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– Diable! fit Pardaillan. Voilà qui va me faire perdre du temps… Et pourtant, ajouta-t-il rudement, je ne veux pas passer ma journée dans la Cité… M. de Maurevert pourrait s’impatienter de ne pas me voir.

Comme on peut le constater. Pardaillan ne songeait guère que ces mesures pouvaient avoir été prises contre lui. À supposer même que le duc de Guise connut sa rentrée à Paris, comment en effet eût-il pu savoir précisément que le chevalier était dans la Cité?

Sans autre inquiétude que celle du temps perdu, Pardaillan se dirigea donc vers la rue de la Barillerie; de ce côté, il pourrait déboucher soit sur le quai de la Mégisserie par le pont aux Changeurs, soit sur la rue de la Harpe par le pont Saint-Michel. Ce ne fut pas sans frémissement que le chevalier vit ces deux ponts également barrés.

Enfin lorsqu’il eut constaté qu’il n’y avait pas davantage moyen de passer par le pont aux Colombes, ni même par les échafaudages des constructions du Pont-Neuf, il dut bien s’avouer qu’il était prisonnier dans la Cité.

Il songea alors à essayer de traverser la Seine, soit en démarrant une barque, soit même à la nage. Mais s’étant approché de la berge à peu près à l’endroit où avait eu lieu le duel de Maurevert avec Lartigues, il constata qu’un singulier mouvement se faisait sur les berges.

Du pont Notre-Dame au pont aux Changeurs, des hommes d’armes s’étaient détachés et s’échelonnaient de façon à former une haie. Pardaillan vit qu’il était entièrement cerné dans l’île.

– À ce moment même, il s’aperçut que de toutes parts, ces troupes pénétraient dans les rues de la Cité… Non seulement il était cerné, mais il allait être reconnu!…

Il était évident qu’on traquait quelqu’un. Une sorte de battue s’organisait. Des bourgeois et des femmes passaient en courant et se hâtaient de regagner leur logis. Pardaillan, dans la rue de Calandre avisa un fripier qui, pris de peur, fermait sa boutique.

– Attendez, dit le chevalier, je vais vous aider…

Et il aida en effet le pauvre homme; mais ce n’était pas simplement par charité que Pardaillan prêtait ainsi le secours de son bras à cet inconnu.

– Que se passe-t-il? lui demanda-t-il.

– Ma foi, monsieur, le diable le sait! Ah! nous sommes bien heureux d’avoir la Ligue et c’est un bien grand honneur pour le peuple de Paris que monseigneur ait chassé Valois et ses suppôts! Mais enfin, ce ne sont qu’alertes continuelles, et moi qui vous parle, monsieur, je ne vis plus! Quant à ma femme, elle en a attrapé la fièvre quartaine…

– Ainsi, fit Pardaillan désappointé, vous ne savez pas pourquoi la Cité est envahie par les troupes de monseigneur que Dieu garde!…

– Que Dieu confonde! maugréa le boutiquier. Je crois, reprit-il tout haut, qu’il s’agit de quelques huguenots qui se seront cachés par ici… On dit aussi que M. le duc en veut fort à messieurs du Parlement…

– Ah! ah! voilà donc l’explication. Merci, mon brave!

– C’est moi qui vous remercie, monsieur, de votre honnêteté… Tenez! les voici qui entrent dans les maisons pour faire perquisition!… Seigneur, ayez pitié de nous!…

Le fripier se hâta de rentrer dans la maison. Et sa terreur était d’ailleurs pleinement justifiée, car les gens d’armes de Guise, toutes les fois qu’ils avaient à perquisitionner, ne se faisaient pas faute de s’enrichir aux dépens du bourgeois.

Tous les passants, d’ailleurs, n’étaient pas aussi effarés que ce digne boutiquier. Une foule s’amassait peu à peu pour voir, saisir et peut-être pendre ou brûler le ou les huguenots recherchés. À cette foule vinrent se mêler des mariniers; des figures louches se montrèrent; des gens empressés à aider les soldats dans leurs perquisitions… et empressés également à faire main-basse sur tout ce qui était facile à enlever, bon à manger, à boire ou à vendre…

Pardaillan marchait, pour ainsi dire poussé par ce flot humain qui montait et débordait. Et ce fut à ce moment qu’il entendit prononcer son nom.

