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À l’appel du roi, le Balafré s’élança et s’inclina devant Sa Majesté.

– Vous êtes grand maître, duc? fit le roi.

– Je le suis, en effet, répondit Guise.

– Comment se fait-il, en ce cas, que vous ne jouissiez pas pleinement de toutes les prérogatives attachées à votre dignité?…

– Sire… je ne comprends pas, dit le Balafré sur ses gardes.

– Morbleu! reprit Henri III en jetant un regard de colère sur sa mère et sur Crillon, je veux que toutes ces défiances finissent! Je veux que la paix ne soit pas seulement dans les paroles, mais dans les actes!… Je ne veux plus de ces suspicions qui me rompent la tête, et puisque c’est le grand maître qui doit tenir les clefs du château, dès ce soir, duc, vous aurez les clefs!…

À ces mots, il se fit un grand silence, puis presque aussitôt un grand murmure où il y avait de la stupéfaction chez les royalistes, une joie sourde chez les guisards, et presque de l’admiration pour tant de confiance.

C’était en effet une des prérogatives du grand maître que de détenir et d’emporter tous les soirs les clefs du château. Mais jamais Guise n’eût osé la réclamer, cette prérogative, sous peine d’avouer ouvertement qu’il avait de mauvais desseins contre le roi. Henri III, en offrant lui-même de confier les clefs du château au duc de Guise en de pareilles circonstances, faisait donc preuve ou d’une sublime confiance, ou d’un incroyable aveuglement.

On peut dire que c’était là un coup d’une prodigieuse habileté. Ses résultats immédiats furent: d’une part, que les seigneurs royalistes se promirent de veiller plus que jamais à la sûreté du roi; d’autre part, que les Guise se trouvèrent comme déroutés, désemparés. Leur plan d’attaque était changé: il fallait ou se servir de ce nouvel avantage, ou étudier les pièges qu’il pouvait cacher.

Cette nouvelle situation des esprits se traduisit par une sorte de trêve tacite, comme était tacite le formidable duel engagé entre les deux partis.

Le roi avait-il préparé un guet-apens? Ou bien réellement se livrait-il?… Voilà la question qui se posait.

La trêve dura un mois, c’est-à-dire jusqu’aux environs de la Noël. Pendant ce temps, il y eut force conciliabules en différentes maisons de la ville. Pendant ce temps aussi, la duchesse de Nemours, mère des Guise, arriva à Blois. Pendant ce temps, enfin, le roi accumula les preuves de son effacement, on eût pu dire de son écroulement.

Il n’en est pas dans l’histoire de beaucoup plus dramatiques et émouvantes que celle-ci.

Pour revenir à la scène que nous racontions, le duc de Guise, lorsque le roi eut fini de parler, dut faire un violent effort sur lui-même pour ne trahir ni la joie ni l’inquiétude qui l’envahissait à la fois. Ce qui lui parut le plus favorable dans cette minute critique, ce fut d’être aussi naturel que le roi l’avait été. En conséquence, il s’inclina de l’air d’un homme qu’une pareille proposition n’avait pu surprendre, et dit:

– Je remercie Votre Majesté de l’honneur qu’elle veut bien me faire. Je garderai les clefs du château, puisque le roi le veut. Mais je ne les garderai qu’autant que cela plaira à Votre Majesté, car il n’est jamais entré en mon esprit de réclamer pour moi l’application d’un privilège aussi périlleux…

Guise, comme nous avons pu le voir déjà, manquait d’à-propos dans ses réparties. Peu s’en fallut que le roi ne lui répondît: «Mais, monsieur, c’est non seulement un privilège pour vous, mais encore un devoir de garder les clefs, car en votre qualité de grand maître, vous êtes préposé à ma sûreté personnelle…»

Un regard de Catherine arrêta le roi à temps. Il se contenta de sourire et, ayant fait appeler le capitaine Larchant, lui donna l’ordre de remettre tous les soirs au duc de Guise les clefs de la forteresse.

XXX AUX APPROCHES DE NOËL

Le 15 décembre 1588, il gela à pierre fendre. Le roi fit annoncer qu’il était malade et qu’il n’y aurait point conseil. En conséquence, le duc de Guise, qui au matin s’était présenté comme d’habitude aux appartements royaux, s’en retourna chez lui avec ses frères. L’escorte composée d’une centaine de gentilshommes qui ne le quittaient jamais sortit du château avec les Guise. Les courtisans royalistes s’en allèrent aussi, le roi ayant dit qu’il ne quitterait pas la chambre. Bientôt il n’y eut plus dans le château que les gens d’armes, les sentinelles et les patrouilles parcourant d’un pas pesant les cours et les couloirs de quart d’heure en quart d’heure. Dans les appartements du roi, il n’y eut plus que le service ordinaire de Sa Majesté. Quant à la ville, elle était déserte. Chacun demeurait chez soi. Le froid semblait avoir arrêté tout mouvement. Il ne neigeait pas, mais le ciel était gris et triste. La Loire charriait des glaçons. Un lourd silence pesait sur le château, la ville et sur toutes choses…

Et c’était un silence d’une infinie tristesse, lourd d’angoisse et de menaces.

Dans la chambre du roi, un bon feu de hêtre flambait au fond de la cheminée monumentale. Henri III, pensif et pâle, était assis près de la cheminée; parfois il jetait un regard sur la fenêtre comme pour interroger le silence extérieur. Il était assis à droite du feu, face à la fenêtre. À gauche de la cheminée était assise Catherine de Médicis, plus immobile, plus pâle dans ses voiles noirs, plus spectrale que jamais. Et elle était là comme la figuration visible de ce silence glacé, de cette angoisse et de cette menace qui étaient au fond de l’air, au fond de toutes choses…

Un gentilhomme entra. Il était si bien enveloppé dans son manteau qu’il eût été impossible de voir son visage. Mais le roi et la vieille reine n’avaient pas besoin de le voir sans doute.

– C’est pour bientôt, dit le gentilhomme à voix basse.

– Quand? demanda Catherine, tandis que frissonnait le roi.

– Je ne sais pas le jour exact, qui n’est pas fixé. Mais ce sera avant Noël. Dès que le jour sera fixé, vous le saurez, Majestés.

Le roi remercia de la tête, sans un mot. Et la reine dit:

– Vous pouvez vous retirer. Toujours par le petit escalier…

Le gentilhomme s’inclina et sortit. Alors le roi murmura:

– Un fier sacripant, ce Maurevert!…

La reine, cependant, s’était levée et avait ouvert une porte. Le roi n’avait pas bougé de son coin de cheminée, et tendait ses mains vers le feu, bien qu’en réalité il fît chaud dans la chambre. Alors un certain nombre de gentilshommes, une quinzaine environ, entrèrent chez le roi, et la vieille reine elle-même referma la porte. Il faut ajouter que les deux pièces sur lesquelles ouvrait la chambre, l’une vers les jardins, l’autre vers la cour étaient gardées, non par des gens d’armes ou des valets, mais par des gentilshommes, de façon que nul au monde ne pût approcher et entendre ce qui allait se dire. Lorsqu’elle eut refermé la porte et rejoint sa place, Catherine se tourna vers ceux qui venaient d’entrer et dit:

– Asseyez-vous, messieurs…

Les gentilshommes s’assirent aussitôt sans objection, car il semblait que la distance qui les séparait du roi eût été sinon effacée, du moins très diminuée. Parmi ces gentilshommes, il y avait Crillon, le capitaine Larchant, Montsery, Sainte-Maline, Chalabre, Loignes, Déseffrenat, Biron, Du Guast, d’Aumont, et d’autres. Quand ils furent tous assis, le roi qui était à demi penché vers la flamme du foyer se redressa, les regarda un moment et dit d’une voix très calme:

– Messieurs, le duc de Guise veut m’assassiner…