Выбрать главу

C’était, en somme, un conseil de famille. Il paraît que Maurevert arrivait trop tard et que la conférence était finie, car au moment même où il dérangeait la brique, la duchesse de Nemours, le cardinal de Bourbon, le duc de Mayenne et le cardinal de Guise se retiraient. Il ne resta que le duc de Guise et Marie de Montpensier. Celle-ci, alors, se dirigea vers une porte qu’elle ouvrit, et dit:

– Vous pouvez entrer, messieurs…

Un certain nombre de gentilshommes, parmi lesquels se trouvaient Maineville, Bussi-Leclerc, Bois-Dauphin, Espinac et d’autres pénétrèrent aussitôt dans le grenier.

– Nous sommes au complet? dit le duc.

– Il manque Maurevert, fit Maineville.

– Maurevert, s’écria la duchesse de Montpensier, je ne l’ai pas convoqué et ne lui ai pas fait parvenir les mots de passe. Il a depuis longtemps de singulières attitudes. Un homme à surveiller, messieurs…

Maineville eut une légère contraction des sourcils. Ce n’est pas qu’il s’indignât de l’accusation portée contre son ami; mais il s’en inquiétait, car il avait lui-même, dans la journée, donné les mots à Maurevert. Cependant, il ne dit rien et garda pour lui ses appréhensions.

– Messieurs, dit le duc de Guise, nous avons reçu des renseignements du château. Il paraît qu’il y a chez Sa Majesté de forts soupçons contre moi, et ce, malgré le serment que j’ai fait de bonne amitié au roi…

Il y eut des ricanements.

– Que devons-nous faire en pareille occurrence? reprit Guise.

– Monseigneur, fit l’un des conjurés, vous connaissez Du Guast. C’est un ambitieux et un esprit cauteleux. Il sert le roi pour le moment. Mais je suis arrivé à lui arracher quelques mots qui valent en ce moment tout un conseil…

– Et quels sont ces mots, Neuilli?…

– Les voici, monseigneur, dit Neuilli d’une voix émue: «Dites à votre duc – c’est Du Guast qui parle, vous comprenez – dites à votre duc qu’il ferait bien d’aller faire un tour à Paris. L’air de Noël ne vaut rien sur les bords de la Loire…» Voilà ce qu’a dit Du Guast.

– Et vous concluez?…

– Je conclus, monseigneur, que non seulement Valois a des soupçons, mais que peut-être il vous veut devancer. Je conclus que nous devons remettre la partie…

– Qui quitte la partie la perd! s’écria aigrement la duchesse en agitant ses ciseaux d’or.

– Cependant, madame, si l’illustre duc qui est le chef suprême de la Ligue venait à périr, faute d’un peu de patience, que deviendrions-nous, tous autant que nous sommes?… Monseigneur, je renouvelle mon avis, et vous supplie de quitter Blois dès demain, car je crois en mon âme et conscience que le danger de mort, à cette heure, est aussi grand pour vous que pour Valois…

– Neuilli, fit le duc, quand je verrais la mort entrer par cette fenêtre, ce ne serait pas une raison pour que je sorte par cette porte. S’il doit y avoir bataille, tant mieux, de par Notre-Dame!… Mais pour vous dire mon sentiment, je crois bien que Valois a des soupçons, mais qu’il ne peut prendre contre moi aucune résolution mortelle…

– Vous en prenez bien contre lui! Pourquoi n’en prendrait-il pas contre vous?

– Il n’oserait! répondit Guise avec cette superbe assurance qui était le fond de son caractère. Messieurs, ajouta-t-il, puis-je compter sur vous?

Tous étendirent la main. Il y eut un instant de poignante émotion.

– À la vie jusqu’à la mort! dit Bussi-Leclerc.

– Jusqu’à la mort! répétèrent les autres.

– Eh bien, puisqu’il en est ainsi, je dois vous dire que le jour et l’heure sont désormais arrêtés et que rien maintenant ne saurait empêcher Henri de Valois de succomber le 23 de décembre à dix heures du soir… rien! sauf une intervention du Ciel.

