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Crillon, pensif, examinait avec une sorte d’émotion la physionomie paisible de cet homme qui lui parlait aussi simplement d’aussi redoutables circonstances.

– Savez-vous, dit-il enfin, que c’est bien grave ce que vous me demandez là?

– J’ai commencé par proclamer moi-même la gravité de la chose… ainsi!…

– Savez-vous qu’en somme je ne vous connais pas beaucoup?

– Oui, mais moi, je vous connais, et c’est l’essentiel… Voyons, qu’avez-vous sur la conscience? Parlez sans crainte de me vexer…

– Je vais vous dire une chose que je ne pense pas, dit Crillon: donc elle ne peut vous blesser, et j’aimerais autant me traiter moi-même de félon que de porter contre vous une accusation.

– Dites toujours, fit le chevalier en souriant.

– Eh bien, mon cher, vous auriez envie de tuer le roi que vous n’agiriez pas autrement.

– Dame… c’est bien possible. Il est certain que la volonté de tuer et la volonté de sauver peuvent se traduire par des gestes à peu près semblables. Donc, je comprends et approuve votre doute…

– Vraiment? s’écria le brave Crillon rayonnant.

– Pourquoi pas? Seulement je vous préviens que si vous ne m’introduisez pas au château, je serai forcé d’y entrer tout de même et malgré vous. Or, dans une embuscade de ce genre, j’eusse préféré vous avoir comme ami…

– Et aussi le suis-je, par le mortbœuf! Voyons. Je me fie à vous entièrement. Que voulez-vous?

– Entrer au château le jour et l’heure qui seront nécessaires. Y entrer secrètement, et être placé de telle sorte que pour arriver au roi, il faille d’abord me rencontrer.

– Je m’y engage sur ma parole, dit Crillon. Seulement, comment serai-je prévenu de ce jour et de cette heure?…

– Je vous enverrai quelqu’un de confiance.

Ces mots une fois prononcés, les deux convives parlèrent d’autre chose. Crillon comprenait que c’était une résolution suprême qui venait de se prendre et que ce qui se préparait, c’était un de ces actes qui changent le sort des États. Pardaillan, de son côté, ayant la parole de Crillon, se garda d’insister. Enfin, comme sept heures approchaient, Crillon se leva en disant:

– Voici le moment d’aller établir le service de nuit… Si, avant de recevoir la visite de votre homme de confiance, j’avais besoin de vous voir ou de vous parler?…

– Ici, mon cher capitaine. Je n’en bouge pas. J’y suis reclus comme un moine en cellule.

Les deux hommes se serrèrent une dernière fois la main en s’assurant de leur mutuelle estime. Lorsque Crillon fut parti, Jacques Clément entra.

– Vous avez entendu? demanda Pardaillan.

– Tout, dit Jacques Clément. Entendu et compris.

XXXII AUX APPROCHES DE NOËL (fin)

Dans un de ces vieux hôtels comme il en existe encore à Blois, il y avait en cette soirée une réunion brillante par la qualité des gens qui la composaient, mais peu nombreuse. Les abords de cet hôtel étaient soigneusement surveillés par une triple chaîne de sentinelles perdues, c’est-à-dire de gentilshommes disposés de distance en distance.

Nous suivrons un homme qui, vers huit heures du soir, sortit de cette mauvaise hôtellerie où le malheureux frère Timothée avait fait son dernier repas que, pour comble, il n’avait même pas eu le temps de digérer. Cet homme, c’était Maurevert. Il s’avançait avec d’étranges précautions. Sous son manteau, il tenait sa dague à la main. Il sondait pour ainsi dire le terrain, et ne s’aventurait dans les opaques ténèbres glaciales qu’avec la certitude de n’y être point heurté par quelque ennemi ou truand.

Pourtant, il n’y avait pas de coupe-jarrets ni de coupe-bourse… Ou s’il y en avait, ce n’était pas cette sorte de gens que redoutait Maurevert, avec une terreur qui le faisait s’arrêter parfois et regarder derrière lui, et d’autres fois se coller soudain contre un mur. Il faisait grand froid. Mais Maurevert essuyait la sueur qui coulait de son front. Quelquefois, il haussait les épaules et murmurait:

– Je suis fou… Si c’était de lui que parlait la lettre du prieur, je l’aurais déjà vu… j’ai battu Blois de fond en comble…

En même temps, Maurevert distingua une ombre qui lui barrait le passage de l’étroite rue. Maurevert avait bondi; mais en reconnaissant que cette voix, toute menaçante qu’elle fût, n’était pas celle qu’il attendait, il se rassura aussitôt et répondit:

– Pourquoi ne passerais-je pas? Est-ce que Léa l’aurait défendu?

– Non, monsieur, si vous me dites chez qui vous allez.

– Je vais chez Myrthis, dit Maurevert.

– C’est bien. Passez, fit la sentinelle inconnue.

Une fois encore, Maurevert fut arrêté dans la rue et donna un deuxième mot de passe. Enfin, à la porte de l’hôtel où avait lieu la réunion que nous avons citée, il échangea une troisième parole de reconnaissance.

Lorsque Maurevert fut à l’intérieur de l’hôtel, nul ne s’occupa de lui: du moment qu’il était parvenu jusque-là, il devait connaître parfaitement la maison. D’ailleurs, à peine le vestibule du rez-de-chaussée franchi, Maurevert ne trouva personne pour le guider. Mais il paraît qu’il n’avait nullement besoin d’être guidé, car il monta hardiment le large escalier monumental qui s’ouvrait presque sur le vestibule.

Cet hôtel paraissait désert. Il y régnait un profond silence. Et si le vestibule était à peine éclairé par un falot accroché au mur, le reste de l’hôtel ne l’était pas du tout.

Maurevert monta jusqu’au premier étage. Partout même silence et mêmes ténèbres.

Au deuxième étage qu’il gagna, aucun changement: la solitude absolue, et même un air de moisi, comme si l’hôtel eût été inhabité depuis de longues années.

Maurevert monta plus haut. C’est-à-dire qu’il gagna les combles. Là, du fond d’un couloir, sortait une sorte de rumeur confuse comme celle de plusieurs personnes qui parlent. Ce fut vers ce fond de couloir que se dirigea Maurevert.

Mais au lieu de pousser la porte derrière laquelle s’élevait cette confuse rumeur, il tourna brusquement à droite, dans un embranchement de couloir. Ce couloir contournait une salle immense qui était le grenier de cet hôtel. C’est dans ce grenier qu’avait lieu la réunion.

Maurevert, avons-nous dit, contourna, par un étroit couloir, et aboutit dans une petite pièce, étroite, sombre, qui ne devait guère être habitée que par les souris ou les araignées. Il n’y avait pas de porte à ce réduit. C’est-à-dire qu’on y entrait directement au bout du couloir en question.

Maurevert alla jusqu’au fond de la pièce. Là, dans le mur, à peu près à hauteur d’homme, il dérangea une brique. Et alors un rayon de lumière tamisée passa par ce trou. Ce trou était masqué dans l’autre salle par un treillis qui se confondait avec les tapisseries.

De là, Maurevert pouvait voir et entendre tout ce qui se disait et se passait dans le grand grenier. Il se mit donc à écouter et à regarder, puisqu’il n’était venu que pour cela.

Nous avons dit que la réunion était peu nombreuse, mais qu’en revanche, elle était fort brillante par la qualité des gens qui s’y trouvaient. C’étaient d’abord la duchesse de Nemours, accourue à Blois depuis peu. Les trois frères: le duc de Guise, le duc de Mayenne et le cardinal. Puis le duc de Bourbon. Plus la duchesse de Montpensier.