– J’ignorais, en effet, balbutia le duc, qu’il pût y avoir dans tout le royaume un être assez criminel, assez insensé pour oser porter la main sur la personne royale…
– Maintenant, reprit Catherine avec son plus gracieux sourire, le roi ayant accordé audience à notre cher cousin, lui demande simplement quel est le but spécial de cette audience… Sa question n’a pas d’autre portée.
Guise regarda Henri III, qui, craignant d’avoir été trop loin et de n’être pas en mesure de sortir d’un mauvais pas, fit un signe de tête affirmatif. Une détente se produisit aussitôt dans l’assemblée: on comprit que le roi venait de reculer. Loignes, ayant terminé sa petite besogne, rengaina sa dague. Mayenne poussa un soupir qui pouvait à la rigueur passer pour le mugissement d’un bœuf. Le cardinal de Guise eut un pâle sourire. Le roi se renversa dans son fauteuil, croisa sa jambe droite sur sa gauche, et bâilla.
– Sire, dit alors Guise d’une voix raffermie, et vous, madame et reine, l’audience que Votre Majesté a bien voulu nous accorder a en effet un but spécial. Je suis venu non pas à Blois, mais précisément au château de Blois. Je suis venu non pas aux conférences, mais justement chez Sa Majesté. Et si j’ai prié mes deux frères de m’accompagner, si j’ai invité tout ce que je connaissais de gentilshommes amis à me suivre ici, c’est que j’avais à dire des paroles solennelles… et j’eusse voulu que toute la noblesse de France fût présente dans ce salon…
– Qu’à cela ne tienne! dit hardiment le roi. Qu’on ouvre les portes, et qu’on fasse entrer tout le monde!…
Cet ordre fut immédiatement exécuté. La porte du salon ouverte à double battant, un huissier cria:
– Messieurs, le roi veut vous voir!…
Alors, tous les seigneurs qui attendaient dans l’escalier et sur la terrasse entrèrent. Le salon fut bientôt bondé. Ceux qui ne purent entrer s’arrêtèrent sur le palier et jusque sur les marches de l’escalier. Une intense curiosité pesait sur cette foule assemblée.
– Mon cousin, dit le roi, vous avez maintenant un auditoire à souhait. Parlez donc hardiment.
– Je parlerai avec plus de franchise encore que de hardiesse, dit le duc de Guise. Sire, lorsque j’ai eu l’honneur de vous voir à Chartres, je vous ai dit que votre ville de Paris réclamait à grands cris la présence de son roi dont elle ne peut se passer, sous peine de dépérir. Maintenant, sire, j’ajoute: c’est le royaume entier qui réclame la fin des discordes, et supplie Sa Majesté de reprendre visiblement les rênes du gouvernement. À tort, bien à tort, sire, moi Henri Ier de Lorraine, duc de Guise, j’ai été considéré comme un brandon de guerre civile. À mon grand regret, ceux qui voulaient porter le trouble dans le royaume ont espéré trouver en moi un chef de révolte, alors que je suis seulement le chef de l’une des armées royales. Ces espérances des fauteurs de troubles seraient encouragées par moi si d’une voix haute je n’y mettais un terme. Sire, je suis venu loyalement et franchement déposer mon épée à vos pieds et vous proposer une réconciliation solennelle, si toutefois il y a jamais eu de véritable querelle…
– Et il n’y en a jamais eu! cria la reine mère.
Il serait difficile de donner une idée exacte de la stupéfaction qui se peignit sur le visage des gentilshommes tant guisards que royalistes, lorsque le duc de Guise eut achevé de parler. Pour les uns, c’était l’effondrement subit, inexplicable et inexpliqué d’une conspiration qui durait depuis quinze ans. Pour les autres, c’était une instinctive méfiance devant une attitude si nouvelle chez l’orgueilleux duc.
