Выбрать главу

– Rien! dit le moine.

– Seulement, reprit le chevalier, puisque vous êtes décidé à frapper le roi de France… car vous êtes décidé plus que jamais?

– Il serait mort à cette heure si vous ne m’aviez dit: «J’ai besoin qu’il vive encore…» Valois vivra donc tant que vous aurez besoin de sa vie… Je suis patient… j’attendrai!

– Je vous l’ai dit et vous le répète: la vie du roi de France m’est indifférente. Seulement, je ne veux pas que sa mort puisse servir les intérêts de M. de Guise. Je vous l’ai expliqué cette nuit…

– Oui… Tant que Guise peut devenir roi par la mort de Valois, vous ne voulez pas que Valois meure!… Mais après, Pardaillan? Si le moment arrive où la mort du roi ne peut plus être utile au duc?

– Oh! alors… je vous assure bien que la mort ou la vie de Valois seront le dernier de mes soucis.

– Bien. Recevez donc mon serment, dit le moine d’une voix solennelle. Pardaillan, par la mémoire de ma mère, je vous jure que ce poignard ne sortira pas de sa gaine tant que votre main sera étendue sur la tête de Valois. Adieu!… S’il vous arrive de songer parfois au moine de l’auberge du Chant du Coq, priez pour lui!…

À ces mots, Jacques Clément sauta sur son cheval et s’éloigna rapidement dans la direction de Paris. Pardaillan le suivit des yeux tant qu’il put voir le nuage de poussière que soulevait le cheval lancé au galop.

Alors il murmura:

– Il est donc dit que le fils doit venger la mère! Ce fut une rude bataille que celle qui mit aux prises Catherine et Alice… les deux mères! Voici maintenant Jacques et Henri… les deux fils… qui en viennent aux mains!… Que les destinées s’accomplissent donc!…

Avec un soupir, il rentra alors dans le bouchon, pauvre cabaret de grand-route où il se reposa une heure avec Charles.

Sainte-Maline, Chalabre et Montsery étaient tranquillement rentrés à l’hôtel de Cheverni. Comme quelques autres familiers très intimes du roi, ils avaient leur appartement dans l’hôtel. Comme ils allaient rentrer chez eux, une porte s’ouvrit dans le corridor qu’ils longeaient, et un homme parut, une lampe à la main. Ils reconnurent Ruggieri…

– Bonsoir, messieurs, dit l’astrologue.

– Bonsoir, monsieur de Ruggieri, firent très poliment les trois spadassins.

– Eh bien, messieurs, est-ce fait?… Le roi peut-il dormir tranquille?…

– Sur les deux oreilles! fit Chalabre.

– Le moine est trépassé! ajouta Sainte-Maline.

Ruggieri sourit.

– Qu’avez-vous fait du corps? fit-il au bout de quelques instants. Car je vous sais gens de précaution…

– Le corps?… Ma foi, si vous avez envie de le ressusciter, ce qu’on vous dit très capable de faire, allez le redemander aux flots de l’Eure…

– Bien, bien… vous êtes de bons et fidèles serviteurs… Bonsoir, messieurs, bonsoir…

Les trois jeunes gens rentrèrent chez eux et se hâtèrent de pousser les verrous. Quelques minutes plus tard, la vieille reine était informée que le moine Jacques Clément était mort!… Et le lendemain, lorsque le roi se mit en route pour Blois, sa mère lui dit:

– Bénissez le ciel, mon fils. Un des plus terribles dangers qui vous aient menacé est à jamais écarté… Le moine…

– Ce Jacques Clément?…

– Oui. Nous l’avons tué cette nuit… vous en êtes débarrassé.

Le roi fit compter à Chalabre, à Sainte-Maline et Montsery soixante doublons pour chacun d’eux. Et au son des trompettes et en une cavalcade fort brillante, le roi et sa cour sortirent de Chartres et prirent aussitôt le chemin de Blois, où ils arrivèrent sans encombre le soir du troisième jour et où nous les retrouverons bientôt.

VI LA VIE DE COCAGNE

Nous avons laissé Croasse et Picouic au moment où ils venaient de faire un repas de glands, c’est-à-dire de se comporter en véritables pourceaux. Ils avaient une excuse que nous osons qualifier de péremptoire: ils mouraient de faim.

C’est donc après ce repas, après avoir dévoré tous les glands tombés du chêne sous lequel ils s’étaient assis, après s’être désaltérés à un ruisselet qui allait se perdre dans les marécages de la Grange-Batelière, que Croasse avait eu une idée magnifique.

Picouic jurait qu’il ne voulait plus désormais manger que du gland, trouvant qu’après tout c’est une raisonnable pitance, et que les hommes s’en peuvent nourrir, puisque les pourceaux en vivent. Quant à Croasse, magnifique, dédaigneux et superbe comme tous les imbéciles, il méprisait profondément le gland en tant que nourriture humaine et, en montant les rampes de Montmartre, il expliquait à son compagnon l’idée merveilleuse qui lui était venue. Cette idée, dans sa simplicité, tenait dans ce raisonnement:

– Il y a là-haut, dans ce couvent de Bénédictines, une sainte femme à qui j’ai inspiré un amour extraordinaire: de par cet amour, c’est bien le moins que sœur Philomène me nourrisse!

Picouic avait des doutes sérieux et les appuyait de solides raisons.

– Il est impossible, disait-il, que tu aies inspiré une telle passion à cette Philomène.

– Et pourquoi? demandait Croasse sans se vexer.

– Parce que tu es hideux.

À quoi Croasse répondait:

– C’est peut-être pour cela qu’elle m’aime!

Quoi qu’il en soit, les deux compères atteignirent le couvent des Bénédictines et passèrent par la brèche. C’était une magnifique journée de soleil. Cependant, Croasse, la main en abat-jour sur les yeux, étudiait attentivement le terrain de culture des Bénédictines.

Il vit bien passer deux ou trois sœurs, mais non celle que désiraient à la fois son cœur et son estomac. Philomène n’apparaissait pas…

Deux heures se passèrent. Ils avaient fini par s’asseoir sur des pierres éboulées du mur d’enceinte. Croasse d’autant plus triste que plus vive avait été son espérance, Croasse tout à coup se frappa le front, et désignant l’enclos que nous avons eu l’occasion de signaler:

– Approchons-nous de ces palissades, dit-il, je suis sûr que nous allons trouver là celle que je cherche.

Mais dans l’intérieur des palissades, il y avait un bâtiment et c’est dans ce bâtiment, si l’on s’en souvient, que Croasse avait reçu de Belgodère une volée de coups de gourdin qu’il ne pouvait avoir oubliée lui. Belgodère était-il encore là?

Ce n’était pas possible, puisque le bohémien n’était là que pour surveiller Violetta. Or, Violetta n’y était plus, puisque lui, Croasse, avait prévenu le chevalier de Pardaillan qui était parti pour la délivrer. Malgré ces raisonnements, Croasse n’approchait de l’enceinte qu’avec prudence prêt à demander le salut à la rapidité de ses immenses jambes si le profil du redoutable bohémien lui apparaissait au loin…

Cependant, il parvint à la palissade, toujours escorté par Picouic, et glissa un regard entre les planches mal jointes… L’enclos était solitaire. Le bâtiment où il avait été rossé paraissait abandonné.

– Eh bien, demanda Picouic, ta belle Philomène?… Une chimère de ton imagination!…

– Non, de par tous les diables! Elle existe bien, et je suis sûr de sa tendresse… Où peut-elle être?…