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– Oh! si j’en étais sûr, murmura le Béarnais dont le front était inondé de sueur.

– Sire, je m’engage à vous accompagner jusqu’auprès d’Henri III. Si vos offres sont repoussées, je consens à être passé par les armes!

– Soit!… Eh bien, supposons la chose faite. Me voici l’allié du roi de France. Il me désigne. Il meurt. J’ai pour moi la moitié de la France, comme vous disiez. Mais l’autre moitié! Devrai-je donc passer ma vie à faire la guerre civile?

– La guerre civile cessera quand l’autre moitié de la France vous acceptera; et cette deuxième moitié vous acceptera quand vous voudrez, fit tranquillement le chevalier.

– Comment! comment! s’écria le Béarnais avec impétuosité.

– Je vous ai dit, sire, que vous régneriez moyennant deux conditions. Je vous ai exposé la première. Voici la seconde: moi, sire, je suis honteux de l’avouer, je ne suis ni huguenot ni catholique, j’en parle donc fort à mon aise. Sire, quand vous aurez été proclamé roi de France, quand vous aurez la moitié de la France pour vous, quand vous aurez déchaîné la guerre civile pour conquérir l’autre moitié, quand vous aurez bien constaté que la guerre civile n’avance pas vos affaires et que Paris demeure irréductible, alors, sire, vous vous ferez catholique.

– Jamais! dit le Béarnais avec plus de force apparente que de conviction réelle.

– Pardon, sire, dit Pardaillan, je croyais que vous vouliez régner! Mettons que je n’ai rien dit.

– Renoncer à la religion de mes pères!…

– Pour assurer une couronne à vos enfants.

– Capituler ainsi devant ces Parisiens!…

– Eh! sire! Paris vaut bien une messe!

– Ventre-saint-gris! fit le Béarnais en éclatant de rire. Je répéterai le mot!…

– Quand vous irez à Notre-Dame!…

– Chut!… Ne parlons pas de cela… Parlons des secours que je puis porter à Henri III. Quant à me faire catholique, je verrai cela à la dernière minute. En attendant, huguenot je suis, huguenot je reste.

«Bon! pensa Pardaillan. Il est déjà converti. Et dire que le dernier garde d’écurie de ce roi se ferait hacher menu plutôt que de renoncer à la religion de ses pères, comme il disait!»

– Monsieur, reprit le roi, vous êtes mon hôte pour quelques jours. Je vais expédier M. d’Aubigné au camp du roi de France.

«Bon!… Il me garde prisonnier. Mais je m’en irai si je veux… Oui, mais je veux voir la fin de la comédie.»

– Sire, ajouta tout haut Pardaillan, j’accepte l’hospitalité que Votre Majesté veut bien m’offrir jusqu’au moment où elle se sera entendue avec l’autre Majesté…

Le Béarnais eut un de ces sourires aigus qui illuminaient sa figure astucieuse. Il jeta un appel. Un officier parut.

– Monsieur du Bartas, dit-il, je vous confie M. le chevalier de Pardaillan qui était des amis de Mme d’Albret et qui est des miens. Traitez-le donc de votre mieux, c’est-à-dire comme vous me traiteriez moi-même.

Une heure plus tard, Agrippa d’Aubigné partait pour le camp d’Henri III porteur des propositions d’alliance du Béarnais. Le lendemain soir, il était de retour et apportait la réponse de Valois: le roi de France donnait rendez-vous au roi de Navarre au château de Plessis-lez-Tours.

La nouvelle se répandit aussitôt dans le camp huguenot. Le Béarnais prit immédiatement ses dispositions. Il annonça qu’il partirait avec vingt officiers et cent hommes d’armes. Le reste de l’armée suivrait sans se hâter. Il y eut un conseil de guerre où tous les conseillers s’efforcèrent de prouver à Henri de Béarn qu’il courait à un guet-apens où il laisserait sa vie. Mais le roi tint bon et, le lendemain, partit avec la faible escorte qu’il avait indiquée, tandis que son armée s’ébranlait lentement. Pardaillan trottait parmi les officiers du roi qui, parfois, l’appelait près de lui et l’interrogeait.

Lorsqu’on arriva devant le château de Plessis, on vit que toute l’armée d’Henri III était campée là. Les officiers frémirent et, plus que jamais, conseillèrent au roi de s’abstenir.

– Au moins, s’écria l’un d’eux, allons-y tous ensemble, et, par la mordieu, nous verrons ce que cent huguenots peuvent faire en cas d’alarme.

– Et vous, monsieur de Pardaillan, que me conseillez-vous? dit le roi.

– D’y aller seul, sire! Seul avec cinq ou six de vos gentilshommes. S’il y a guet-apens, cent ne feront pas plus que six devant six mille hommes; et si Henri de France est loyal, vous lui aurez prouvé que vous aviez mis en lui toute votre confiance.

Le roi approuva d’un signe de tête et choisit trois officiers pour l’escorter, c’est-à-dire Agrippa d’Aubigné, du Bartas et Pardaillan lui-même. Les autres mirent pied à terre à trois cents pas du château.

– Ventre-saint-gris! dit le Béarnais, au moins si je vais à la mort, j’y aurai été en bonne compagnie!

Et il jeta un dernier regard à Pardaillan qui répondit:

– Sire, c’est au trône et non à la mort que vous allez. Mais, si, par hasard, c’était à la mort, vous auriez le regret de ne pas y aller en ma compagnie, car je vous y précéderais.

Et ils s’avancèrent tous les quatre, le Béarnais en tête.

Cependant, le bruit d’une entrevue entre le roi de Navarre et le roi de France s’était répandu à Tours et dans les environs. Une multitude de peuple s’était approchée du château, et, comme on avait laissé les portes grandes ouvertes, s’était massée aux abords d’un grand et magnifique jardin, les uns grimpant sur les statues de marbre, d’autres se juchant dans les arbres.

Henri III attendait dans le jardin, vêtu d’un magnifique costume de satin blanc, portant au cou le grand collier de l’ordre dont il était le fondateur, appuyant sa main sur une poignée d’épée toute constellée de diamants, et les épaules couvertes d’un court manteau de soie cerise. Derrière lui, sur quinze ou vingt rangs de profondeur, ses courtisans et ses officiers revêtus de leurs habits de cérémonie lui formaient un cadre d’une splendeur étrange. En arrière de cette masse de costumes chatoyants, à gauche et à droite, un double rang de hallebardiers en costume de cour, majestueux et imposants, fermaient trois côtés d’un grand carré dont un seul était ouvert. Enfin, derrière les hallebardiers, trois régiments en tenue de campagne: au fond, les arquebusiers; à droite et à gauche, les pertuisaniers. Au milieu de cette énorme mise en scène que contemplait la foule, Henri III, seul dans un espace vide, attendait immobile.

Le Béarnais s’avança, suivi de son escorte de trois hommes tout poussiéreux de la route qu’ils venaient de faire. Un rapide sourire balafra le visage astucieux du Gascon lorsqu’il vit le déploiement de forces et de magnificences imaginé par Henri III. Il voulut que le contraste fût plus violent encore entre cette richesse qui demandait grâce et sa pauvreté qui venait au secours de cette splendeur… D’un geste, il arrêta ses trois compagnons, et s’avança seul.

Un silence de plomb s’abattit sur toute cette cour et sur le peuple attentif, lorsque le Béarnais s’arrêta à trois pas d’Henri III, tout seul, avec son vieux pourpoint usé, son chapeau gris orné d’une belle médaille, – son seul luxe – ses bottes aux semelles éculées, aux éperons rouillés. Une minute pendant laquelle on eût entendu le vol des papillons qui se poursuivaient au grand soleil de juillet, une minute qui fut un siècle d’angoisse et d’attente tragique, les deux rois se regardèrent sans pleurer.