Выбрать главу

Brusquement, le Béarnais ouvrit ses bras. Henri de Valois, la poitrine oppressée, fit trois pas rapides et s’y jeta en murmurant:

– Mon frère! Ah! mon frère!… je suis bien malheureux!…

À ce spectacle, un frémissement prolongé parcourut les rangs de la cour et des soldats, gagna le peuple, s’accentua comme le bruit des feuilles quand vient le coup de vent, monta, gonfla, et soudain, tandis que toutes les têtes se découvraient, éclata en une immense acclamation de: «Vive le Roi!…» Et alors, à ce cri qu’il n’avait pas entendu depuis bien longtemps, Henri III se mit à pleurer.

– Eh! ventre-saint-gris! fit joyeusement le roi de Navarre, prenez courage, mon frère! Avec l’aide de mes montagnards, je vous ramènerai dans Paris jusque dans votre Louvre.

Henri III embrassa encore le Béarnais, puis le prit par le bras et l’emmena vers une salle du château où une collation avait été préparée… C’en était fait! Dix minutes plus tard, les cent hommes laissés à la porte, et qu’on alla chercher, furent amenés en triomphe, et le lendemain, lorsque l’armée du roi de Navarre arriva, officiers et soldats royalistes fraternisaient avec les officiers et les soldats huguenots… L’alliance était consommée: cette alliance devait conduire le Béarnais sur le trône et instaurer la dynastie des Bourbons.

Trois jours plus tard, les deux armées combinées marchaient ensemble, repoussaient à Tours les troupes de Mayenne, marchaient sur Paris, faisaient une apparition jusque dans le faubourg Saint-Jacques, puis, maîtres de l’Oise, se rabattaient sur Saint-Cloud, s’emparaient du pont et établissaient leurs quartiers depuis Saint-Cloud jusqu’à Vaugirard. Paris, terrifié de ces succès foudroyants, allait succomber… une énorme effervescence s’y produisit, et déjà quelques-uns des principaux parmi les bourgeois commençaient à dire que mieux valait ouvrir les portes tout de suite, et réconcilier Paris avec son roi…

XLIV JACQUES CLÉMENT

Pardaillan avait suivi jusqu’à Saint-Cloud les alliés, en spectateur indépendant et curieux d’examiner quelque temps le résultat de son alliance qui était son œuvre. Mais c’est en vain que le Béarnais et Henri III le firent chercher. Il ne se montra dans la tente d’aucun des deux rois. Il allait de Crillon à du Bartas, devenu son ami, et de du Bartas à Crillon, son vieil ami. Bien entendu, les deux officiers prévinrent chacun son maître que Pardaillan suivait l’armée. Le Béarnais, par du Bartas, lui fit offrir un poste dans son conseil intime, ce qui était une façon de lui donner peut-être la situation que devait occuper plus tard Sully. Et il la lui offrit, dit du Bartas, comme au plus fin et au plus loyal diplomate qu’il eût connu. Pardaillan se mit à rire et répondit qu’il avait déjà assez de mal à se conseiller lui-même. Henri III lui fit offrir par Crillon une épée de maréchal dans ses armées, comme au plus intrépide homme d’armes qu’il eût jamais vu. Mais Pardaillan répondit qu’il prétendait se contenter de sa bonne rapière.

Le 2 août, après avoir dîné avec Crillon et du Bartas, Pardaillan leur fit ses adieux en leur disant qu’il partait pour un lointain pays. Les deux officiers le pressèrent en vain de rester et, voyant qu’il était inébranlable, le serrèrent dans leurs bras. Pardaillan monta à cheval et, franchissant le pont de Saint-Cloud, se dirigea vers Paris, sans savoir d’ailleurs, s’il y pourrait rentrer. D’ailleurs, sa pensée n’était pas fixée. S’il parvenait à entrer à Paris, il comptait simplement se reposer deux ou trois mois à l’auberge de la Devinière. Il était riche, grâce à Marie Touchet. Avant de reprendre ses courses à travers le monde et se jeter sans doute en de nouvelles aventures, il lui était doux de songer à quelques mois, peut-être une année passée paisiblement chez la bonne hôtesse, la bonne Huguette à laquelle il ne pensait pas sans un battement de cœur. Après ce repos bien gagné, on verrait…

Pardaillan, donc, s’en allait au pas de son cheval, tout pensif, tantôt rêvant à ce passé si rempli, et tantôt à cet avenir qui se trouvait si vide.

«Seul au monde, songeait-il, sans pouvoir me fixer nulle part, rien dans le cœur, que me restera-t-il?… Bon! Il me restera toujours un bien qui en vaut d’autres… tous les autres ensembles: l’indépendance.»

À ce moment, et comme le soleil déclinait à l’horizon, son cheval fit tout à coup un écart. Pardaillan, arraché à sa songerie, ramassa les rênes, se remit d’aplomb et, jetant les yeux autour de lui, vit que ce qui avait effrayé sa bête, c’était un homme qui venait de s’arrêter devant lui et lui souriait. Cet homme portait le costume des Jacobins. Pardaillan tressaillit en reconnaissant Jacques Clément. Il mit pied à terre et serra les deux mains que lui tendait le moine.

– Où allez-vous ainsi, cher ami? s’écria Jacques Clément d’une voix si claire, si sonore et joyeuse que Pardaillan en fut stupéfait et songea:

«Allons, il a renoncé! Tant mieux, morbleu, pour lui… et surtout pour l’autre.»

– Je vais à Paris, fit-il tout haut. Jamais je ne vous ai vu le teint si coloré, les yeux si brillants, et surtout un pareil sourire aux lèvres. Vous êtes donc heureux?

– Au-delà de toute expression, mon ami, mon cher ami…

– Ah! ah! fit le chevalier étourdi, et d’où venez-vous ainsi?

– De l’amour, dit Jacques Clément.

– Mortdiable, à la bonne heure!… Et où allez-vous de ce pas?

– À la mort, dit Jacques Clément.

Pardaillan demeura soudain glacé. Il regarda mieux le moine. Et dans ses yeux brillants, il entrevit un abîme. Sous cette coloration du visage, il vit la pâleur spectrale d’un homme qui fait le sacrifice de sa vie. Et pourtant, cette joie intense, furieuse, farouche qui éclatait chez le moine était sincère.

– Mais, reprit Jacques Clément en clignant des yeux d’un air malicieux, comment entrerez-vous à Paris?

– Dame, je demanderai la permission à messieurs les bourgeois de garde, voilà tout.

– Rien n’entre, rien ne sort. Allons, laissez-moi vous rendre un tout petit service. Prenez cette médaille; avec cela, non seulement vous pourrez franchir les portes, mais passer partout dans Paris.

Pardaillan prit la médaille.

– Elle devait me servir pour rentrer, continua Jacques Clément… mais je ne rentrerai pas, moi!…

Pardaillan frémit et pâlit. Il posa sa main sur l’épaule du moine.

– Écoutez-moi, dit-il.

– Taisez-vous, interrompit sourdement Jacques Clément, dont les yeux s’éteignirent soudain et devinrent vitreux, dont le visage se fit livide, dont la voix devint âpre, rauque et glaciale. Taisez-vous. Tout ce que vous allez me dire, je le sais. Rien au monde, rien, entendez-vous, ne peut m’empêcher d’aller où je vais! Si ma mère se levait de sa tombe pour me dire: «N’y va pas!» je repousserais ma mère et j’irais! Pardaillan, les destinées vont s’accomplir… taisez-vous!…

Pardaillan jeta un coup d’œil sur le moine et, sur ce visage enflammé, lut une si implacable résolution qu’il comprit qu’en effet toute parole serait vaine. Il fit donc en peu de mots ses adieux à Jacques Clément et remonta sur son cheval.

– Hum! murmura-t-il en considérant le moine qui s’éloignait à grands pas vers Saint-Cloud, je ne donnerais pas un liard de la peau de Valois… à moins que ce ne soit de celle de ce moine… Pauvre être!… oui, oui… ses destinées vont s’accomplir, comme il disait de cette voix qui me faisait passer un frisson sur la nuque. Et quelle que soit cette destinée, elle est terrible! Adieu, fils d’Alice de Lux!…