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Il n’y avait là ni banc, ni escabeau, ni meuble quelconque, ni même de paille pour se coucher. Il n’y avait en tout qu’une vieille cruche que Jacques Clément trouva pleine d’eau, ce qui lui fit supposer que le prieur avait dû donner des ordres avant son arrivée. Cette supposition se confirma dans son esprit, lorsque près de la cruche, en tâtonnant, il trouva un pain.

Ainsi, sa mise au cachot était décidée avant qu’il n’eut vu le prieur!… La situation était terrible!… Jacques Clément l’envisagea froidement.

Il avait été délié et débâillonné au moment où il avait été poussé dans le cachot de pénitence. Il était donc libre de ses mouvements. Mais l’obscurité était opaque. Jacques Clément demeura donc immobile, s’accroupit dans cet angle où du pied il avait heurté la cruche et le pain, et la tête sur les genoux, se mit à méditer.

Il y avait trois êtres en Jacques Clément: le visionnaire, l’amoureux, le vengeur. C’était la triple manifestation d’un cœur passionné. C’était trois états procédant d’une même ardente activité d’esprit et d’âme, trois branches du même tronc.

Il croyait en Dieu et en ses anges avec une sincérité qu’on retrouve chez tous les visionnaires. Oui, c’était un illuminé, c’est-à-dire qu’il y avait en lui exaspération de foi, et par conséquent une part à la folie. Mais il raisonnait admirablement sa folie, ce qui est le propre de bien des fous. Il n’eût pas pu ne pas croire à l’existence des anges qui venaient le visiter; mais il leur demandait la logique, la suite de ses idées; en somme, il les perfectionnait à son usage particulier.

Jacques Clément aimait Marie de Montpensier, mais il l’aimait d’un amour lointain et mystique; si elle était femme à ses yeux, elle était certainement une femme supérieure aux autres, à qui il devait obéissance absolue puisqu’elle était semblable à l’ange… à l’envoyé de Dieu.

En ce qui concerne sa mère, là encore nous retrouvons ce caractère de passion profonde, et emportée, et concentrée. Sa mère avait souffert par Catherine de Médicis: donc il frapperait Catherine de Médicis…

La vision, l’amour et la vengeance étaient donc parfaitement d’accord dans son esprit, son cœur et son âme.

Henri III, tyran de la religion catholique parce qu’il ne consentait pas à recommencer la Saint-Barthélémy, Henri III, haï par lui parce qu’il était détesté par Marie de Montpensier, Henri III, fils de Catherine de Médicis, ne devait mourir que de sa main.

L’ange le lui ordonnait… et c’était Dieu.

Marie le lui criait… et c’était l’amour.

Sa mère le lui murmurait du fond de sa tombe… et c’était la vengeance.

Il était logique qu’il tuât le roi. Il eût été contraire au bon sens qu’il l’épargnât.

Le premier résultat de cette logique et de ce bon sens fut que Jacques Clément, au fond du cachot de pénitence, n’eut pas un instant de doute ou de terreur. Après les premiers mouvements irraisonnés et nerveux de la répulsion qu’il éprouvait à se trouver dans cette tombe, il se dit qu’il n’avait rien à redouter puisque le roi était encore vivant… Puisqu’il était là, désigné pour tuer Henri III, rien ne pouvait l’atteindre tant que l’acte ne serait pas accompli.

Jacques Clément était donc parfaitement sûr d’être délivré soit par l’ange, soit par Marie de Montpensier, soit même par l’esprit de sa mère. Il n’éprouva qu’un peu de mépris pour les effrontés mensonges de son prieur, en qui jusque-là il avait eu la confiance pieuse d’un moine pour son abbé, et il attendit tranquillement la venue de l’être quelconque qui devait le délivrer, ange, femme ou esprit.

Quelques heures s’écoulèrent, au bout desquelles il se sentit faim et soif. Il mangea donc une moitié de pain qu’on lui avait laissé, et but à la cruche. Puis fidèle à la règle, obéissant aux ordres qu’il avait reçu du prieur, bien que ce prieur lui parût maintenant indigne, il se mit à réciter les psaumes de la pénitence. Il se jugeait en effet en état de péché mortel. Ce péché, c’était son amour pour Marie de Montpensier…

Il finit par s’endormir d’un sommeil sinon paisible, du moins exempt de crainte. Lorsqu’il se réveilla, il eut encore faim et soif; il mangea le reste du pain et but une partie de l’eau qui restait dans la cruche. Il pensait que le moment n’était pas éloigné où l’un des moines du couvent viendrait renouveler sa provision.

Cependant les heures s’écoulèrent sans qu’il entendît le moindre bruit. Il commença par se dire qu’il s’était sans doute trop hâté, qu’il avait dû dormir peu de temps; enfermé le soir, il jugea qu’il devait sans doute se trouver au lendemain matin. En réalité, la nuit, la journée et une nuit encore s’étaient écoulées.

Un moment vint où il n’y eut plus une goutte d’eau dans la cruche… Il avait faim et soif. Mais ce n’était pas encore la souffrance véritable qui tord les entrailles.

– D’où vient que j’ai un tel appétit, moi si sobre d’habitude?… Sans doute cette longue course à cheval, pendant laquelle je n’ai rien pris… et puis, peut-être est-ce la fièvre qui me donne soif?

Depuis des heures, déjà, il marchait autour du cachot. Les ténèbres étaient toujours aussi complètes, aussi absolues. Mais par le toucher, par le frôlement de son épaule contre les murailles, par la régularité des pas toujours posés de même, il avait pris connaissance de son cachot, et il y marchait avec une certaine assurance. Cette marche monotone finit par le briser de fatigue, et une fois encore, il s’endormit. Cette fois son sommeil fut peuplé de rêves…

– Oh! que j’ai soif! râla Jacques Clément en se réveillant. Seigneur! que j’ai soif!…

Il se leva, et pour tromper la soif, il voulut se remettre à marcher. Et alors, il s’aperçut que ses jambes tremblaient… et qu’elles lui refusaient tout service… Et alors il comprit l’horrible vérité: il était en train de mourir de faim et de soif!…

Il voulut crier, et ses lèvres tuméfiées ne laissèrent sortir aucun son… Il se traîna vers l’endroit où il savait que se trouvait la porte, et essaya de frapper; mais ses poings affaiblis heurtèrent à peine le chêne… il retomba épuisé… Alors, la souffrance se déclara avec une sorte d’impétuosité… Il sentit sa gorge s’enfler jusqu’à ne plus laisser passer l’air; il entendait un souffle rauque, un souffle étrange de bête qui meurt ou un râle d’enfant qui pleure… et il comprit que c’était son souffle, à lui… Puis au bout d’un temps qu’il ne put apprécier, les souffrances s’apaisèrent, et il n’éprouva plus qu’une infinie faiblesse.

Il essaya de mesurer le temps qui s’était écoulé, et finit par trouver qu’il devait être là depuis plus d’un mois, et que c’était miracle qu’il ne fut pas mort. En réalité, il en était à son troisième jour à compter du moment où il avait bu sa dernière goutte d’eau et à son cinquième jour à compter du moment où il avait été enfermé.

Combien d’heures demeura-t-il ainsi, pantelant et râlant, étendu en travers des dalles?… Il n’eût su le dire… Il lui sembla enfin qu’il s’endormait, et perdit la notion des choses. Dans cette sorte de sommeil, ou plutôt d’évanouissement, son rêve prit une forme… C’était Marie de Montpensier qui lui apparaissait.

Il se trouvait dans un appartement où régnait une exquise fraîcheur. Comme dans tous les rêves, les détails de la pièce où il se trouvait lui échappaient, mais il distinguait confusément qu’il était étendu dans un lit d’une rare magnificence, avec ses quatre colonnes d’ébène précieusement sculptées et sa quadruple retombée de rideaux de brocart. Dans cette chambre Marie de Montpensier allait et venait, légère, gracieuse comme une apparition qu’elle était.