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Il poussa un soupir et se mit en route vers Paris où ce fut en effet grâce à la médaille du moine qu’il put entrer sans difficulté.

Il faut savoir que le Parlement de Paris avait été arrêté en masse un mois environ après la mort du duc de Guise. Cette arrestation, qui fut le chef-d’œuvre de Bussi-Leclerc, rentré à Paris en janvier, donna lieu à une jolie page d’histoire que nous nous contenterons d’esquisser.

Le Parlement donc étant en séance toutes chambres réunies, s’occupait de rédiger une adresse à Henri III pour le remercier des concessions qu’il avait faites au Tiers pendant les États. Il ne fallait pas peu de courage pour témoigner cette sympathie au roi au moment même où Paris brûlait les effigies de Valois, jetait bas ses statues, effaçait son nom de tous les monuments. Mayenne alla trouver à la Bastille Bussi-Leclerc, qui y avait repris ses fonctions, et lui dit:

– Combien logeriez-vous bien de robins dans votre Bastille?

– J’en logerai dix mille s’il le faut, dussé-je les empiler les uns sur les autres.

– Eh bien! il faut que ce soir, messieurs du Parlement soient vos hôtes, sans quoi ils vont nous faire une guerre civile dans Paris.

– Je m’en charge, dit Bussi-Leclerc.

Et prenant cinq cents hommes d’armes des milices, il marcha sur le palais, entra dans la grande chambre le chapeau sur la tête et les pistolets aux poings. Il y eut grand tumulte; le président demanda rudement à Bussi de quel droit il entrait ainsi.

– Du droit du plus fort, répondit Leclerc.

Beaucoup de conseillers essayèrent de se sauver, mais se heurtèrent aux piques et aux hallebardes des gens d’armes qui occupaient le palais. Bussi-Leclerc, alors, cria à haute voix:

– Messieurs, n’ayez pas peur, suivez-moi seulement à l’hôtel de ville où l’on a quelque chose à vous dire.

Les membres du Parlement, tout pâles, interrogèrent leur président qui eut un mot superbe:

– Messieurs, dit-il, allons délibérer à l’hôtel de ville puisque cette enceinte a été souillée. Monsieur Bussi-Leclerc vous devez les honneurs au Parlement: veillez donc à ce que nous soyons convenablement escortés.

Les conseillers se mirent alors en rangs et sortirent entre une double haie de soldats. Cette escorte, d’ailleurs, ne servit pas seulement à leur arrestation: elle leur sauva la vie, car dehors, une bande de mariniers ameuta le peuple qui voulut lapider les malheureux.

Deux heures plus tard, tout le Parlement était sous clef, réparti en diverses chambres de la Bastille. Bussi-Leclerc, qui était facétieux par moments, imagina de mettre les conseillers au pain sec et à l’eau, ce qui fit qu’on le surnomma le grand pénitencier du Parlement.

Or, pendant les mois qui suivirent, ces malheureux, n’ayant plus d’espoir d’être mis en liberté que par le roi, passèrent leur temps à essayer de correspondre avec lui. Mais ils étaient étroitement surveillés. Enfin, à la fin de juillet, un conseiller malade demanda un confesseur, que Bussi-Leclerc lui accorda généreusement. Ce confesseur fut un capucin que le conseiller sonda adroitement. Le capucin avoua qu’il était au roi dans l’âme. Le conseiller avoua alors qu’il n’était pas malade, et demanda au confesseur s’il voulait se charger de faire parvenir au roi un certain nombre de lettres.

Le capucin accepta avec enthousiasme, partit en cachant les lettres sous son froc, et… les porta tout droit chez Mayenne où se tenait un conseil auquel assistait la duchesse de Montpensier. Ceci se passait le 31 de juillet. Le duc de Mayenne lut tout haut les lettres, et ajouta qu’il fallait les brûler.

– Il faut les envoyer à Valois! s’écria la duchesse de Montpensier. Messieurs, je réponds que nous sommes sauvés, que dans trois jours Paris ne sera plus assiégé, et que demain nous pourrons prier le diable pour l’âme d’Hérode!