Pardaillan, sans s’arrêter, écouta. Son nom prononcé d’abord par l’un des officiers qui dirigeaient l’opération le fut ensuite par un autre, puis par d’autres encore!…

Pardaillan sentit un frisson le parcourir. C’était lui qu’on cherchait! C’était pour lui que la Cité était envahie, bouleversée, c’était contre lui que retentissaient les cris de mort!…

Il jeta un regard à droite, à gauche, devant et derrière. Devant, c’était une troupe qui s’avançait lentement, s’arrêtant de logis en logis. Derrière, c’était une troupe pareille devant laquelle il fuyait. À gauche, c’étaient les maisons de la rue Calandre, avec des gens penchés aux fenêtres. À droite, enfin, c’était un terrain vague pelé, galeux, à l’herbe rare, au fond duquel se dressait l’arrière-bâtisse du Marché Neuf. Et vers le milieu de ce terrain vague s’élevait une maison solitaire aux fenêtres hermétiquement closes.

Mais de son coup d’œil sûr et prompt, Pardaillan remarqua aussitôt que si les fenêtres de ce logis étaient fermées, il n’en était pas de même de la porte, qui était entre-bâillée… Il s’y dirigea de son pas le plus tranquille. La situation était affreuse… Et de l’effort qu’il faisait pour paraître paisible et ne pas se précipiter, Pardaillan sentait la sueur couler de son front à grosses gouttes… Mais il s’était trouvé déjà à plus d’une aventure de ce genre, et savait conserver une allure et un visage de sang-froid, alors même que son cœur battait la chamade et qu’il se disait:

«Maintenant, c’est la fin de tout! Le diable lui-même ne saurait me tirer de ce mauvais pas, si toutefois le diable consentait à s’occuper de moi…»

Au moment où il atteignait la porte entre-bâillée de cette singulière maison, les gens d’en face le virent de leurs fenêtres et lui crièrent:

– Prenez garde! N’entrez pas!…

Mais Pardaillan n’entendit pas: il poussa la porte, pénétra dans une sorte de vestibule, et ayant tranquillement poussé la porte derrière lui, cria:

– Ne craignez rien, qui que vous soyez qui habitez ce logis…

À son grand étonnement, personne ne répondit. Et sa voix répercuta de sourds échos, comme si la maison eut été déserte. Pardaillan avança jusqu’au fond du vestibule, et avant d’ouvrir la porte devant laquelle il se trouvait alors, cria encore:

– Y a-t-il quelqu’un dans ce logis?…

Aucune réponse ne lui parvint. Alors il se décida à ouvrir; il se trouva dans une pièce assez vaste, garnie de quelques meubles d’aspect sévère; pour tout ornement aux murs, il n’y avait qu’un crucifix.

«C’est le logis de quelque chanoine de Notre-Dame, songea Pardaillan. Si ce brave prêtre entre, je suppose qu’il ne me trahira pas… hum!… j’ai vu dans ma vie bien des chanoines qui n’en étaient pas à une trahison près… Quel qu’il soit, il ne tardera pas à rentrer sans doute, car il avait laissé la porte de son logis ouverte…»

Mais pendant qu’il songeait ainsi, Pardaillan remarqua qu’une épaisse couche de poussière couvrait les meubles. Il y avait d’ailleurs un certain désordre dans cette pièce. Il y régnait une atmosphère de moisi…

«Qui diable peut habiter là?…»

Pardaillan sentait une sorte d’angoisse étreindre son cœur. Il lui semblait respirer du mystère et de l’horreur. Il en arrivait à oublier qu’il était suivi, traqué, et que la grande chasse à l’homme, la grande battue organisée dans toute la Cité comme pour un fauve aboutirait sans aucun doute à sa découverte… à sa mort!…