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Maurevert garda le silence. Pardaillan ne s’apercevait pas que le souffle du condamné devenait plus bref, plus pénible, et tournait au râle d’agonie… Maurevert ne vivait plus… il était en agonie… Pardaillan le considéra un instant. Une sorte de pitié emplit ses yeux. Il se rapprocha d’un pas, jusqu’à toucher presque Maurevert, et alors, d’une voix étrange, à la fois rude et douce, il prononça:

– Puisque tu ne réponds pas, c’est moi qui choisirai ton supplice. Et le voici…

À ces mots, Pardaillan toucha du bout du doigt la poitrine de Maurevert, à l’endroit où il voyait battre le cœur. À ce contact, ce cœur eut un sursaut terrible. Maurevert ouvrit la bouche toute grande, et ses yeux se révulsèrent… Il demeura appuyé au tronc d’arbre, sur ses jambes fléchissantes, et il semblait n’être plus maintenu que par le doigt de Pardaillan appuyé sur sa poitrine. Pardaillan ne vit aucun de ces signes… Il regardait en lui-même…

– Ton supplice, continua-t-il, le voici: il durera des années; il durera tant que tu vivras; c’est un supplice de honte; toute ta vie, tu te diras que t’ayant haï, t’ayant poursuivi, t’ayant atteint, t’ayant tenu en mon pouvoir, je t’ai méprisé assez pour te laisser vivre!… Maurevert, tu ne mourras pas!… Assassin de Loïse, voici ton châtiment, Pardaillan te fait grâce!

À ce moment, aussi, le cadavre de Maurevert n’étant plus soutenu, s’inclina sur le côté et s’affaissa mollement…

Pardaillan tressaillit, se pencha sur lui avec une curiosité presque morbide, avec une sorte d’étonnement mystérieux, et alors, seulement, il vit que Maurevert était mort!…

Mort!…

Maurevert ne venait pas de mourir lorsque Pardaillan s’était reculé… Maurevert était mort depuis quelques instants déjà… Maurevert était mort à l’instant précis où le doigt de Pardaillan s’était appuyé sur sa poitrine… ce contact avait foudroyé son cœur…

Un médecin qui eût disséqué le corps de Maurevert eût sans doute trouvé qu’il avait succombé à la rupture de quelque vaisseau sanguin. Quant à nous, nous dirons simplement que Maurevert était mort de peur.

XXXVIII UN SPECTRE QUI S’ÉVANOUIT

Pardaillan demeura une heure immobile près de ce cadavre. Une profonde rêverie l’emportait vers les lointains horizons de sa jeunesse. C’était Maurevert qu’il avait sous les yeux et c’était Loïse qu’il voyait. Il la voyait telle qu’il l’avait vue à la minute de sa mort, au moment où la pauvre petite avait, dans un dernier effort, jeté ses bras autour de son cou et avait fixé sur lui ses yeux désespérés et radieux… contenant tout le rayonnement de l’amour le plus pur et tout le désespoir de l’éternelle séparation…

Il la voyait étendue sur sa couche; toute blanche parmi les fleurs blanches qu’on avait effeuillées sur elle… Maintenant, Loïse dormait dans le petit cimetière de Margency où elle avait voulu être enterrée…

Et maintenant, aussi, l’assassin de Loïse gisait à ses pieds, Maurevert était mort!…

Alors il sembla à Pardaillan qu’il n’avait plus rien à faire dans la vie. Mortes ses amours, mortes ses haines, il se voyait seul, affreusement seul, n’ayant plus rien pour le soutenir…

Un instant, l’image de Fausta passa devant ses yeux, mais cette image, il la regarda passer avec une morne indifférence. Puis ce fut Violetta, le petit duc d’Angoulême, et quelque chose comme un triste sourire erra sur ses lèvres…

Puis ce fut le doux visage d’Huguette, de la bonne hôtesse, et Pardaillan murmura:

– Là, peut-être, trouverai-je réellement la pierre où le voyageur repose sa tête fatiguée…

Longtemps, il fut en proie à cette dangereuse rêverie qui pouvait le conduire à nier la vie et à désespérer de tout, lui qui était une vibrante synthèse de vie, une espérance vivante et agissante. Le pas alourdi d’un bûcheron qui passait l’arracha à sa contemplation.

Il se réveilla, se secoua, et, appelant le bûcheron, le pria de lui prêter une pioche qu’il portait, et lui offrit un écu en récompense. Le bûcheron, apercevant le cadavre, obéit en tremblant. Pardaillan creusa une fosse dans la terre dure de gelée. Quand elle fut assez profonde, il y plaça le cadavre de son ennemi, le recouvrit avec la couverture de selle du cheval de Maurevert; puis il combla la fosse et rendit la pioche au bûcheron, qui lui dit:

– Ce cheval est fourbu… Puis-je le prendre?

– Oui, dit Pardaillan, car son cavalier n’en a plus besoin.

Il se dirigea alors vers son propre cheval, que cette halte prolongée avait reposé; il passa la bride sous son bras; et, à pied, suivi par la bête il prit le chemin de Châteaudun.

Une lieue plus loin, il se remit en selle, et, d’un temps de trot, gagna Châteaudun, où tout était sens dessus dessous, comme à Beaugency, à cause de la nouvelle qui, partie de Blois, se répandait à travers la France dans tous les horizons comme les ondulations de l’eau où on vient de jeter une pierre. Là, comme partout ailleurs, les partisans de Guise s’armaient, sanglotaient et criaient vengeance.

– Que m’arriverait-il, songea Pardaillan, si, m’avançant vers ces gens, je leur disais: «C’est moi qui ai tué votre duc en loyal combat?…»

Il s’arrêta dans une bonne auberge et y passa la nuit. Le lendemain matin, étant remonté à cheval, il reprit le chemin de Blois, où la première figure qu’il vit en entrant fut celle de Crillon, le brave Crillon, occupé à refouler une foule de bourgeois qui criaient à tue-tête:

– Mort à Valois! Vengeons notre duc!…

– Eh! monsieur de Crillon! cria Pardaillan lorsqu’il vit que la besogne était terminée et que la rue était libre.

Crillon aperçut Pardaillan et poussant vers lui son cheval, lui tendit la main.

– J’ai un service à vous demander, dit Pardaillan.

– Dix, si vous voulez!

– Un suffira, mais je vous en serai dix fois reconnaissant. On a arrêté l’autre jour, dans l’hôtel de la signora Fausta, deux pauvres filles qui n’y doivent rien comprendre. Je voudrais obtenir leur liberté…

– Dans une heure, elles seront libres, dit Crillon. Je les conduirai moi-même hors la ville.

– Merci. Voulez-vous avoir l’obligeance de leur dire qu’on les attend à Orléans? elles savent où…

– Ce sera fait, dit Crillon. Mais vous, mon digne ami, prenez garde à Larchant.

– Bah! il veut donc être éclopé des deux jambes?…

Crillon se mit à rire.

– D’ailleurs, reprit-il, Sa Majesté vous protégerait au besoin. Venez, je vais vous présenter…

– Pourquoi faire?…

– Mais, fit Crillon stupéfait, parce que le roi veut vous voir et récompenser celui qui…

– Oui, mais moi, je ne veux pas voir le Valois. Il a une triste figure. Monsieur de Crillon, si on vous parle de moi, rendez-moi le service de dire que vous ne m’avez pas vu.

– Soit! fit Crillon ébahi.

Ils se serrèrent la main, et Pardaillan gagna tranquillement l’intérieur de la ville, où régnait ce grand silence, coupé parfois par de soudaines rumeurs d’imprécations, comme on voit dans les villes au moment des émeutes.

– Drôle d’homme! maugréa Crillon en regardant Pardaillan s’éloigner. Du diable si j’arrive jamais à comprendre une pareille nature…

Pardaillan se dirigeait vers l’Hôtellerie du Château, où on se rappelle qu’il logeait avant que Crillon ne l’eût conduit à l’appartement de Ruggieri… Il y chercha Jacques Clément, et ne l’y trouva pas.