Ce fut encore une minute de terrible angoisse pour Maurevert. Qui sait si Pardaillan ne s’était pas repenti de sa générosité!… Il marcha cependant et, étant arrivé près d’eux, mit pied à terre en disant:
– Me voici, messieurs…
La physionomie de Charles s’éclaira d’un sourire et son cœur se mit à battre. Quant à Pardaillan, il ne fit ni un pas ni un geste. Maurevert évitait de regarder Pardaillan. Il tenait ses yeux fixés sur le duc d’Angoulême. Mais du coin de l’œil, il surveillait le chevalier.
– Messieurs, dit-il d’une voix sourde, à peine intelligible, ma présence au rendez-vous que vous m’aviez assigné doit vous prouver que j’ai songé à tenir ma parole. Si j’avais voulu vous échapper pour toujours, je n’avais qu’à ne pas venir…
Il s’arrêta un instant comme pour attendre un mot, un geste d’approbation. Mais Pardaillan demeurait dans la même immobilité; quant à Charles, il était trop ému pour avoir une autre pensée que celle-ci:
«Vais-je savoir?… Cet homme m’apporte-t-il la vie ou le désespoir?…»
– Messieurs, reprit Maurevert, en acceptant votre merci, je m’engageais ou à vous donner satisfaction, ou à revenir me mettre à votre disposition. Je dois vous déclarer que je n’ai pas réussi aussi complètement que je l’espérais. Et c’est pourquoi, si vous ne m’accordez un nouveau crédit, je serai ici ce que j’étais hier à Montmartre, c’est-à-dire votre prisonnier…
Charles avait affreusement pâli. Pardaillan, aux derniers mots de Maurevert, le regarda avec étonnement.
– Votre attitude, monsieur, rachète bien des choses, dit-il avec une sorte de douceur. Si nous devons mettre l’épée à la main, je serai heureux de vous dire qu’il y a toujours de la haine dans mon cœur contre l’homme qui m’a fait tant de mal, mais que le mépris où je vous tenais s’est atténué…
Maurevert s’inclina sous cet outrage qui était un compliment sincère.
– Mais, reprit Pardaillan, vous disiez que vous n’aviez pas entièrement réussi. Ceci laisse supposer que vous avez réussi tout au moins en partie.
– Oui, messieurs…
Le jeune duc était haletant.
– Voici, de très exacte façon, continua Maurevert, ce que j’ai pu savoir, et ce que je n’ai pas pu savoir: la jeune fille dont vous me parliez n’est plus à Paris; cela est certain. Mais en quel lieu monseigneur le duc l’a-t-il fait conduire? Voilà ce que je n’ai pu établir. Et pourtant, messieurs, j’ai passé ma nuit à cette recherche.
– Perdue! Perdue pour toujours! murmura Charles.
– Monsieur, dit Maurevert avec une apparente émotion, vous pouvez croire que je n’ai aucun motif de haine contre cette jeune fille et que, depuis hier, j’ai pour vous un motif de reconnaissance. Laissez-moi donc vous dire que peut-être tout n’est-il pas dit!…
– Parlez!… oh! si vous avez un indice… si faible qu’il soit!…
– Monsieur, dit Maurevert en se tournant vers Pardaillan, je vous appartiens: pensez-vous que nous devons nous battre, ou bien m’accordez-vous un nouveau crédit de quelques jours?…
– Parlez, dit Pardaillan.
– Eh bien!, voici, messieurs: je me fais fort, dans dix jours, non seulement de vous dire où se trouve la jeune fille, mais de vous mettre en sa présence… Dix jours, messieurs, cela peut vous sembler long. Mais c’est juste le temps qu’il me faut pour aller dans une ville où je suis sûr de trouver l’indication cherchée, et d’en revenir.
– Quelle est cette ville? demanda Pardaillan.
– C’est Blois, répondit Maurevert du ton le plus naturel. L’homme à qui la jeune fille a été confiée est à Blois. Pourquoi? Ceci, messieurs, est un secret politique. Or, si je puis trahir le duc sur une question d’amour, j’aimerais mieux être tué sur place que de le trahir sur une question d’État…
Ceci était admirable… Ceci confirmait si bien la bonne volonté de Maurevert, cela concordait si exactement avec tout ce que pouvait supposer Pardaillan de nouvelles tentatives que ferait Guise contre Henri III, qu’en effet la chose parut limpide au chevalier et au jeune duc.
– Que la jeune fille soit à Blois, continua Maurevert, ceci est de toute impossibilité. Le duc ne l’aurait pas envoyée si loin de lui, ni en un lieu où peuvent surgir… des dangers de toute nature. Mais à Blois, messieurs, je trouverai l’homme qui sait. Or cet homme, messieurs, n’a rien à me refuser, et quand je lui aurai dit que ma vie dépend du renseignement que je lui demande, à l’instant même j’aurai l’indication voulue… Et alors, messieurs, je vous le répète; je me fais fort de vous conduire auprès de celle que vous cherchez…
Charles regarda Pardaillan. Et ce regard voulait dire:
– Il n’y a pas à hésiter…
C’était aussi l’avis du chevalier.
– Vous dites dix jours? demanda-t-il à Maurevert.
– Jour pour jour… dans dix jours à partir d’aujourd’hui, à midi sonnant, vous me reverrez à Paris… tenez… je vous attendrai hors des murs, aux environs de la porte Montmartre.
– Nous sommes au douze d’octobre… le vingt et un, à midi, aux environs de la porte Montmartre, nous y serons, monsieur…
– Puis donc partir, messieurs? demanda Maurevert avec une sorte d’humilité.
– Partez, monsieur, répondit Pardaillan, de cette voix rude qu’il avait depuis quelques minutes.
Maurevert sauta en selle.
– À vous revoir, messieurs, le vingt et un d’octobre à midi, dit-il alors. J’entreprends une besogne difficile et périlleuse. Mais y eût-il mille difficultés, mille dangers, ce serait encore avec joie que je l’entreprendrai car le souvenir de la journée d’hier ne s’effacera jamais de mon cœur.
Aussitôt, il mit son cheval au petit galop et s’éloigna pour rejoindre directement la route de Blois. Pardaillan, pensif, le regarda tant qu’il put le voir.
– Que dites-vous de cela? lui demanda alors le jeune duc.
– Je dis, fit Pardaillan en passant une main sur son front, que cet homme est moins mauvais que je n’avais supposé…
– Il prend bien la route de Blois…
– La route du pardon! murmura Pardaillan.
Maurevert, en effet, avait bien pris la route de Blois… Il n’était nullement pressé d’arriver… Pour la première fois depuis de longues années, il respirait librement… Il s’en allait donc tantôt au pas, tantôt au petit galop de chasse, parfois tombant dans une méditation profonde, tantôt considérant avec une sorte d’étonnement joyeux la campagne inondée par le beau soleil d’automne, les frondaisons d’un vert sombre où déjà apparaissaient quelques feuilles cuivrées qui faisaient des taches de rouille sur les feuillages… Il découvrait la nature. Il se surprenait à arrêter son cheval pour contempler quelque site… Et tout cela, c’était la joie de se sentir vivant, de comprendre qu’il avait longtemps à vivre encore… vivre sans terreur!…
Le soir, à l’auberge où il s’arrêta pour passer la nuit, il se montra plein de gaieté, tapota les joues de la servante, paya généreusement, but des meilleurs vins, en sorte que les gens de l’auberge se dirent: