, pensa Pardaillan, je rejoindrai par la rive droite Orléans, tandis qu’il aura rejoint par la rive gauche.

Mais comme il songeait ainsi et qu’on se trouvait à ce moment au beau milieu de la Loire, le passeur imprima au bac un mouvement si maladroit que le cheval de Pardaillan fut précipité à l’eau.

Pardaillan était resté à cheval comme le faisaient les cavaliers pressés sur ces larges bateaux plats. En pensant que son cheval s’enfonçait, il se débarrassa vivement des étriers et s’accrocha à la crinière du cheval qui, libre de ses mouvements, se mit à nager vigoureusement vers la rive droite.

Il n’y avait personne en vue, le bac abordant un peu au-dessous de Beaugency. Pourtant, au moment où Pardaillan, ayant d’abord plongé, revint à la surface et s’accrocha à la crinière, deux coups d’arquebuse partirent de la rive droite, et le cheval, frappé à la tête, disparut sous les flots.

Pardaillan plongea. Il éprouvait une sorte de colère furieuse car, cette fois, il lui semblait manifeste que les arquebusiers avaient été apostés par Maurevert, et que le passeur était complice. Mais, malgré cette fureur, il conserva tout son sang-froid. L’essentiel, pour le moment, était d’échapper aux assassins. Ensuite, on verrait…

Pardaillan resta sous l’eau aussi longtemps qu’il put et, entraîné par un courant très rapide, ne reparut à la surface que cinquante pieds plus bas.

Un rapide regard jeté sur la rive la lui montra déserte comme précédemment. Dans ce même coup d’œil, il vit que le passeur s’était arrêté au milieu du fleuve et examinait cette scène sans manifester aucune intention de lui porter secours. La complicité du passeur était évidente.

– Toi, murmura Pardaillan entre ses dents serrées, toi, tu me payeras ta trahison!

Il nageait avec effort, gêné qu’il était par ses habits, mais suivant une diagonale allongée, il se rapprochait tout de même de la rive, lorsque deux nouveaux coups de feu éclatèrent… L’eau, frappée par les balles, rejaillit autour de Pardaillan. Alors, une rage s’empara de lui.

Il comprit qu’il fallait tout risquer et tenter d’aborder au plus tôt: sa vie ne tenait qu’à un coup de chance. Si l’un des invisibles tueurs était adroit, Pardaillan était un homme mort. Il se mit à nager furieusement, coupant, cette fois, le plus droit qu’il pouvait.

Une fois encore, après un temps pendant lequel les assassins avaient rechargé leurs armes, deux détonations éclatèrent, sans qu’il fût touché… Il touchait presque au rivage et en trois brasses, il prit pied. Alors, il s’élança, se secoua furieusement et regarda au loin dans la direction des coups de feu. Mais il ne vit personne!… Il se mit à courir, battit les environs et ne trouva rien. Alors, il se dirigea vers Beaugency, en grommelant:

– Ah ça! est-ce que je vais souvent être obligé de me baigner ainsi?…

Dans la première auberge qu’il rencontra, il entra tout mouillé et, s’étant fait donner une chambre, se déshabilla et fit sécher ses vêtements devant un grand feu… Lorsque Pardaillan se fut rhabillé, il sortit de la petite ville, non sans avoir vidé, pour combattre l’effet du bain, une bouteille de ce vin de Beaugency qui jouissait alors d’une excellente réputation.

XXXVII LA FORÊT DE MARCHENOIR

Le chevalier gagna rapidement le point d’atterrissage du bac sur la rive droite, c’est-à-dire qu’il descendit le fleuve d’un quart de lieue environ. De loin, il put constater que le passeur se trouvait à ce moment sur la rive gauche, attendant des clients. Pardaillan attendit patiemment.

Au bout d’une heure, deux paysans, conduisant une petite charrette attelée d’un âne, se présentèrent pour passer.

Charrette, âne et paysans embarquèrent et le bateau commença sa traversée le long de la corde. Lorsqu’il fut sur le point de toucher terre, Pardaillan accourut, et, tranquillement, prit place dans le bac au moment où les deux paysans s’en éloignaient. Le passeur le reconnut, et, devenant très pâle, se mit à trembler.

– Allons, fit Pardaillan du ton le plus paisible, dépose-moi sur l’autre bord et tâche d’être plus adroit que tout à l’heure, sans quoi je ne te paierai pas; au contraire, je te ferai payer mon cheval.

– Ah! monsieur, s’écria le passeur entièrement rassuré, ce ne fut pas de ma faute, allez, et je puis dire que j’ai eu bien peur pour vous, surtout quand j’ai entendu l’arquebusade. Mais j’espère, puisque vous voilà sain et sauf, que vous avez rejoint ces deux misérables?…

– Tiens! Comment sais-tu qu’ils étaient deux?…

– Je les ai aperçus, balbutia le passeur interloqué.

– Ah! c’est juste. Eh bien, moi, je n’ai pu les voir, et les deux scélérats m’ont échappé…

Entièrement rassuré, le passeur se mit à manœuvrer, et Pardaillan s’assit sur un banc, très indifférent en apparence. Seulement lorsque le bac fut à peu près au milieu du fleuve, c’est-à-dire à l’endroit même où cheval et cavalier avaient été précipités dans l’eau, Pardaillan se leva, marcha résolument sur l’homme, le poussa violemment par-dessus bord. Au même instant, il le saisit par le collet, et le maintint plongé dans l’eau jusqu’au cou.

– Grâce! cria le passeur livide de terreur. Laissez-moi remonter, je ne sais pas nager!…

– Tu ne sais pas nager? Eh bien, cela tombe à merveille…

– Grâce…

– Scélérat, avoue que tu as voulu me noyer…

– Non! gémit le passeur, fou d’épouvante.

Pardaillan lui plongea la tête dans l’eau, puis le retira à demi suffoqué.

– Avoue que tu connais ceux qui m’ont arquebusé! Avoue que tu as été payé pour me tuer!…

– Non! Non!… je…

Un nouveau plongeon interrompit l’infortuné. Cependant, étant parvenu à redresser la tête hors de l’eau, il râla:

– Grâce! Je dirai tout!…

– Parle donc!

– Quoi! Dans l’eau?

– Mieux vaut parler dans l’eau que d’y être arquebusé comme moi, je pense. En tout cas, si tu ne te décides, je te remets la tête sous l’eau.

– Et si je parle?

– Tu auras vie sauve, foi de Pardaillan.

– Pardaillan! C’est bien ce nom que M. de Maurevert m’a dit!…