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D’abord la mort de Valois. Puis, le couronnement d’Henri de Guise. La répudiation de Catherine de Clèves, femme du duc. Le mariage de Guise avec la princesse Fausta. La conquête de l’Italie. La mort de Guise. Le règne de Fausta, seule maîtresse de la France et de l’Italie…

Voilà par quels degrés elle se hausserait maintenant à la suprême puissance!… Et le premier échelon de cette progression, c’était un assassinat: tout cet échafaudage était bâti sur une mare de sang. En haut, la couronne. En bas, un poignard. Tout reposait sur le meurtre d’Henri de Valois!… Il fallait donc commencer par tuer le roi de France.

Fausta, ayant ainsi établi la marche nouvelle qui rendait immédiatement nécessaire la mort de Valois, raya de son esprit tout le passé, éteignit d’un souffle son rêve de souveraineté pontificale, convint avec elle-même que si elle ne pouvait régner sur la chrétienté elle devait régner sur les deux plus beaux pays du monde chrétien, et résolut d’agir à l’instant même.

Elle sauta à bas de son lit, s’assit devant une glace, chef-d’œuvre des fabriques de Venise, et pendant une heure, par des lotions réitérées, par le secours des fards auxquels elle recourait bien rarement, s’étudia à effacer de son visage ravagé jusqu’à la moindre trace de larmes, jusqu’au dernier vestige de souffrance, de fureur ou de désespoir.

Lorsqu’elle y fut parvenue, elle écrivit une lettre qui fut aussitôt portée à l’hôtel de Guise. Deux heures plus tard, le duc de Guise était au palais de Fausta.

– Je vous écoute, madame, dit le duc de Guise lorsqu’il eut pris place sur le fauteuil que Fausta venait de lui désigner. Mais avant de commencer ce grave entretien, car à la solennité du lieu où vous m’avez conduit, au ton de votre missive, à l’heure où il vous a plu de m’appeler, à votre physionomie enfin, je pense que d’irrémédiables choses vont se dire ici, avant donc que de commencer, princesse, peut-être serait-il bon que je m’assure… que nous sommes bien seuls.

Et Guise, d’un regard, fouilla non seulement les coins d’ombre amassés au fond de la vaste salle presque funèbre dans sa somptuosité, mais aussi le visage de Fausta.

– Oui, dit celle-ci, vous vous souvenez d’un entretien que vous avez eu avec la reine Catherine où vous vous êtes cru bien seul, où vous avez dit tout ce que vous aviez sur le cœur… et vous pensez que peut-être, moi aussi, j’ai aposté derrière un rideau quelque Sixte qui recueillera vos paroles.

Guise protesta du geste.

– Rassurez-vous, reprit gravement Fausta. Nous sommes ici sous le regard de Dieu qui seul peut nous voir et nous entendre…

– Peste! pensa Pardaillan, me voilà promu au rang de divinité, puisque je suis seul ici à regarder et à écouter!… Eh bien, soit! Jouons de notre mieux le rôle que nous attribue cette noble dame!…

– Monsieur le duc, continua Fausta, lorsque, voici trois ans de cela, vous vîntes à Rome pour implorer l’assistance de Sixte Quint, Sa Sainteté vous donna sa bénédiction… moi je vous donnai deux millions en vieil or un peu bruni par le temps, mais qui n’en avait pas moins cours… Vous me demandâtes alors ce que je voulais en échange et je vous répondis: «Plus tard, vous le saurez!…»

– C’est vrai, dit Guise en s’inclinant, et ma reconnaissance…

– Ne parlons pas de reconnaissance, duc; parlons de nos intérêts, des miens, des vôtres… Je continue. À notre deuxième entrevue, vous m’exposâtes vos espérances, ou du moins, à travers vos réticences, je parvins à comprendre quelle noble et haute ambition vous portiez dans l’esprit, et quel tourment vous rongeait depuis de bien longues années. Vous vouliez être roi!…

Guise pâlit et jeta autour de lui des regards inquiets.

– Nous sommes seuls, reprit Fausta non sans une pointe de dédain et d’impatience. Donc, vous vouliez être roi. Et vous n’osiez pas!… Vous aviez la Ligue, mais la Ligue était faible, la Ligue ne demandait pas un changement de dynastie, mais seulement une autre Saint-Barthélémy… Ce que vous n’osiez pas faire, je l’ai fait!… Tous ces fils ténus de la Ligue je les ai rassemblés. J’ai jeté mes agents sur la France. Pendant un an et demi, je vous ai montré les progrès de l’œuvre qui s’accomplissait, et comment on prépare une tempête capable de broyer un trône. En même temps, je vous montrais ce que coûtait chaque homme, chaque dévouement, chaque pensée acquise; en sorte qu’avec les deux millions que je vous ai remis à Rome, vous savez maintenant que vous m’êtes redevable de dix millions…

– C’est vrai, dit Guise en passant une main sur son front.

– Par dix fois, par vingt fois, vous m’avez demandé ce que j’exigeais en retour. Et je vous ai répondu: «Vous le saurez plus tard!…» Ce long et pénible travail a porté ses fruits, monsieur le duc: la journée des Barricades est mon œuvre. Valois s’est enfui. Et si vous n’êtes pas déjà sur le trône, ce n’est pas ma faute… c’est la vôtre!…

– C’est encore vrai, dit le duc en frémissant.

– Après la fuite d’Henri de Valois, reconnaissant que vous me deviez votre magnificence, votre victoire et votre future couronne, vous m’avez encore demandé quel était mon but et ce que j’attendais de vous. Je vous ai répondu: «Vous le saurez quand l’heure sera venue…» Monsieur le duc, l’heure est venue!

– Ah! ah! fit le duc, tranquillement, d’un air qui voulait dire: «C’est donc devant la créancière que je me trouve? Eh bien, j’aime mieux cela! Car, Dieu merci, je connais l’art d’expédier une dette!»

Fausta comprit peut-être. Mais elle n’en laissa rien voir. Seulement un sourire plus livide glissa sur ses lèvres, pareil à ces reflets de foudre qui, dans la nuit, illuminent parfois les vitres d’une fenêtre. De son côté, le duc de Guise sentit que sa manière d’accueillir l’ouverture de celle qui l’avait tant et si puissamment aidé était peut-être dangereuse, car il reprit, sans conviction:

– Demandez-moi ma vie, madame, je serai heureux de vous l’offrir.

– Votre vie, duc, vous est a vous trop précieuse et me serait à moi de trop peu d’utilité. Gardez-la donc…

Guise se mordit les lèvres.

– Ce que j’ai à vous demander en revanche de tout ce que j’ai fait pour vous, continua Fausta, pourra vous sembler plus difficile à donner que votre vie. Aussi, comme vous pourriez me refuser la seule chose à laquelle je tienne, je vais d’abord vous démontrer qu’il vous est impossible de me la refuser…

– Je vous écoute, madame! dit Guise avec une sourde inquiétude. Mais cette chose…

– Vous avez noblement patienté des mois et des années pour la savoir… vous pouvez bien patienter quelques minutes. Voici d’abord mes preuves. Vous voulez être roi. Pour cela, il faut: d’abord que le roi régnant meure; ensuite que vous puissiez écarter le prétendant naturel et légitime, qui est Henri de Bourbon, roi de Navarre; enfin, que vous puissiez éviter une guerre civile et régner avec l’assentiment des parlements de Paris et des provinces. Tout cela est-il juste?

– Parfaitement juste, madame! dit le duc d’une voix altérée. Vous avez le raisonnement en coup de hache…

Fausta daigna sourire et continua:

– Je vais vous prouver, monsieur le duc, qu’aucun de ces événements ne peut arriver que par mon assentiment exprès et que, si je le veux, vous ne serez pas roi de France; que si je le veux, vous serez traité comme rebelle et soumis au châtiment qui frappe les rebelles en ce beau pays de France…