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En effet, il se doutait bien que la Seine allait être surveillée dans son cours et sur ses berges, et qu’il lui serait très difficile de s’éloigner du refuge où il se trouvait. D’autre part, la pensée pouvait parfaitement venir à ceux qui le cherchaient de venir voir ce qui se passait sous ce plancher qui surplombait la Seine. Et comme, chez lui, l’exécution suivait toujours de près la pensée, Pardaillan, de poutre, en poutre, gagna le treillis de fer… la nasse de Fausta.

Il constata que le panneau qui formait ouverture était relevé; il l’était sans doute depuis le jour où on avait ouvert le passage aux cadavres… À ce souvenir, il ne put s’empêcher de pâlir. Mais redescendant le long du treillis avec la fermeté d’une résolution bien arrêtée, il plongea, et bientôt se retrouva dans l’intérieur de la nasse. Alors il remonta jusqu’en haut, jusqu’au plancher même.

Cramponné d’un bras à la poutre à laquelle il s’accrochait, de l’autre bras allongé il parvint à soulever la trappe qui fermait le trou carré. Alors il se suspendit des deux mains aux bords de ce trou, et se souleva par un tour de force musculaire connu en gymnastique sous le nom de «rétablissement». Quelques secondes plus tard, il était dans la pièce où il s’était battu contre les gens de Fausta, dans la salle des supplices… Elle était obscure, silencieuse…

La première pensée de Pardaillan fut de refermer la trappe. Puis il se secoua, s’ébroua, se défit de son pourpoint qu’il tordit, et enfin prit toutes les mesures propres à le sécher autant qu’il était possible de le faire en pareille situation.

Plusieurs heures se passèrent ainsi… Pardaillan rhabillé, à peu près séché, commençait à sentir la faim le gagner. En effet, sorti le matin de bonne heure de la Devinière , il n’avait rien pris de la journée.

La nuit vint. Dans le mystérieux palais, aucun bruit ne se faisait entendre. Pardaillan se rendait compte que cette demeure devait être à peu près déserte, puisque Fausta, le matin même, avait été trahie, abandonnée par tous ceux qu’elle avait amenés à l’abbaye…

Deux plans se présentaient donc au chevalier. Le premier, c’était de profiter de la nuit pour redescendre au fleuve et gagner le bord. Le deuxième, c’était purement et simplement de sortir du palais de Fausta par la porte. S’il ne restait là que quelques domestiques, Pardaillan se faisait fort de les obliger à lui ouvrir cette porte! Il attendit donc deux ou trois heures encore, et ce fut la faim qui le décida à agir. La pensée de s’attabler devant quelque pâté, escorté de quelque volaille et flanqué d’un bon flacon, près du grand feu que Huguette lui allumerait dans la cuisine de la Devinière , cette pensée l’attendrissait, le faisait sourire et claquer de la langue. À ce montent, certes, il ne songeait ni à Guise, ni à Fausta, ni à Maurevert: il ne songeait qu’au bon dîner qu’il entrevoyait, suivi d’un excellent somme… Nous avons toujours dit que Pardaillan était la simplicité même.

Se mettant donc en marche, sur la pointe des pieds, il gagna la porte de la salle des supplices. Elle était ouverte… Pardaillan passa, referma derrière lui et traversa cette pièce que nous avons eu l’occasion de décrire et qui ressemblait à l’avant cachot de la mort… Après quoi, il se trouva dans une galerie qu’il se mit à suivre.

«Le premier que je rencontre, se disait-il, je lui mets la pointe de ma dague sur la gorge, et je lui dis: «Mon ami, je suis égaré comme par hasard dans cette maison. Veuillez donc me conduire jusqu’à la grande porte que vous m’ouvrirez, et vous aurez un bel écu pour votre peine. Sinon, je serai forcé de vous tuer.» Nul doute que le brave homme ne choisisse l’écu…»

Cependant, il était plongé dans une obscurité profonde et marchait vers un vague reflet de lumière qu’il apercevait à une quinzaine de pas devant lui dans la galerie… Lorsqu’il eut atteint ce rai de lumière, il s’aperçut qu’il venait de l’entre-bâillement d’un double rideau de velours qui formait une large baie ouverte à cet endroit. Pardaillan glissa un regard par cet entre-bâillement, et vit une vaste salle éclairée par quelques flambeaux allumés de place en place.

Cette salle, il la reconnut aussitôt… C’était la magnifique pièce aux colonnades, aux statues, aux torchères d’or… la salle du trône!…

– Trône sans souveraine! murmura Pardaillan en hochant la tête avec un singulier sentiment d’ironie où il y avait presque de la pitié pour cette femme qui avait voulu le faire tuer deux ou trois heures après qu’il l’avait sauvée… Car quel autre que Fausta avait pu prévenir Guise?

Pardaillan allait s’éloigner et continuer son excursion, en se disant que, s’il trouvait moyen d’arriver jusqu’à la porte d’entrée sans rencontrer personne, il trouverait bien le moyen de l’ouvrir; il allait donc reprendre sa marche, lorsqu’il demeura cloué sur place… Il lui semblait qu’il venait d’entendre comme un léger bruit de pas.

Ce bruit venait de la grande salle du trône. Pardaillan colla son œil à la fente des rideaux et aperçut une sorte de fantôme vêtu de blanc qui marchait, ou plutôt glissait d’un pas majestueux…

– Fausta! murmura le chevalier.

C’était Fausta en effet, calme, grave, sereine comme à son habitude. Derrière elle venait un homme qui, en entrant dans la salle, laissa retomber le manteau dont il se couvrait à demi le visage.

«Le duc de Guise! fit Pardaillan en lui-même.»

Fausta s’était arrêtée vers le milieu de la salle et, prenant place dans un fauteuil, avait indiqué un siège à Guise, qui s’assit lui-même.

– Voilà donc, gronda Pardaillan dont le visage flamboyait, voilà la femme qui a voulu me tuer à chacune de nos rencontres… et aujourd’hui même! Voici l’homme qui a jeté une meute enragée à mes trousses et a bouleversé la Cité pour me faire assassiner!… Voici l’homme qui a dit que j’étais un lâche parce que je me rendais à lui, parce que je voulais sauver une malheureuse!… Je les tiens là, tous deux… ils sont seuls… Si je me montrais tout à coup, et si, profitant de leur stupeur, je les frappais mortellement l’un et l’autre, ne serait-ce pas mon droit?

Pardaillan tourmentait le manche de son poignard. Mais bientôt, sa physionomie s’apaisa, sa main retomba, et pensif, il murmura:

– Ce serait mon droit peut-être… mais alors j’aurais mérité ce mot dont Guise m’a souffleté rue Saint-Denis… je serais un lâche! Non, ce n’est pas ainsi que je dois me venger… Ce mot, Guise doit en mourir… Il en mourra. Je l’ai juré… mais il faut qu’il sache qu’un Pardaillan ne frappe pas à l’improviste et par derrière!… Attendons… écoutons!…

Et Pardaillan se mit à écouter et à regarder, oubliant ce qu’il y avait d’étrange et de périlleux dans sa situation.

Fausta, au moment où elle avait quitté Pardaillan sur le seuil de son palais, avait pu, à certains signes imperceptibles, à une lointaine rumeur, se douter que Guise avait bien pris ses précautions contre Pardaillan. La présence du messager qui avait porté son billet au duc changea cet espoir en certitude. L’homme lui assura que tous les ponts étaient occupés…

Ce fut pour Fausta une minute de joie, un court répit dans la douleur affreuse qu’elle était parvenue jusque-là à cacher sous un visage immuable. Mais à peine fut-elle enfermée, verrouillée dans sa chambre, seule, et sûre que nul ne pouvait ni la voir, ni l’entendre, sa physionomie se décomposa, ses yeux noirs lancèrent des éclairs, et des imprécations tordirent ses lèvres. Tout ce que la rage et la fureur à leur paroxysme peuvent suggérer à un esprit affolé de blasphèmes, de menaces, de projets hideux, Fausta le hurla dans sa pensée, Fausta le bégaya en paroles rauques.