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Jacques Clément saisit le bras de Pardaillan stupéfait, et, d’une voix qui le fit frissonner:

– Vous entendez?… C’est Dieu qui m’envoie!…

Et le moine, à grands pas, suivit Crillon.

– Fatalité! murmura Pardaillan, pétrifié, frappé d’une sorte d’horreur.

Jacques Clément entra dans le château à la suite de Crillon, qui, rapidement, se dirigeait vers l’appartement de Catherine de Médicis, situé au rez-de-chaussée.

Chose étrange: personne ne semblait se préoccuper de cette maladie de la vieille reine, qui pourtant devait être bien grave puisque Catherine voulait un confesseur. Et, en effet, depuis huit jours que la mère du roi était malade, c’est à peine si on s’en était inquiété dans le château. Les laquais eux-mêmes et les servantes n’accomplissaient leur office qu’avec une sorte de répulsion.

Ce fut une chose effrayante que cette indifférence de tous devant l’agonie de Catherine de Médicis. Seul, Ruggieri lui demeura fidèle jusqu’au bout.

Cette femme qui avait fait trembler la France, qui avait tenu dans sa main la destinée du royaume, s’éteignait sans que nul songeât à elle. Elle représentait une autre époque… Son fils Henri… ce fils qu’elle avait tant aimé, ne la supportait plus qu’avec une visible impatience… À la cour, c’était une mode de traiter la reine mère en intruse qui ne se décide pas à prendre congé.

Avec Catherine mourait l’âge de fer… C’était un spectre du passé qui entrait dans l’oubli… Crillon, en allant chercher un confesseur pour Catherine mourante, accomplit donc un acte de brave homme… une espèce de charité.

Jacques Clément, en approchant de l’appartement de la reine, remarqua parfaitement cette solitude, cette indifférence, tandis que le reste du château retentissait du bruit des armes, des conversations et même d’éclats de rire. Au moment où Crillon allait pénétrer dans l’antichambre, le moine l’arrêta en le touchant au bras.

– Où est-il? demanda-t-il.

– Il ne s’agit pas du roi, messire, fit l’homme d’armes; c’est la vieille reine qui est malade.

– Oui… Mais où est le roi?…

– Le roi?… Au château d’Amboise. Entrez, je vous prie…

Jacques Clément avait grincé des dents.

– Le roi n’est pas rentré cette nuit, comme on le disait? gronda-t-il.

– Non. Mais entrez…

Jacques Clément étouffa un rugissement de désespoir. Mais comme Crillon ouvrait une porte, il eut un geste d’imprécation, et, sombre, farouche, entra. Crillon se retira…

Jacques Clément se trouvait dans une pièce obscure où pesait une infinie tristesse. Bien qu’il fît jour au dehors, les rideaux étaient fermés et un flambeau de cire se consumait sur la cheminée. On eût dit que cette funèbre lueur était là pour montrer les ténèbres qui s’épaississaient aux angles…

Au bout de quelques instants, le moine vit un lit… et, dans ce lit, une femme vieille, ridée, livide, qui le regardait de ses grands yeux étrangement lumineux. Et cette clarté funeste dans ce visage immobile donnait à cette tête le masque d’une morte qui ouvrirait les yeux pour contempler les mystères d’outre-tombe. Il s’en dégageait une morne tristesse qui ne ressemblait pas à la tristesse d’une figure humaine.

Autour du lit, il y avait comme une magnétique irradiation de terreur et les ténèbres amoncelées dans les angles vibraient de l’épouvante. Mais Jacques Clément était alors inaccessible à la peur… Il songeait seulement ceci:

«La mère d’Henri III meurt; et celui qui la voit mourir, c’est le fils d’Alice de Lux…»

Cependant, un mouvement de la vieille reine l’arracha brusquement à sa rêverie. D’un geste lent de sa main affaiblie, Catherine lui faisait signe d’approcher. Elle murmura:

– Plus près, mon père, plus près…

Il vint à pas lents et s’arrêta tout contre elle, au chevet du lit. Catherine de Médicis le regarda, et, dans son souffle haletant, dans cet indistinct murmure qu’ont les agonisants, reprit:

– Vous n’êtes pas le chapelain du château…

– Non, madame, dit Jacques Clément; le chapelain est absent; je passais par hasard devant le château, et c’est moi qu’on a appelé pour assister la mère du roi de France…

– Tant mieux, murmura Catherine, peut-être parce qu’elle préférait se confesser à un moine inconnu, ou peut-être parce qu’elle disait une chose qui répondait à une pensée d’agonie.

Mais Jacques Clément frémit et répéta:

– Oui… tant mieux…

– Mon fils? demanda la mourante. Où est mon fils?…

– Le roi est à Amboise, madame…

Elle demeura une minute silencieuse, les yeux fermés. De ces paupières soudées descendaient des larmes qui suivaient le sillon des rides… Et elle dit:

– Je ne le verrai donc plus?… Je meurs, et mon fils n’est pas là… Parmi tant de morts horribles que j’ai redoutées, celle-ci est la plus terrible… Ô mon fils, je t’ai tant aimé… et mes yeux, en se fermant pour toujours, n’emporteront pas ton image dans la tombe…

Puis elle se mit à parler d’une voix rapide et indistincte. Le moine penché sur elle, ne put saisir au passage que quelques mots, des noms plutôt…

– Diane de France… Montgomery… ce n’est pas vrai… et puis vous, Coligny… je ne veux pas… écoute, Maurevert…

Jacques Clément écoutait ardemment… Dans ces lambeaux de pensée, il attendait une pensée; dans cette chevauchée des remords défilant dans l’esprit de la mourante, il guettait un remords… Tout à coup Catherine s’arrêta. Elle ouvrit des yeux étonnés, et s’arrangeant sur ses oreillers, dans un retour d’énergie vitale:

– Qu’ai-je dit? demanda-t-elle rudement.

– Rien, madame, fit le moine. J’attends qu’il plaise à Votre Majesté de me confier les secrets de son âme, afin que je les dépose au pied du redoutable trône du justicier qui voit, qui entend, qui pardonne… ou condamne.

La vieille reine se souleva, avec un long frisson. Elle fixa sur le confesseur un regard ardent:

– Mon père, dit-elle, si je me repens de mes fautes, Dieu me pardonnera-t-il?…

– Si vous les avouez, oui!

– Écoutez donc, puisqu’il le faut.

Le moine se recueillit, s’immobilisa, à demi penché pour recueillir les suprêmes aveux de la reine. Elle haletait. Sa main droite allait et venait machinalement sur la courtepointe, dans ce geste d’agonie que le peuple, en son langage terriblement imagé, appelle «faire ses paquets», expression formidablement comique et funèbre, d’une poignante justesse de coloris.

– Voilà, dit l’agonisante dans un râle, à peine perceptible, j’ai tué ou fait tuer quelques douzaines de pauvres diables, jeunes seigneurs un peu têtus qui s’obstinaient à ne pas écouter mes avis, bourgeois ou manants… la hache, la corde, les oubliettes, le poison, j’ai dû employer tous ces moyens. J’avoue que j’eusse pu éviter ces meurtres, mais au détriment du bon gouvernement de l’État…

– Passez, madame, dit le moine, ceci est peu de chose…

Catherine tressaillit de joie. Elle reprit avec plus d’hésitation:

– Montgomery tua mon époux Henri deuxième… j’avoue que ce coup de lance malheureux n’était pas tout à fait dû au hasard…