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– Nous cherchons, dit Montsery, un certain frocard coupable de haute trahison envers Sa Majesté le roi… un frocard du nom de Jacques Clément.

– Et que lui voulez-vous? reprit le moine avec un livide sourire.

– Nous voulons, dit Chalabre, lui faire faire connaissance avec les trois dagues que voici: une pour le Père, une pour le Fils, une pour le Saint-Esprit. On a des égards, dès qu’il s’agit d’un saint homme.

Ils avaient tous les trois à ce moment des figures de tigres. Le moine se leva et, d’une voix très calme, prononça:

– Jacques Clément, c’est moi!…

Les trois saluèrent encore, et Sainte-Maline se tourna vers le chevalier:

– Monsieur de Pardaillan, dit-il, êtes-vous fidèle et dévoué à Sa Majesté?

– Ma foi, monsieur, dit Pardaillan avec sincérité, cela dépend des jours et des moments… Ainsi, aujourd’hui, j’étais dévoué au roi, puisque j’ai pris la précaution de l’accompagner jusqu’à la cathédrale, faute de quoi il lui fût sans doute arrivé malheur… Est-ce vrai, messire Clément?

– C’est vrai, fit gravement le moine.

Les trois spadassins se regardèrent avec stupéfaction.

– La nuit dernière, reprit Pardaillan, j’étais encore tout dévoué à Sa Majesté, puisque j’ai obtenu la faveur spéciale que le roi ne fût point tué aujourd’hui. Est-ce vrai, messire?

– C’est vrai, répéta le moine.

– Et maintenant? demandèrent Chalabre, Montsery et Sainte-Maline.

– Maintenant?…

– Oui, gronda Chalabre, êtes-vous dévoué pour nous laisser accomplir notre besogne et sauver le roi en tuant ce moine? Déclarez-vous, monsieur: êtes-vous pour le roi? Laissez-nous faire! Êtes-vous contre? Nous allons vous charger!…

– Ce soir, messieurs, dit tranquillement le chevalier, pas plus qu’hier, pas plus que demain, je ne prends conseil de personne. Il m’a paru bon, hier, d’éviter au roi le coup qui le menaçait. Il me paraît bon cette nuit d’éviter à ce même roi un assassinat de plus sur la conscience. Messieurs, moi vivant, aucun de vous ne touchera un cheveu du Révérend Jacobin qui est mon hôte…

Au même instant, Pardaillan et Charles d’Angoulême furent debout, l’épée à la main.

Les trois spadassins tombèrent en garde, et les épées allaient se croiser lorsque Sainte-Maline s’écria:

– Une minute, messieurs!… Chevalier, je dois vous prévenir que nous comptons faire du bruit. La ville est sillonnée par les patrouilles de M. de Crillon. Sans aucun doute, vainqueur ou non, vous serez pris. Et ce sera une réelle mortification pour nous… Réfléchissez, il en est temps encore…

– Ce que vous dites là est plein de sens, fit Pardaillan en abaissant la pointe de son épée.

– Ah!… vous êtes raisonnable, enfin!

– Oui! j’ai besoin de quitter Chartres au point du jour, et je me soucie peu d’être arrêté. Aussi, messieurs, ne me battrai-je pas contre vous, à moins que vous ne me forciez à vous tuer, ce dont j’aurais le plus vif regret…

– Vous nous laissez donc faire? s’écria Chalabre.

– Non pas!… Seulement, j’avais marqué dans ma tête deux existences que je comptais vous demander en payement de votre dette. Je renonce à l’une d’elles, et je vous demande la vie de messire Clément… C’est le deuxième tiers de votre dette, messieurs.

En parlant ainsi, Pardaillan rengaina paisiblement sa rapière et reprit place à table, tant il paraissait certain que les spadassins tiendraient parole.

Il ne se trompait pas. Ces trois assassins, ces trois bravi, qui sur un signe de leur maître tuaient sans scrupule, nous avons dit qu’ils étaient gens d’honneur. Devant la soudaine requête de Pardaillan, sans la moindre hésitation, sans une seconde de réflexion, les trois assassins remirent poignards et épées au fourreau… Ils étaient blancs de fureur, ils tremblaient de rage, mais ils tenaient parole…

– Moine, dit Chalabre en frémissant, remercie le ciel de ce que tu sois sous la sauvegarde du seul homme au monde qui pouvait, d’un tel mot, faire entrer nos dagues en leurs gaines…

– Monsieur de Pardaillan, fit Montsery, cela fait deux existences payées!

– Reste à une, dit Pardaillan.

Nous serons heureux, dit Sainte-Maline, que cette une et dernière que vous avez à nous réclamer soit la vôtre!

Pardaillan hocha la tête. Un sourire se joua sur ses lèvres, et il répondit ces étranges paroles qui correspondaient sans doute à quelque pensée:

– Quand je n’aurai plus que ma propre vie à demander, c’est que tout ira bien…

Et comme les trois faisaient un mouvement pour se retirer:

– Une minute, messieurs! faites-nous donc la grâce de boire avec nous…

– Pourvu que ce soit à la santé du roi! fit Sainte-Maline.

– Ma foi! dit Pardaillan en remplissant les verres, buvez à la santé de qui vous voudrez, moi je bois à la nôtre de tous ici présents…

Les trois spadassins se regardèrent, puis prenant leur part de la situation, s’assirent en éclatant de rire. Quelques moments plus tard, ils choquaient leurs verres contre celui de l’homme qu’ils étaient venus tuer!…

– Ce n’est pas tout, reprit Chalabre, que dirons-nous au roi?… Nous ne pouvons pas lui dire que nous n’avons pas trouvé celui que nous cherchons, puisqu’on a eu soin de nous conduire jusqu’à sa porte!…

– Nous pouvons encore moins lui raconter que, venus pour verser le sang, nous nous sommes contentés de verser du beaugency en compagnie de messire Clément? fit Montsery.

– Je connais Sa Majesté, ajouta Sainte-Maline, nous aurions beau lui assurer que le beaugency était excellent, le roi serait capable d’être de mauvaise humeur contre nous, et cette mauvaise humeur ne se passerait que du moment où il nous aurait vus nous balancer au bout d’une potence, avec une cravate de chanvre autour du cou…

– Messieurs, intervint Pardaillan, voulez-vous me permettre?…

– Dites, dites! s’écrièrent les trois, car un homme comme vous doit être de précieux conseil…

– Voici le conseiclass="underline" débarrassez-vous de messire Jacques Clément. Charles d’Angoulême regarda Pardaillan avec stupeur. Quant au moine, il ne fit pas un geste. On eût cru d’ailleurs, dans toute cette scène, qu’il ne s’agissait pas de lui. Avec la même morne indifférence il avait vu les trois séides se ruer sur lui, il s’était vu sauvé, et il écoutait même l’étrange proposition de Pardaillan.

– Quoi! s’écria Chalabre, est-ce que vous auriez la générosité de nous rendre le digne père jacobin?

– Est-ce que nous pouvons l’occire? fit Sainte-Maline en préparant déjà son poignard.

– N’ayez pas peur, messire, ajouta Montsery, la chose sera faite si vivement que vous n’aurez pas le temps de vous en apercevoir.

– Messieurs, vous faites erreur, dit Pardaillan.

– Ah! ah! firent les spadassins désappointés.

– Sans doute!… Malgré tout le désir que j’ai de vous être agréables je ne puis vous rendre ce que je tiens de votre bonne foi, c’est-à-dire la vie et la liberté du Révérend.