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Pardaillan monta. De la tête, il dépassa la crête du mur… Il vit alors qu’il dominait une infecte et étroite ruelle, un boyau qui se subdivisait en deux branchements dont l’un faisait communiquer la rue Calandre avec le Marché-Neuf, et dont l’autre, perpendiculaire à ce dernier, s’enfonçait vers Notre-Dame et contournait le parvis pour aboutir à la Seine.

Pardaillan vit tout cela d’un coup d’œil. Mais il vit aussi qu’une douzaine de gens d’armes gardaient la ruelle. Alors il redescendit, rentra dans la maison du bourreau, et quelques instants après, reparut une hache à la main. Presque aussitôt il se trouva de nouveau en haut de l’échelle.

À ce moment dans la rue Calandre, une furieuse clameur s’éleva: la porte était défoncée; les troupes de Guise se ruaient dans la maison… mais Maurevert n’était pas entré!… Derrière lui, Pardaillan entendit les hurlements, le bruit des armes, le tumulte des pas précipités, les vociférations…

– Sus! Sus!… Pille!…

– Tue! Tue!… Au truand!…

– À mort! hurlait la foule en acclamant le duc de Guise.

Pardaillan s’assit sur le mur. Au même instant, il sauta…

– Place! rugit-il en tombant sur ses pieds.

Les gardes postés là, un instant stupéfaits, cherchèrent à se réunir, et déjà Pardaillan se ruait sur le groupe, la hache levée s’abattit encore toute rouge, il y eut des trépignements, des grognements, une trouée se fit, et pareil au sanglier qui avant de mourir fonce à travers la meute Pardaillan passa…

D’un bond il s’écarta, se rua en avant, et se retournant tout à coup, lança sa hache à toute volée… Trois hommes tombèrent, blessés ou morts…

– Alerte! alerte! vociféraient les gardes.

En un clin d’œil, les gens d’armes de la rue Calandre envahissaient la ruelle; du haut du mur de la maison de Claude, d’autres se lançaient… le boyau en quelques secondes fut rempli de gens qui se heurtaient, se pressaient, s’étouffaient…

– Il se sauve!… Arrête! Arrête!…

– Au truand! À la hart! À la mort!…

Pardaillan s’était élancé d’un bon pas. Il avait mis l’épée à la main, et marchait droit devant lui, sans tourner la tête…

De deux ou trois maisons, dans ce parcours, des gens sortirent pour lui barrer la route. Mais sans doute cet homme dut leur paraître terrible; sans doute sa physionomie hérissée, flamboyante les épouvanta… car les uns rentrèrent précipitamment dans leurs trous, et les autres, n’en ayant pas le temps, se collaient au mur en gémissant:

– Grâce, monsieur le truand!

Toujours droit devant lui, toujours poursuivi par la meute hurlante, Pardaillan déboucha tout à coup sur le derrière de Notre-Dame. La meute était sur ses talons, il sentait des souffles rauques sur sa nuque; il se disait:

«Si je fais un faux pas, si je m’arrête, si je me retourne, je suis mort!»

Et pourtant, il fallait que cela finit!… La Cité tout entière était cernée; les berges gardées… où aller?… que faire?… Il n’avait qu’une ressource unique: descendre sur une berge, et passer coûte que coûte, se jeter dans la Seine!… Mais en aurait-il le temps?… Et pût-il même se jeter à l’eau, est-ce qu’il n’y serait pas repris aussitôt!…

Comme il débouchait du boyau dont l’étroitesse même l’avait sauvé, il comprit que sur cet espace plus large il allait être enveloppé par les poursuivants et qu’il allait tomber là, avec cette dernière espérance se faire tuer plutôt que de retomber aux mains de Guise et de Maurevert… Le désespoir l’envahit.

Dans ce suprême regard d’adieu au monde qu’il jetait autour de lui, il se vit devant une maison sinistre à la porte de fer. Le palais de Fausta!… Il était venu mourir devant le palais de Fausta!…

Un éclat de rire insensé gronda sur ses lèvres blanches, et il fit un dernier bond vers l’auberge du Pressoir de fer, escalada les marches, renversa à coup de pommeau quelques buveurs qui lui barraient le passage, et toujours droit devant lui, de pièce en pièce, il fonça… sans savoir, éperdu, enragé de mourir avant Maurevert!…

Dans le même moment, l’auberge fut pleine de tumulte… Les poursuivants s’y jetaient tous ensemble… De pièce en pièce, les hurlements frénétiques poursuivaient Pardaillan; fermer les portes lui était impossible…, déjà, il avait senti les rapières ou les piques des plus avancés le heurter… Une clameur de mort, sinistre, affreuse, emplit ses oreilles… et acculé dans la dernière pièce de l’auberge, continuait sa course éperdue, il vit une fenêtre ouverte, l’enjamba… sauta dans le vide!…

À la fenêtre, des coups d’arquebuse éclatèrent. Quelques instants, l’auberge fut pleine de vociférations, puis toute cette foule reflua, l’auberge se vida rapidement, et tous se précipitèrent au bord de l’eau.

À ce moment arrivait Maurevert, haletant, livide, sa dague à la main. Il jeta autour de lui des regards sanglants, ne comprenant pas ce qui se passait. Mais derrière lui le duc de Guise arriva et gronda:

– Où est le truand? Pourquoi n’est-il pas arrêté?…

– Monseigneur, cria un officier sur les bords de la Seine, le sire de Pardaillan s’est jeté dans la Seine; il est d’ailleurs blessé.

– Qu’on détache toutes ces barques, ordonna Guise; qu’on surveille le fleuve, et dès que l’homme apparaîtra, un bon coup d’arquebuse dans la tête!…

Et se tournant vers Maurevert:

– Je crois que nous le tenons bien, pour le coup!

Maurevert ne répondit pas. Un sourire crispa ses lèvres, et l’un des premiers, il se jeta dans une barque avec trois ou quatre hommes armés d’arquebuses. Quelques secondes après la chute ou plutôt le saut de Pardaillan, la Seine était sillonnée de barques, tandis que sur les rives la foule attendait. Trois ou quatre cents hommes étaient prêts à faire feu sur Pardaillan dès qu’il se montrerait à la surface de l’eau.

Une heure se passa… Pardaillan ne reparut pas. Il fut évident pour tous qu’il s’était noyé et que son corps roulé par le courant avait dû aller se perdre au loin, à moins qu’il n’eût été retenu par le lit du fleuve. Cependant, les recherches continuèrent jusqu’au soir, mais sans aucun résultat.

XX OÙ FAUSTA SE CONTENTE D’UNE COURONNE

Pardaillan, lorsqu’il sauta par la fenêtre de l’auberge, ne se doutait pas qu’elle donnait sur la Seine. En se sentant s’enfoncer dans l’eau, la pensée lui vint qu’il pourrait peut-être essayer de remonter le courant et de prendre pied sur les berges de l’île Notre-Dame (île Saint-Louis).

Mais dans cette rapide seconde où l’eau bourdonnait dans ses oreilles où ses vêtements collés à son corps le paralysaient, et où déjà la nécessité de remonter respirer lui apparaissait imminente et terrible, car remonter à la surface, c’était courir au-devant des balles, dans cette seconde, disons-nous, ses mouvements devinrent désordonnés; de tout son effort, il lutta à la fois contre le courant qui l’entraînait et contre la poussée naturelle de bas en haut; il suffoquait; il tournoyait sur lui-même, pris dans les remous du fleuve venant se briser à cette pointe de la Cité… Bientôt la respiration lui manqua… et il étendit les bras dans un dernier spasme…