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– Dès que vous m’en donnerez l’ordre.

– Et à remplir la mission que je viens de vous exposer?

– Quand faut-il partir?

Fausta parut calculer un instant, puis elle dit:

– Tenez-vous prêt à partir le vingt-deux de ce présent octobre.

Elle se leva alors. Farnèse l’interrogeait du regard, comme s’il eût attendu une communication encore.

– Vous vous demandez pourquoi le vingt-deuxième jour de ce mois, n’est-ce pas, cardinal? dit Fausta avec un sourire.

– Non, madame, dit le cardinal palpitant, mais vous m’avez fait tout à l’heure une promesse.

– Celle de vous rendre Léonore et son enfant… Je m’explique, Farnèse: je ne prétends pas vous rendre la pauvre folle que le bohémien Belgodère, un jour, rencontra, errante et sans gîte, et qu’il attacha à sa pitoyable destinée; non, ce n’est pas de la diseuse de bonne aventure que je parle; ce n’est pas de la bohémienne Saïzuma; ce n’est pas de l’infortunée que vous avez entrevue dans le pavillon de l’abbaye… Celle dont je parle, Farnèse, c’est Léonore de Montaigues, c’est la fiancée du prince Farnèse…

Le cardinal ébloui, palpitant, écoutait comme il eût écouté le Dieu auquel il croyait.

– Je connais, continua Fausta, le moyen de rappeler la raison et la mémoire dans cet esprit… Je puis y jeter le germe du pardon qu’elle vous accordera… Quant à ramener l’amour dans son cœur, ceci vous regarde!…

– Léonore… ô Léonore!… balbutia Farnèse éperdu.

– Je vous rendrai Léonore, reprit Fausta avec une sorte de gravité, et avec elle, je vous rendrai cette enfant qui est comme le trait d’union entre vous et celle que vous aimez. Cette Violetta, Farnèse, c’est votre fille qui peut, qui doit sauver et guérir votre fiancée… sa mère… non seulement de la folie, mais encore de la haine… C’est par Violetta vivante sauvée par vous, que Léonore vous pardonnera, et c’est pour Violetta… pour sa fille… que la mère vous aimera encore…

– Ma fille! ô mon enfant adorée! bégaya Farnèse enivré.

– Donc, continua Fausta, vous partez le vingt-deuxième d’octobre… mais vous ne partez pas seul… vous partez avec elles!… Elles vous accompagnent!… Et si j’ai choisi ce jour-là pour votre départ, c’est que le vingt et un d’octobre sera rassemblé le saint concile qui vous relèvera de vos vœux, qui fera du cardinal un homme, et qui vous dira: «Voici ton épouse, voici ta fille!…»

Farnèse tomba à genoux… Il saisit une main de Fausta et y appuya ardemment ses lèvres… Et il éclata en sanglots…

Longtemps il pleura, prosterné, écroulé aux pieds de cette femme qu’une heure avant il rêvait d’étrangler. Et cependant, elle le considérait d’un regard si sombre qu’il eût frissonné d’épouvante s’il eût vu ce regard. Lorsque Farnèse se releva enfin, il ne vit plus devant lui qu’un visage empreint d’une douce pitié…

– Majesté, murmura-t-il, puisse luire bientôt pour moi le jour où vous aurez besoin de ma vie… Si je dépouille l’habit de cardinal, si je cherche à réparer le malheur dont j’ai frappé une innocente, si je deviens époux et père, je n’en resterai pas moins votre serviteur!… le plus ardent, le plus dévoué, le plus heureux d’assurer la réalisation de votre rêve sublime!

Farnèse s’inclina profondément et, courbé devant Fausta, tendit sa main sur laquelle elle s’appuya légèrement. Il la reconduisit ainsi jusqu’à la porte du logis.

– Le vingt et un d’octobre, à neuf heures du matin, murmura encore Fausta, tenez-vous prêt en grand costume de cérémonie: vous suivrez simplement celui que je vous enverrai et qui prononcera simplement ce mot: Léonore!…

Sur ce mot, elle s’éloigna, laissant le cardinal ébloui, fasciné, éperdu d’étonnement et de bonheur… Il la vit rejoindre sa litière qui bientôt disparut. Alors il poussa un profond soupir et remonta dans la pièce du premier étage. Un homme était là, debout, qui l’attendait. Cet homme, c’était maître Claude.

– Vous avez entendu? demanda Farnèse.

– Tout! dit Claude d’une voix sombre.

L’ancien bourreau regarda le cardinaclass="underline"

– Je vous admire, dit-il avec un sourire d’une effrayante tristesse, vous êtes plus jeune de vingt ans…

– Oh! murmura ardemment Farnèse, revoir Léonore et Violetta!… ma fiancée… ma fille… Toutes deux les emmener!… M’évader de cet effroyable cauchemar où je vis depuis plus de seize ans!…

– Et me laisser, moi, dans mon enfer!…

Farnèse tressaillit.

– Que voulez-vous dire?…

– La vérité, monseigneur! dit humblement maître Claude. Vous allez partir, vous! Partir avec celle que vous adorez… et, ajouta-t-il avec un soupir étouffé, avec elle… avec l’enfant…

Farnèse rayonnait. Comme l’avait dit Claude, il semblait rajeuni. Un rayon d’amour et d’espoir faisait fondre la vieillesse prématurée, et n’eût été la blancheur de ses cheveux, il eût été en ce moment tel qu’il était à l’époque où, cavalier élégant, alerte, audacieux, il escaladait la nuit le balcon de Léonore.

– Maître, dit-il, j’ai assez souffert dans ma vie. Dieu me pardonne. N’est-il pas juste que je connaisse une heure de joie après tant d’années de désespoir?

– Oui, dit lentement Claude sans quitter Farnèse du regard, Dieu vous pardonne, à vous qui avez fait le mal. Mais il ne me pardonne pas, à moi qui n’ai pas fait le mal. Ceci est juste…

– L’amertume déborde de votre âme, dit Farnèse, et c’est pourquoi vous blasphémez… mais achevez ce que vous vouliez dire.

– Simplement ceci: vous partez… et moi, je reste…

Le cardinal baissa les yeux, mais ne dit pas un mot. Claude se fit plus humble encore. D’une voix plus basse où tremblait un sanglot, il reprit:

– Je reste, monseigneur… Ne me direz-vous rien?… Cette enfant que j’adore… qui est ma fille… car enfin, elle est ma fille!… vous partez avec elle… vous me l’enlevez… Monseigneur, n’avez-vous rien à me dire?…

– Que puis-je donc vous dire, fit sourdement le cardinal, sinon que je compatis à votre douleur…

– Eh quoi, monseigneur, dit Claude avec plus d’humilité encore, est-ce vraiment tout ce que vous trouvez comme consolation?… Cette enfant, dès que je l’eus prise dans mes bras, dès que son premier sourire informe et si doux m’eut remercié de l’arracher à la mort, eh bien, je me mis à l’aimer! J’étais seul au monde; elle fut le monde pour moi… Pendant des années, je vécus de ses sourires et de ses caresses. Je ne l’aimais plus, je l’adorais!… Comprenez-vous ce que cela veut dire?… Oui, sans doute!… Or, imaginez maintenant que cette adoration même n’est plus en moi… que ce qui est en moi, c’est le sentiment que ma vie existe seulement dans la vie de l’enfant, que les battements de mon cœur sont les battements du cœur de Violetta! Monseigneur… de grâce… ayez pitié de ma détresse!… Pourquoi voulez-vous m’arracher le cœur en m’arrachant ma fille?…

De nouveau, il se courbait. Et maintenant, il pleurait à chaudes larmes.

– Parlez, balbutia le cardinal, que puis-je?… Qu’avez-vous espéré?… Qu’avez-vous entrevu?…

Un lointain espoir fit tressaillir maître Claude qui, d’une voix rapide répondit: