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– Tu le connais donc?

– Depuis huit ans que je fais partie de la sainte Ligue, dit le passeur en essayant d’esquisser un signe de croix. Eh bien! M. de Maurevert vint hier, et me parla d’un terrible parpaillot qui avait tenté d’assassiner notre grand Henri…

– Le duc de Guise?…

– Oui, monsieur! Il paraît que vous avez manqué votre coup. Là-dessus, M. de Maurevert et d’autres se sont mis en campagne pour vous rattraper et ont donné le mot d’ordre à tous les fidèles ligueurs. Vous voyez bien qu’en tout cas, ce n’était pas un péché que de vous noyer…

– Au contraire! dit Pardaillan qui aida alors le passeur à remonter dans son bac.

– Maurevert a menti, dit-il, je ne suis pas huguenot.

– Ah! catholique, alors?

– Non plus, mais, dis-moi, Maurevert s’est-il dirigé sur Orléans comme tu le prétendais? Ne mens pas! Tu sais que la Sainte Église le défend!…

– Eh bien! fit le passeur après une courte hésitation, la vérité, c’est que je l’ai passé et qu’il est entré dans Beaugency où je sais qu’il a passé la nuit au Lion d’Or.

Pardaillan frémit.

– Ramène-moi au bord! fit-il d’une voix rauque.

– Vers Beaugency?…

– Oui!…

Quelques minutes plus tard, sans plus s’inquiéter du passeur, Pardaillan courait vers la ville et se mettait en quête de l’auberge du Lion d’Or. Il apprit qu’elle était située à l’extrémité de la ville, dans la direction de Châteaudun. Pardaillan traversa Beaugency au pas de course. Nul, d’ailleurs ne fit attention à lui: la ville, depuis quelques instants, s’était emplie de rumeurs; des bourgeois, la poitrine barrée par la croix de Lorraine, sortaient en armes. Des groupes, sur le pas des portes, s’entretenaient avec animation… On entendait des sanglots, des imprécations, des gémissements…

Que se passait-il dans Beaugency?… Tout simplement, la nouvelle venait de s’y répandre que le duc de Guise avait été tué la veille. Pardaillan le comprit à quelques mots qu’il entendit en passant.

Il atteignit enfin l’auberge du Lion d’Or qui était la première maison de la ville en arrivant à Châteaudun. Là, comme dans toute la ville, l’émotion était à son comble. Pardaillan se dirigea droit sur l’hôtesse, vigoureuse commère qui pérorait au milieu d’un groupe de bourgeois qu’elle excitait à s’armer et à marcher sur Blois.

– Madame, dit-il, j’arrive de Blois, où le duc de Guise a été tué…

Aussitôt, Pardaillan, entouré et supplié de donner des détails, raconta en quelques mots le meurtre de Guise. Il ajouta qu’il était chargé de courir après l’un des meurtriers, et fit une description si exacte de Maurevert que l’hôtesse s’écria:

– Mais cet homme était là, il n’y a qu’un quart d’heure!… Ah! le misérable! Je comprends pourquoi il est remonté si précipitamment à cheval!…

– Comment cela?…

– Oui: deux hommes, deux de ses complices, sans doute, sont venus lui parler mystérieusement et aussitôt il a fait seller son cheval.

Pardaillan comprit que ces deux complices n’étaient autres que ceux qui l’avaient arquebusé. Il comprit que Maurevert, certain d’être débarrassé de son ennemi, s’était arrêté à Beaugency pour réfléchir; la nouvelle que Pardaillan le serrait de près dans cette fantastique poursuite, malgré les tours et détours, malgré les traquenards prodigués sur la route, cette nouvelle avait dû le frapper d’un coup de foudre, et il avait fui!…

– Madame, s’écria le chevalier, il faut que je rattrape cet homme. Quelle direction a-t-il prise?…

– La route de Châteaudun…

– Avez-vous un bon cheval contre les cinquante écus de six livres que voici?…

– Et même sans écus! Et un fameux, qui file comme le vent!…

La commère, qui toute bonne guisarde qu’elle était n’en perdait pas pour cela la tête, rafla les écus et donna un ordre à un garçon. Quelques instants plus tard, Pardaillan s’élançait sur un cheval que d’un coup d’œil il reconnut bon coureur.

– Ramenez l’homme, qu’on le pende! cria l’hôtesse au moment où le chevalier partait à fond de train sur la route de Châteaudun.

Bientôt Pardaillan vit se dessiner à l’horizon les premiers plans d’une masse d’arbres dépouillés de leur feuillage et dont les branches nues se tordaient dans le ciel triste, comme des bras éplorés. C’était la forêt de Marchenoir qu’il lui fallait traverser d’un bout à l’autre.

La poursuite devenait enragée. Le cheval, sous la pression de fer des genoux de son cavalier, bondissait en avant et secouait de l’écume autour de lui. Pâle, penché sur l’encolure, les rênes prêtes, semblant ne faire qu’un corps avec son cheval, Pardaillan dévorait la route de son regard flamboyant.

Il y avait vingt minutes qu’il était entré sous bois. La forêt de hêtres et d’ormes s’animait, autour de lui, d’une vie fantastique. Les bouleaux fuyaient derrière lui, pareils à des fantômes blancs. En avant! Le cheval bondissait, fendait l’air et dévorait l’espace. Son souffle rauque et bref commençait à révéler l’effort suprême…

Soudain, Pardaillan frissonna des pieds à la tête et devint pâle comme un mort: à une faible distance devant lui, derrière un tournant du bois, il entendit un hennissement… Deux minutes plus tard, il aperçut le cavalier qui courait devant lui, et un sourire terrible, féroce, effrayant, tordit ses lèvres… Ce cavalier, c’était Maurevert!…

Maurevert galopait sans tourner la tête. Il se savait poursuivi. Il savait que celui qui était là, sur son dos, prêt à l’atteindre, c’était Pardaillan!… Il savait qu’il allait mourir!… Il galopait, ou plutôt se laissait entraîner par son cheval qu’il ne frappait même plus.

L’énergie s’abolissait en lui… L’abominable menace suspendue sur sa tête depuis seize ans allait donc éclater!… Cette poursuite allait donc se terminer!… Maurevert songeait à ces choses vaguement, confusément…

Son visage d’une pâleur de cadavre avait parfois d’effrayantes contradictions… et, parfois aussi, il lui semblait que son cœur s’arrêtait de battre, puis, brusquement, ce cœur se mettait à frapper des coups terribles dans sa poitrine, et bondissait, affolé, éperdu…

Une sorte de gémissement ininterrompu s’échappait des lèvres de Maurevert. Il subissait à ce moment la plus effroyable pression de terreur que puisse supporter un cerveau humain.

Depuis seize ans, Maurevert avait peur… peur de Pardaillan! Non pas peur de la mort, mais peur de la mort que lui donnerait Pardaillan; non pas peur de se battre, mais peur de se battre avec Pardaillan. Et cette peur spéciale, affreuse comme une agonie qui durerait des années, atteignait alors son maximum d’intensité…

Tout à coup, son cheval qu’il ne soutenait plus butta et tomba sans essayer de se relever, fourbu qu’il était. Maurevert ne se fit pas de mal en tombant. Il put se relever.

Il n’avait plus aucune idée, aucune pensée. Ses lèvres blanches tremblaient convulsivement. Il vit Pardaillan, à trente pas de lui, qui mettait pied à terre.

Cette vue ranima en lui une étincelle d’énergie; il se baissa vivement, tira un pistolet des fontes de sa selle, mit un genou à terre et visa Pardaillan. Le chevalier marcha sur lui, tout droit, d’un bon pas, et quand il fut à dix pas, il dit: