Guise haletant, Guise, transporté, ébloui, fasciné, prêt à s’agenouiller devant cette femme qu’il rêvait de poignarder quelques minutes avant, Guise s’écria:
– Pardon!… oh! pardon!… Je vous ai méconnue!… Et pourtant vous avez accompli déjà de grandes choses!… Mais j’avais un bandeau sur les yeux, je ne vous voyais pas comme je vous vois! Vous êtes bien la souveraine non seulement par la redoutable puissance occulte dont vous disposez, mais par le génie, par la pensée, par la volonté qui sont les armes des grands conquérants, comme le poignard est l’arme des simples soldats comme moi!…
À ces mots, le Balafré jeta sa dague, s’agenouilla, courba la tête et dit:
– Ordonnez, je suis prêt à obéir!…
Ce rêve éblouissant que Fausta venait de faire miroiter à ses yeux, il était certes capable de le réaliser s’il en avait les moyens, c’est-à-dire l’armée et l’argent. Il n’avait pas seulement le courage et l’audace, il avait encore sur un champ de bataille la sûreté du coup d’œil, la promptitude de la décision, l’habileté du dispositif. Il avait bien toutes les qualités ou tous les vices du conquistador. Chef d’État, chef d’armée, il eût, dans une ruée à travers l’Europe, égalé ceux que l’histoire appelle des génies conquérants. Seulement, il lui manquait cet État, il lui manquait cette armée. Et il n’était pas capable de se le créer: là s’arrêtait son génie…
Il y a ainsi par le monde des gens à qui il n’a manqué que les cent mille francs de départ pour être de prodigieux remueurs d’argent. Il y a des gens à qui il n’a manqué qu’une armée pour être de grands remueurs de sang. Guise était de ceux-là. Fausta le complétait. Fausta lui ouvrait l’horizon, démolissait la barrière où il était enfermé comme un fougueux étalon, et lui disait: «Tu es libre maintenant de dévorer l’espace en culbutant de ton vigoureux poitrail ceux qui voudraient t’arrêter en route!…»
– Duc, répondit Fausta en acceptant l’hommage du Balafré avec cette sérénité majestueuse qui lui était particulière, duc, ce n’est pas votre obéissance que je vous demande. Je vous ai indiqué les grandes choses que vous pouvez accomplir, je vous ai montré que sans moi vous n’êtes rien, qu’avec moi vous êtes maître de l’Europe…
– Que voulez-vous donc? dit le duc en se relevant.
– Votre nom! répondit Fausta.
– Mon nom!…
– La moitié de votre puissance. La moitié de votre gloire. M’asseoir près de vous sur le trône où vous allez prendre place!… Être enfin la reine comme vous allez être le roi!… Écoutez-moi: vous avez, il me semble, des motifs de répudier Catherine de Clèves… puisqu’elle vit encore!… Il vous faut un mois pour obtenir cette répudiation… Dans les huit jours qui suivent, notre mariage sera célébré. Et c’est moi, duc, qui établirai le contrat que vous aurez à signer…
– Notre mariage! balbutia le duc.
– Le lendemain de notre mariage, continua Fausta, nous partons pour Blois… le reste me regarde… tout le reste me regarde… tout le reste, duc, jusqu’au jour où, placé à la tête de la triple armée de Farnèse, d’Henri III et d’Henri de Béarn, vous prendrez le chemin de l’Italie en laissant la régence à la reine de France couronnée comme vous… sacrée comme vous… à jamais liée à vos intérêts, à votre ambition et à votre gloire!
Fausta s’arrêta un instant, puis acheva sur un ton qui donna le frisson à Guise:
– Duc, je vous donne trois jours pour vous décider…
Le Balafré répondit:
– La réflexion est toute faite, madame!…
Fausta ne put s’empêcher de tressaillir. Car ce mot, elle l’espérait ardemment, Le duc de Guise s’était incliné. Il saisit une main de Fausta, la porta à ses lèvres avec cette grâce altière qui faisait dire qu’il était roi par l’élégance parmi les rois par naissance:
– Duchesse de Guise, dit-il, reine de France, recevez l’hommage de votre époux, de votre roi qui ne veut être que le premier de vos sujets…
– Duc, répondit simplement Fausta, j’accepte l’engagement que vous prenez par ces paroles. Allez donc, et dès le jour venu, prenez vos dispositions pour que vous soyez libre d’unir votre destinée à la mienne.
Étourdi, fasciné… réellement dompté par cette simplicité autant qu’il l’avait été par les menaces et par les promesses, Guise s’inclina de nouveau très bas. Puis, il s’enveloppa de son manteau, et des yeux parut chercher un valet pour le reconduire jusqu’à la porte. Fausta s’était levée; elle saisit un flambeau et se mit à marcher devant le Balafré.
– Que faites-vous, madame? s’écria Guise.
– C’est un privilège royal que d’être éclairé par le maître de la maison, répondit Fausta. Vous êtes le roi: je vous montre le chemin, sire!
Guise enivré se mit à suivre en silence, admirant la dignité, la grâce et la majesté de cette sirène, et il convint en lui-même que jamais le trône de France n’aurait été occupé par une créature plus vraiment reine par la beauté, l’attitude et la pensée.
Mais en accompagnant le duc de Guise, Fausta avait une autre idée que celle de lui rendre un royal hommage. En arrivant dans le vestibule, elle posa son flambeau sur un meuble, fit signe à un laquais d’ouvrir la porte, et se tourna alors vers Guise comme pour prendre congé. Guise tressaillit… il comprit qu’il allait apprendre quelque nouvelle…
– Adieu, monsieur le duc, dit Fausta. Mais avant votre départ, je serais heureuse de savoir ce qu’est devenu l’homme qui a été poursuivi aujourd’hui…
– Pardaillan!…
– Oui!… Pardaillan!…
– Il est mort, dit Guise.
Fausta ne pâlit pas. Aucun signe extérieur ne témoigna chez elle d’une émotion quelconque.
– Cet homme a mérité son châtiment, dit-elle.
Guise franchissait la porte, et déjà faisait signe à ses gens de lui approcher son cheval. Alors Fausta, avec la même simplicité, ajouta:
– Il a d’autant plus mérité la mort qu’aujourd’hui même, sous mes yeux, il a tué d’un coup de dague au cœur une pauvre jeune fille innocente… une chanteuse… une bohémienne nommée Violetta…
Et la porte, à cet instant, se referma!… La porte de fer séparait maintenant ces deux êtres: Fausta et Guise. Mais s’ils avaient pu se voir, peut-être eussent-ils eu pitié l’un de l’autre.
– Pardaillan est mort!
– Morte!… Violetta morte!…
Ces deux pensées de douleur palpitèrent ensemble. Et tandis que Fausta, accablée par cette mort qu’elle avait pourtant voulue, regagnait en chancelant sa chambre à coucher, le duc demeurait devant la maison comme frappé d’un coup de foudre.
– Monseigneur, fit quelqu’un en le touchant au bras.