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La banquette bondit dans l’espace. Il y eut un hurlement d’imprécations sauvages, des menaces apocalyptiques éclatèrent dans l’escalier où la dégringolade épouvantée des gardes déchaîna un tumulte. Larchant avait bondi en arrière et, aplati contre le mur, avait vu passer à quelques pouces de son visage le formidable engin. Quand le tumulte s’apaisa, il constata que l’un des gardes gisait, le crâne fracassé, et que quatre autres, contus, moulus, se retiraient de la bagarre en gémissant.

Fausta avait assisté à cette débandade avec un étrange sourire. Elle vit les gardes se reformer. Elle entendit le capitaine Larchant hurler furieusement:

– En avant, misérables lâches! En avant, ou je vous étripe!…

Et de nouveau la ruée des gardes à l’assaut remplit l’escalier de vociférations. Alors, elle vit ceci:

Pardaillan se retournait vers l’une des statues de marbre qui garnissaient le palier, statue presque de grandeur nature. Elle représentait Pallas, déesse de la sagesse.

Et Pardaillan empoignait la belle Pallas, la déracinait de son socle, la soulevait dans ses bras, et brusquement, au moment où les gardes allaient atteindre le palier, Pallas décrivait dans l’air une parabole, rebondissait, sautait de marche en marche, et finalement se brisait à grand fracas, parmi les plaintes des éclopés, les rugissements de Larchant, la fuite affolée des survivants…

Pardaillan se pencha. La troupe à demi décimée s’était massée au bas de l’escalier.

– Monsieur le capitaine, cria Pardaillan, voulez-vous nous laisser sortir? Je vous préviens que j’ai encore un Bacchus, un Mercure et un Jupiter à vous briser sur la tête…

Fausta songeait:

«Les erreurs du hasard ont d’incalculables répercussions. Supposons que j’aie rencontré Pardaillan au lieu de Guise, il y a trois ans; aujourd’hui, je serais maîtresse de l’univers chrétien…»

– Monsieur, répondait Larchant, je vais vous charger, et tout ce que je puis faire pour vous en estime de votre courage, c’est de vous prendre mort pour ne pas vous livrer vivant au supplice qui vous attend.

– Allons, rendez-vous! dit Pardaillan avec une tranquillité qui fit écumer le capitaine.

– Par la tête et le ventre! par les tripes! par les cornes! rugit Larchant, il ferait beau voir que quinze gardes se rendissent à un seul homme! Attention, vous autres!

Ivre de fureur, Larchant se mit à ranger ses hommes et leur donna ses instructions. Il finissait à peine, qu’un horrible fracas retentit au-dessus de sa tête; une chose énorme tombait en se heurtant à la rampe… c’était le lampadaire.

Cette magnifique pièce de l’art Renaissance consistait en un fût de colonne supportant sept branches; le fût était vissé au tournant de rampe du palier; et Pardaillan, tandis qu’il parlait au capitaine, s’était mis à dévisser le monstre de bronze.

Au moment où Larchant achevait de ranger ses hommes, Pardaillan imprima une secousse violente au lampadaire qui tomba, s’abattit, pareil à un gigantesque oiseau de mort… et cette fois, ce fut effroyable… Larchant s’abattit, une jambe brisée, trois hommes s’affaissèrent, tués net, quatre autres, blessés, se mirent à hurler et les derniers, après un moment de stupeur épouvantée, reculèrent en désordre jusque dans la cour.

– Suivez-moi! dit Pardaillan d’un ton bref.

Il s’élança, la rapière au poing et Fausta derrière lui. En quelques secondes, ils furent dans la cour.

– Aux chevaux! cria Pardaillan à Fausta.

En même temps, il fonçait sur les dix ou douze gardes rassemblés dans la cour.

– Tue! tue! vociféra Larchant en essayant de se relever.

Fausta bondit jusqu’à l’écurie, en sortit deux chevaux et sauta sur l’un d’eux.

– À sac! à mort! hurlaient les gardes en tâchant d’entourer Pardaillan.

Celui-ci reculait jusqu’au cheval. Sa rapière voltigeait, cinglait, piquait… Tout à coup, il sauta en selle, et piquant des deux, bondit au milieu des gardes.

– La porte! fermez la porte! hurla le capitaine Larchant.

Mais déjà Pardaillan l’avait franchie, en assénant un dernier coup de pommeau à un garde qui saisissait la bride de son cheval. Il s’élança à fond de train, suivi de Fausta. À ce moment, une troupe de quarante hommes d’armes commandés par Crillon en personne et montés sur de solides chevaux apparaissait à un bout de la rue, tandis que Pardaillan et Fausta disparaissaient à l’autre bout.

Crillon, prévenu de la résistance désespérée qui était opposée aux gens du roi dans l’hôtel de Fausta, était accouru. Dans la cour, il vit le désordre des gardes effarés. Dans le vestibule de l’escalier, il vit les morts, les blessés; sur les marches, il vit les débris de marbre et de bronze.

– Un damné, gronda Larchant. Un démon! Un fou furieux! Je crois bien, monsieur de Crillon, que c’est votre protégé!…

– Pardaillan!…

– C’est cela même! Ah! l’infernal truand!… Courez!…

– En voyant ce massacre, dit Crillon, son nom m’est venu au bout de la langue. Voilà un tableau qui ne pouvait être que signé Pardaillan.

– Courez! Mais courez donc! fit Larchant furieux, oubliant qu’il parlait à son chef.

– Bah! fit Crillon, il est loin!…

– Monsieur, dit une voix près de lui.

Crillon se retourna et dit:

– Que vous plaît-il, Monsieur de Maineville?…

– Monsieur de Crillon, fit Maineville, nous sommes vos prisonniers, n’est-ce pas?

– Oui. Après?…

– Vous nous conduisez à Loches?

– Oui. Après?…

– Eh bien, monsieur!, voici M. de Bussi-Leclerc et moi, Maineville, qui avons déjà un vieux compte à régler avec le Pardaillan. Maintenant que notre seigneur le duc de Guise est mort, ce compte devient terrible…

– Après? fit Crillon.

– Laissez-moi courir après le Pardaillan. Nous vous engageons notre parole d’honneur de revenir nous rendre prisonniers et nous vous rapporterons la tête du truand…

– Crillon! Crillon! vociféra Larchant, laissez courir ces gentilshommes. Je me porte caution! Et s’ils ramènent le misérable, je m’engage à obtenir leur liberté du roi.

– Allez, messieurs! dit Crillon d’un ton goguenard, et tâchez de vaincre!

Maineville et Bussi-Leclerc s’élancèrent. Alors, Crillon se baissa vers Larchant.

– Il t’a donc mis à mal? fit-il en riant.

– Une jambe cassée, dit Larchant furieux. Mais en rase campagne, il ne pourra tenir contre ces deux gentilshommes.

– Bon! maintenant qu’ils sont partis, grâce à tes instances, veux-tu que je te dise ce que j’en pense?

– Dites…

– Eh bien, mon vieux compère, ils ne reviendront pas.

– Allons donc! Ils ont donné leur parole d’honneur.

– Oh! je ne doute pas de leur parole; mais s’ils ont le malheur de rejoindre Pardaillan, ils n’auront plus jamais occasion de la tenir… ou, du moins, s’ils reviennent, ils seront fort éclopés, et ne ramèneront qu’eux-mêmes.

– Ah çà! c’est donc un terrible, ce Pardaillan?

– Tu en sais quelque chose, mon camarade! Et maintenant, veux-tu que je te dise mieux encore?