Une vingtaine seulement des plus intimes du duc de Guise demeurèrent parfaitement calmes. Ceux-là savaient à quoi s’en tenir. Quant à Henri III, s’il fut étonné, joyeux ou non, nul ne put le savoir, car son visage demeura impénétrable. Seulement, il regarda sa mère qui lui fit un signe et qui dit:
– Voilà de nobles paroles que vient de prononcer là notre cousin… Quel dommage qu’une scène aussi attendrissante n’ait pas le seigneur Dieu pour témoin!…
Le roi était dès longtemps habitué à comprendre sa mère à demi-mot. Se levant donc et se campant le poing sur la hanche, par une attitude qui lui était naturelle, il dit:
– Monsieur le duc, seriez-vous disposé à répéter ces paroles devant le Saint-Sacrement?
Le duc eut une hésitation inappréciable, puis répondit:
– Certainement, sire! Quand Votre Majesté voudra…
– Ainsi, vous seriez prêt à faire serment de réconciliation et de bonne amitié, sur le Saint-Sacrement exposé à l’autel?…
– Je suis prêt, sire… Dès que nous serons rentrés à Paris, s’il plaît à Votre Majesté, nous irons à Notre-Dame, et…
– Monsieur le duc, interrompit le roi, il y a partout des autels, et partout on trouve Dieu quand on le cherche. La cathédrale de Blois me paraît tout aussi favorable que Notre-Dame pour un tel serment…
– Je ne demande pas mieux, sire… Quand Votre Majesté voudra… dès demain…
– Demain!… qui sait où nous serons demain? C’est tout de suite, Monsieur le duc, c’est dans l’heure qui commence que nous devons aller au pied de l’autel…
Guise eut une nouvelle hésitation; et cette fois, si courte qu’elle eût été, Catherine qui le dévorait des yeux la remarqua. Mais déjà le duc répondait d’une voix ferme:
– Tout de suite, si cela plaît à Votre Majesté!
– Crillon, dit le roi, nous allons à la cathédrale. Messieurs, vous en êtes tous. Il faut que ce soit un spectacle dont il soit parlé dans tout le royaume, et dont l’histoire garde le souvenir! Et maintenant, qu’on me laisse seul.
Tout le monde sortit, les gentilshommes guisards ou royalistes pour se préparer à la cavalcade projetée, Guise pour s’entretenir dans la cour carrée avec ses deux frères et quelques conseillers, Crillon pour préparer l’escorte royale et montrer aux Lorrains qu’il était en état de ne rien redouter. La reine mère demeura seule auprès d’Henri III.
– Eh bien, ma mère, dit gaiement le roi, nous allons donc rentrer à Paris?…
Catherine demeura silencieuse.
– Dès que les conférences seront terminées, continua Henri, nous nous mettrons en route. Eh bien, je vous avoue que j’y songe avec plaisir. Je commençais à m’ennuyer!
– Oui, dit alors la vieille reine, voilà ce qui vous tient le plus à cœur. Rentrer dans Paris! Reprendre vos amusements favoris dans le Louvre et ailleurs, courir les travestissements, préparer fêtes sur fêtes, au risque de voir se déchaîner encore les bourgeois las de payer vos folies et d’entretenir vos mignons!…
Henri III bâilla. Il subissait les mercuriales de sa mère comme des radotages de vieille femme.
– La belle avance, reprit durement Catherine, de rentrer au Louvre, si vous y rentrez diminué, fantôme de roi n’ayant plus qu’une ombre de pouvoir!
– Et pourquoi serais-je diminué? Voyons, expliquez-moi cela, ma mère. Vous savez la confiance que j’ai en votre jugement et en vos sages avis.
– Oubliez-vous donc que les états généraux sont réunis et que la liste des doléances et réclamations, si vous y faites droit, suffit à vous réduire à l’état de roi sans royaume!
– Bon! pour un ou deux d’Épernon qu’on me demande de renvoyer!…