Dans la soirée même, Jacques Clément avait les lettres. Marie de Montpensier resta avec lui cette nuit-là et une partie de la journée du lendemain, et sans doute, elle employa activement ces heures à développer un plan de meurtre que le jeune moine finit par comprendre, car il se mit en route…

Ce sont ces lettres des conseillers toujours enfermés à la Bastille que Jacques Clément portait à Saint-Cloud. Mais il portait aussi le poignard que, sur le coup de minuit, dans la chapelle des Jacobins, un ange avait jeté à ses pieds.

Le soleil venait de se coucher lorsque le moine atteignit le pont de Saint-Cloud. Le pont était gardé par trois canons braqués dans la direction de Paris et un régiment d’arquebusiers – royalistes et huguenots mêlés. Un officier interrogea Jacques Clément qui répondit tranquillement qu’il se rendait à Saint-Cloud pour voir une de ses parentes gravement malade. À la grande surprise et à la sourde joie du moine, on le laissa passer: un religieux tout seul qui va consoler les derniers moments d’une parente, cela n’inspire pas défiance.

Arrivé à Saint-Cloud, le premier soin de Jacques Clément fut de s’enquérir du roi. Le roi était à Meudon où le Béarnais avait établi son quartier… Le moine se fit montrer la maison qu’habitait Henri de Valois. C’était une maison d’assez belle apparence, toute en rez-de-chaussée d’ailleurs. L’entrée en était gardée par cinquante hommes.

Jacques Clément attendit non loin de cette porte jusqu’à onze heures du soir, heure à laquelle il vit déboucher dans la rue une nombreuse troupe de cavalerie précédée et flanquée de porteurs de torches. Cette troupe s’avança au grand trot, dans un grand bruit des sabots et des armes… Jacques Clément vit tout à coup le roi qui mettait pied à terre; sa figure fardée lui apparut dans la lumière des torches, tandis que les gens de l’escorte se rangeaient en demi-cercle et rendaient les honneurs.

Henri III souleva lentement son chapeau et entra dans la maison; l’escorte se retira; la lumière des torches s’éteignit dans le lointain… tout retomba au silence et à l’obscurité.

Jacques Clément se mit en marche dans les ténèbres. Sa tête était brûlante, et ses mains glacées.

Il marcha le long de la rue; puis ne voulant pas s’écarter du logis du roi, il revint sur ses pas et aperçut alors une grange ouverte. Il y entra, s’étendit sur des bottes de paille, et, les yeux fixés devant lui, dans la nuit, la main crispée sur le manche de la dague sacrée que Dieu lui avait envoyée, il évoqua puissamment la figure de l’ange qui lui avait donné le poignard… et quand l’image de Marie de Montpensier fut devant lui, il sourit d’un sourire terrible et doux…

À l’aube, comme les trompettes sonnaient, comme tout s’ébrouait et s’éveillait dans ce vaste camp qui s’étendait d’Argenteuil à Saint-Cloud et de Saint-Cloud à Vaugirard, Jacques Clément se leva. Il grelottait et claquait des dents. Il s’aperçut alors que cette grange où il venait de passer la nuit attenait à une auberge. Il entra dans la salle de l’auberge, où une servante allumait le feu. La servante se retourna vers le moine et demeura toute saisie:

– Comme vous êtes pâle, mon père… on dirait que vous venez de tuer quelqu’un…

Jacques Clément n’eut pas un tressaillement. Il sourit faiblement et répondit:

– C’est le froid du matin. Un bon verre de vin me rendra mes couleurs.

La servante lui apporta une bouteille dont il but la moitié. Puis, ayant payé, il sortit et se mit à errer dans Saint-Cloud. Au bout d’une heure de cette promenade morne, il s’aperçut qu’il avait grand-faim. Il eut un mouvement comme pour se diriger vers une auberge, puis s’arrêtant court:

– Est-ce bien la peine? murmura-t-il.