C’était la sentinelle placée devant le porche, qui venait d’apercevoir Maurevert. Celui-ci tressaillit, s’enveloppa de son manteau jusqu’à cacher son visage et, de sa place, dit tranquillement:
– Prévenez M. Larchant qu’il y a un courrier pour Sa Majesté. Larchant, c’était le capitaine des gardes qui, sous le commandement direct de Crillon, veillait à la sûreté du château.
Ces mots «arrivée d’un courrier pour le roi» avaient le pouvoir de tout mettre en mouvement. Maurevert le savait.
La sentinelle appela, il y eut des allées et venues de lanternes. Et enfin, au bout d’une demi-heure, le capitaine Larchant parut, s’approcha de Maurevert et, dans la nuit, chercha à le reconnaître.
– Monsieur, dit Maurevert en dissimulant son visage et changeant de voix, veuillez aller prévenir Sa Majesté la reine mère qu’il lui arrive une nouvelle missive semblable à celle qu’elle a reçue il y a huit jours.
– Monsieur, dit Larchant, êtes-vous fou? ou vous moquez-vous de moi?
– Monsieur, reprit Maurevert, prévenez à l’instant la reine qu’il faut qu’elle reçoive l’homme à qui elle a acheté cinq cent mille livres un morceau de papier…
– Monsieur, fit le capitaine, vous avez perdu la tête. Estimez-vous heureux que je ne vous fasse pas arrêter. Bonsoir!
– C’est vous qui êtes fou, dit Maurevert froidement. Car si demain, il arrive un malheur dans le château, je dirai que vous m’avez empêché de prévenir Sa Majesté, et vous serez arrêté comme complice. Bonsoir!
– Holà, un instant, monsieur. J’y vais. Mais je vous préviens que si la reine ne vous reçoit pas, et qu’elle soit mécontente d’être éveillée à deux heures du matin, je vous coupe les oreilles. Entrez au corps de garde.
Maurevert haussa les épaules et dit:
– J’attendrai dans la cour carrée. Il y a trop de lumière dans votre corps de garde. Maintenant, un dernier mot, capitaine: si je m’aperçois que vous m’avez reconnu, je serai forcé de vous tuer sur-le-champ.
Le capitaine fronça les sourcils, le sang lui monta au visage et il fut sur le point de sauter à la gorge de l’inconnu. Mais il réfléchit que s’il le tuait, ce malheur dont il avait parlé ne pourrait être évité, sans doute. Il le fit donc entrer dans la cour carrée, le mit sous la surveillance de quatre gardes, et s’éloigna rapidement. Un quart d’heure plus tard, il était de retour.
– Venez, monsieur, dit-il d’un ton d’étonnement, venez et excusez-moi. La reine vous attend…
Lorsque Maurevert fut en présence de Catherine de Médicis dans l’oratoire du rez-de-chaussée, il lui tendit la lettre en disant:
– Du prieur des jacobins à Mme la duchesse de Montpensier…
La reine dévora la terrible lettre d’un regard. Mais elle garda pour elle ses impressions.
– Il faut vous assurer de l’homme qui a apporté cette missive, dit-elle simplement.
– C’est fait, madame.
– Où est-il?…
– Dans les fossés du château, où il boit de l’eau par sa gorge ouverte pour avoir bu trop de vin chez moi.
La reine tressaillit, et jeta un regard pensif sur Maurevert.
«Celui-là a été à mon école!» songea-t-elle.
Dix minutes plus tard, Catherine de Médicis entrait dans la chambre du roi, le réveillant, et lui mettant sous les yeux la lettre de Bourgoing, lui disait:
– Sire, je vous avais demandé trois jours pour vous apporter la preuve. Trois heures m’ont suffi. Maintenant, il n’y a plus une minute à perdre!…
XXIX LES CLEFS DU CHÂTEAU
Le surlendemain, il y eut, sur convocation du roi, séance solennelle des états généraux. Après la messe qui fut célébrée par le vieux cardinal de Bourbon, Henri III se rendit à la salle des séances.
Comme pour bien marquer un contraste avec le duc de Guise, qui ne venait jamais au château qu’avec une imposante escorte, le roi avait donné l’ordre de placer dans la grande salle le nombre de gardes strictement exigé par l’étiquette. Cette preuve de confiance absolue inquiéta la noblesse et stupéfia le clergé. Le Tiers fut le seul à l’approuver par l’attitude plus déférente qu’il prit.
Quant à Guise, en voyant que le roi ne venait escorté que de quelques gardes, il pâlit et expédia aussitôt Mayenne dans la cour carrée pour recommander à ses gentilshommes de se tenir prêts à tout.
Le roi prit place sur son trône, et Guise, en sa qualité de grand maître, s’assit devant lui, au pied des degrés. Alors le roi commença un assez long discours dans lequel il établit en substance que le royaume était fatigué de ces luttes intestines, et qu’il fallait en finir. Il adjura fortement les trois ordres de l’aider à pacifier les consciences, et pour preuve de cette pacification des consciences, se déclara prêt à entreprendre l’extermination de l’hérésie. Puis, il affirma qu’il rendait les députés responsables devant Dieu et les hommes s’ils ne le secondaient loyalement dans ses intentions.
En quittant la salle des séances, le roi avait regagné ses appartements et tenu réception dans le salon d’honneur qu’on montre encore aux voyageurs visitant le château de Blois. Peut-être le duc de Guise avait-il répandu quelque mot d’ordre parmi les siens, car les députés de la noblesse se montraient joyeux et empressés, ce qui terrorisait le malheureux roi en proie aux affres de l’épouvante et s’attendant à chaque instant à recevoir le coup de poignard.
Cependant, Henri III faisait bon visage parmi tous ces ennemis mortels qui lui souriaient. Et c’eût été un effroyable spectacle pour l’Asmodée qui eût pu, sous ces masques, lire clairement la terreur et la haine. Et il ne fallait pas peu de courage à Henri III pour se montrer paisible. Il était d’ailleurs soutenu par le regard fixe et ferme de Catherine, qui ne le quittait pas des yeux et jouait cette suprême partie avec la force d’âme et l’intrépidité d’une mère qui veut sauver son fils…
Son plan était admirable. Il consistait à inspirer à Guise une sécurité absolue.
Le roi commença par prendre à part le duc de Mayenne et lui promit le gouvernement du Lyonnais. Mayenne se confondit en remerciements sincères, et dans son gros bon sens pensa:
«Ouais!… Si Henri tient parole, il me donne plus que ne me donnerait mon frère. Seulement… tiendra-t-il parole?…»
Au cardinal de Guise, Henri III promit la légation d’Avignon. À M. d’Espinac qui venait de lancer un libelle contre lui, il dit à haute voix:
– Un homme de votre valeur est précieux. À dater d’aujourd’hui, vous faites partie de mon conseil privé.
Rencontrant Maineville, il ajouta:
– Je sais combien M. le duc vous estime. Cela seul me serait un garant si je n’avais pour vous la même estime. Monsieur de Maineville, j’ai donné l’ordre à ma chancellerie de préparer votre brevet de nomination au Conseil d’État.
Pendant une heure, selon une liste arrêtée dans la nuit même, le roi fit pleuvoir les faveurs autour de lui… Les royalistes enrageaient, les ligueurs allaient d’étonnement en stupéfaction… Guise songeait:
«Il se livre à nous pieds et poings liés…»
Enfin, après avoir évolué, souri, chuchoté des promesses, distribué des rentes, Henri III, sur un signe de sa mère, porta le dernier coup.
– Monsieur le duc? fit-il à haute voix.
– Me voici, sire! dit le duc de Guise qui, tout en surveillant ces évolutions du coin de l’œil, causait d’un air riant avec Crillon.