Les gens qui entouraient Guise ne purent s’empêcher de pâlir et de frissonner tant le duc avait mis d’âpre solennité dans ces paroles.

Devant le fait à accomplir, peut-être en voyaient-ils l’énormité. Jusque-là, toutes leurs réunions, leurs résolutions n’avaient abouti qu’à du vague. Cette fois, c’était précis, formel, terrible: la chose devait avoir lieu le 23 décembre à dix heures du soir. La date exacte étant connue, le meurtre de Valois sortait déjà du domaine des irréalités.

– Voici comment il sera procédé, reprit le duc. C’est ce qui vient d’être arrêté entre mes frères et moi. Chacun de vous, messieurs, est chef d’une compagnie de gentilshommes dont vous aurez la liste à l’instant…

La duchesse de Montpensier remit à chacun des assistants une feuille de papier sur laquelle étaient inscrits des noms.

– Messieurs, continua alors le duc, vous étudierez soigneusement ces listes, et vous ôterez de votre pleine volonté ceux qui ne vous semblent pas décidés à mourir s’il faut mourir. Vous avez ainsi chacun de trente à quarante gentilshommes sous vos ordres. Vous les préviendrez dans l’après-midi du 23 décembre qu’ils aient à se tenir prêts à huit heures du soir, à l’endroit spécifié pour chaque compagnie. Ces endroits ne sont pas encore convenus, messieurs. Chacun de vous les connaîtra le 23 à midi…

Ils écoutaient en silence, en ces attitudes raidies que donne l’émotion des choses irrévocables. La voix de Guise qui retentissait seule dans ce silence, avait on ne sait quoi de solennel et de funèbre. Le Balafré continua:

– L’attaque se fera sur trois points; il y aura donc trois corps d’attaque: un sous les ordres du cardinal, un autre dirigé par Mayenne, et le troisième commandé par moi. Lorsque chacune de vos compagnies seront réunies à huit heures du soir, vous saurez avec quel corps chacun de vous devra marcher. Voilà, messieurs, dans ses lignes principales, le plan d’attaque dont j’espère que nous verrons l’entière exécution dans le château…

Et avec une sorte d’ironie plus funèbre:

– L’exécution de ce plan nous a été inspirée par ce fait que les clefs du château sont en notre pouvoir tous les soirs. Il n’y aura donc qu’à entrer… et…

– Tuer! dit violemment Bussi-Leclerc… Tuer tout!… Mort du diable! la belle tuerie que nous allons avoir!

Maurevert avait assisté à toute cette scène, avait tout vu, tout entendu. Aux derniers mots du Balafré, il comprit que la conférence allait être terminée. Il remit donc en place la brique qu’il avait dérangée, s’enveloppa de son manteau et s’éloigna rapidement. Dans le vestibule, il eut à donner pour sortir un mot de passe qui n’était pas celui qu’on donnait pour entrer.

La rue était libre. Maurevert regagna en courant son hôtellerie où il entra sans réveiller personne grâce à l’escalier extérieur. Il se coucha à tâtons, sans allumer de flambeau, et le coude sur le traversin de son lit, l’oreille tendue, il écouta…

Maurevert avait sagement fait de se hâter. En effet, après quelques mots que Guise avait ajoutés, les conjurés s’étaient dispersés. Maineville, en sortant du mystérieux hôtel, s’était dirigé en courant vers l’hôtellerie où logeait Maurevert.

Il réveilla l’hôte à grand vacarme et se fit conduire aussitôt à la chambre de Maurevert. La porte n’était pas fermée à clef. Il ouvrit brusquement et entrant une lampe à la main, jeta un regard avide sur le lit, comme s’il eût pensé de n’y pas trouver Maurevert… Mais Maurevert était là… profondément endormi.

Maineville referma la porte, posa sa lampe sur la table, et s’approchant du lit, examina un instant ce compagnon d’armes dont il était l’ami depuis si longtemps. Évidemment, Maurevert était couché depuis le commencement de la soirée… Il dormait régulièrement d’un sommeil paisible. Maineville songea: