– Et le reste! les garanties exigées! le droit accordé à vos pires ennemis de vérifier les finances…
– Le reste ne compte pas, madame! Nul ne songe sérieusement à ces doléances qui étaient une façon de me faire sentir la mauvaise humeur de la seigneurie… mais puisque me voici réconcilié avec les Lorrains…
– Vous croyez donc à cette réconciliation?
– Pourquoi n’y croirais-je pas, si M. de Guise le jure sur le Saint-Sacrement? dit Henri III avec une sincérité qui fit sourire amèrement Catherine.
Henri III qui fut à coup sûr un roi débauché – Henri III, qui ne cachait nullement son goût pour la débauche, fut certainement le roi le plus sincèrement croyant qu’il y ait eu en France. Sa piété égalait celle de Louis XI. Un serment sur le Saint-Sacrement était donc pour lui la preuve irréfutable de la bonne foi de Guise.
– Ce n’est pas, ajouta-t-il, que je croie beaucoup aux bons sentiments naturels de M. le duc: je pense au contraire qu’il ne fait ce serment que contraint et forcé. À quoi peut-il aboutir, s’il ne se réconcilie avec moi? poussé par la Ligue, il faut qu’il se déclare ou rebelle ou sujet fidèle. Il sait trop ce que la rébellion lui coûterait, et il fait sa soumission. Je ne lui en ai donc aucune reconnaissance; mais toujours est-il que s’il jure la main sur l’autel, je serai bien forcé de le croire!
– Prenez garde, mon fils!…
– Oh! madame, fit le roi se méprenant au sens de cet avertissement, Crillon aura certainement pris les précautions nécessaires… et justement le voici! ajouta-t-il pour couper court à l’entretien.
Catherine de Médicis poussa un soupir, jeta un profond regard sur son fils et se retira lentement, tandis que Crillon faisait en effet son entrée dans le salon et annonçait au roi qu’on n’attendait plus que son bon plaisir pour se mettre en route vers la cathédrale…
Le roi descendit aussitôt dans la cour carrée et sourit à la vue de ses gentilshommes qui formaient une masse imposante, à la vue plus imposante encore des gens d’armes que Crillon avait disposés. Il monta à cheval. Tous l’imitèrent aussitôt.
Le roi sortit du château précédé d’une fanfare de trompettes, d’une compagnie de mousquetaires et encadré par un triple rang de ses gentilshommes. Le duc de Guise venait immédiatement derrière lui et se trouvait ainsi séparé de ses partisans. Toute cette formidable et brillante cavalcade se dirigea vers la cathédrale dans une sorte de recueillement inquiet. On n’osait parler. Chacun se demandait si cette cérémonie ne cachait pas un guet-apens.
Le chapitre de la cathédrale prévenu en toute hâte s’était réuni, et revêtu de ses ornements sacerdotaux, attendait Sa Majesté.
Le roi mit pied à terre devant l’église où il entra aussitôt toujours silencieux, et suivi par cette foule non moins silencieuse. Guise marchait près de lui, un peu en arrière.
En un instant, la cathédrale se trouva remplie. Le roi et Guise marchèrent jusqu’au maître-autel. Le curé doyen de la cathédrale s’agenouilla alors, entouré de ses vicaires, fit une courte oraison. Puis il monta les degrés de l’autel, ouvrit le tabernacle, découvrit l’ostensoir d’or enrichi de pierres précieuses, et, tandis que les prêtres entonnaient le Tantum ergo, il se retourna en soulevant l’emblème dans ses mains levées.
Toute l’assistance était tombée à genoux; le roi avait le premier donné l’exemple et se frappait la poitrine avec une ferveur qui, à en juger par la violence des coups de poing qu’il s’administrait au cœur, devait lui attirer sans aucun doute des indulgences toutes spéciales. Enfin l’ostensoir ayant été exposé sur l’autel, le roi se releva.
– Mais, dit-il, je ne vois pas le saint Évangile. Pour un serment de cette importance, le livre sacré ne sera pas de trop à côté du très Saint-Sacrement…
Le curé doyen se hâta d’obéir et, près de l’ostensoir, exposa le volume tout ouvert sur son pupitre après l’avoir découvert de l’enveloppe de velours qui le protégeait. Le roi alors regarda fixement le duc de Guise. Celui-ci, d’un pas ferme, monta les degrés de l’autel et étendit la main droite. Un silence de mort s’étendit sur toute la cathédrale.
– Sur l’Évangile et le Saint-Sacrement, dit le duc d’une voix que tout le monde put entendre, tant en mon nom qu’au nom de la Ligue dont je suis lieutenant général, je jure réconciliation et parfaite amitié à Sa Majesté le roi…
Henri III qui jusque-là avait conservé un doute rayonna de joie, et montant à son tour, il étendit la main et dit:
– Sur l’Évangile et le Saint-Sacrement, je jure réconciliation et parfaite amitié à mon féal cousin duc de Guise et à messieurs de la Ligue…
Alors des vivats éclatèrent parmi les royalistes, tandis que les gentilshommes guisards demeurèrent sombres et silencieux. Le roi tendit la main au duc qui, profondément, s’inclina. La réconciliation était scellée!…
Radieux et réellement délivré des noirs soucis qui l’avaient accablé, Henri III ordonna à Crillon et à ses gentilshommes de rentrer au château séance tenante. Il lui fallut répéter l’ordre deux fois. Mais force fut bien à Crillon d’obéir, et le roi demeuré seul parmi les guisards:
– Messieurs, dit-il, puisque nous sommes réconciliés, il n’y a plus ni ligueurs ni royalistes; il n’y a ici qu’un roi plein de confiance en ses gentilshommes.
– Vive le roi! crièrent les guisards avec plus de politesse que d’enthousiasme.
– Monsieur le duc, reprit Henri III, veuillez m’accompagner au château avec quelques-uns de ces messieurs. Quant à vous, monsieur le cardinal, et vous monsieur de Mayenne, vous rejoindrez votre bien-aimé frère à l’heure du dîner, je vous veux tous à ma table, ce soir, et morbleu, nous célébrerons ce beau jour comme la plus belle victoire de notre règne!…
– Vive le roi! répétèrent les guisards, tandis qu’Henri III s’éloignait escorté par Guise et une vingtaine de ligueurs.
Lorsqu’ils furent partis, le cardinal de Guise, d’un geste, retint dans la cathédrale quelques gentilshommes qui, sur un mot de lui, se glissèrent rapidement parmi les ligueurs dont le flot s’écoulait, morne et désespéré comme d’une trahison. De ces allées et venues, il résulta qu’environ deux cents des principaux guisards demeurèrent dans la cathédrale dont toutes les portes furent soigneusement fermées. Lorsqu’on se fut assuré qu’il ne restait plus dans l’église personne qui ne fût affilié, le cardinal prononça ces mots:
– Messieurs, vous avez entendu le duc mon frère.
Des cris, des grondements furieux l’interrompirent aussitôt.
– C’est une infâme trahison!
– Il ne devait jurer qu’en son nom!
– Il sera condamné comme Valois!…
Le cardinal souriait en homme sûr de son effet, heureux de cette explosion de fureur. Quand la tempête se fut calmée, il reprit:
– Je vois, messieurs, que vous avez mal entendu le duc mon frère. Il a juré amitié parfaite et réconciliation, oui, mais à qui?…
– Au roi!… Au roi!… vociférèrent les ligueurs.
– En effet, messieurs, au roi!… mais non au roi Henri III!… Mais non à Valois!… Puisque nous avons condamné Valois, Henri III n’est plus roi!… C’est donc seulement au roi de la Ligue, au roi que vous choisirez, messieurs, que le duc de Guise a juré parfaite amitié sur l’Évangile et le Saint-Sacrement. Et à mon tour je vous jure que ce serment-là, mais celui-là seulement, il est résolu à le tenir!…