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– Comment pouviez-vous savoir que j’allais au camp de Farnèse?

– Parce que je l’ai entendu dire à la très noble signora Fausta, répondit paisiblement le chevalier.

– Ah! ah! fit le messager abasourdi.

Puis il reprit:

– Soit encore. Mais vous avez dit que votre acharnement à me rattraper venait du désir que vous aviez de voyager en ma compagnie… d’abord. Il y a donc un autre motif?…

– Monsieur le comte, fit Pardaillan, à mon tour de vous questionner, voulez-vous?

– Faites…

– Savez-vous ce que contient la lettre qui vous a été remise à Saint-Denis de la part de la signora Fausta et à destination d’Alexandre Farnèse?

Le messager fut atterré. Il n’y avait plus de doute dans son esprit. L’étranger n’étant pas, ne pouvant pas être un envoyé de Fausta, c’était un ennemi dangereux qui avait surpris de redoutables secrets.

Il regarda autour de lui. À sa droite, c’étaient les champs. À sa gauche, les falaises au-delà desquelles on entendait se lamenter la mer. Devant lui, à une demi-lieue en tirant un peu sur la droite, un clocher avec quelques chaumières de pêcheurs autour: c’était Gravelines. La solitude était complète, et l’endroit excellent pour se défendre d’un gêneur.

Le messager de Fausta regarda Pardaillan qui souriait toujours.

– Monsieur, dit-il, il me serait difficile de répondre à votre question, parce que n’étant porteur d’aucune lettre, je ne puis vous dire le contenu d’une missive qui n’existe pas.

– Ah! monsieur le comte! fit Pardaillan, vous récompensez bien mal ma franchise. Je vous ai dit la vérité pure… et voici que vous essayez de me tromper!

– Eh bien, gronda le messager en pâlissant, j’ai une lettre, c’est vrai. Après?…

– Je vous demande si vous savez son contenu…

– Non. Et quand je le saurais…

– Vous ne me le diriez pas, c’est entendu. Mais vous ne le savez pas. Et je vais vous le dire…

– Qui êtes-vous, monsieur?… cria le messager chez qui la colère montait d’instant en instant.

– Vous m’avez demandé mon nom, et je vous ai répondu que je m’appelle le comte de Margency. Quant à vous dire qui je suis, c’est autre chose!… La lettre, monsieur, ne parlons que de la lettre! Voici ce qu’elle contient: un ordre de la signora Fausta au généralissime d’avoir à se tenir prêt à entrer en France et à marcher sur Paris avec son armée au premier signe qui lui en sera fait.

Le messager devint très pâle.

– Après? gronda-t-il.

– Après? Eh bien, mon cher monsieur, je ne veux pas que cette lettre arrive au camp de Farnèse, voilà tout!

– Vous ne… voulez pas?…

À ces mots, le messager saisit son pistolet. Pardaillan en fit autant.

– Réfléchissez, dit-il. Remettez-moi cette lettre.

Et il braqua le canon du pistolet sur le messager. Celui-ci haussa les épaules:

– Vous ne songez pas à une chose, dit-il avec un calme que Pardaillan admira. Mais je tiens à vous le dire avant de vous tuer…

– Je suis tout oreilles.

– Eh bien, vous venez de me dire le contenu de la lettre, que j’ignorais. Je pourrais donc, si j’avais peur, vous remettre la missive, et transmettre l’ordre de vive voix…

– Non, fit Pardaillan, car le généralissime n’obéira qu’à un ordre écrit…

– En ce cas, vociféra le messager, je vous tue!…

En même temps il fit feu… Pardaillan, d’un coup d’éperon, fit faire à son cheval un écart qui eût désarçonné un cavalier ordinaire. La balle passa à deux pouces de sa tête. Presque aussitôt, il fit feu à son tour, non pas sur le cavalier, mais sur la monture: la bête frappée au crâne s’affaissa. Dans le même instant, le messager sauta et se trouva à pied, l’épée à la main. Pardaillan avait sauté aussi et tiré sa rapière.

– Monsieur, dit-il gravement, avant de croiser nos deux fers, veuillez m’écouter un instant. Je me suis nommé comte de Margency, et j’en ai le droit. Mais je porte aussi un autre nom: je suis le chevalier de Pardaillan…

– Ah! ah! je m’en étais douté un instant! grommela furieusement le messager.

Et en même temps, il jetait un regard de curiosité et d’inquiétude sur le chevalier.

– Vous me connaissez, dit Pardaillan. Tant mieux. Cela nous évitera les longs discours. Puisque vous me connaissez, monsieur le comte, vous devez savoir que votre maîtresse, votre souveraine a voulu trois ou quatre fois déjà me faire assassiner. La dernière fois, il n’y a pas longtemps, je venais de lui sauver la vie: en signe de gratitude, elle a jeté à mes trousses tous les gens d’armes du duc de Guise… J’aurais pu la tuer. C’était mon droit. Et j’en avais la possibilité. Je n’avais que le bras à allonger. Ce meurtre m’a répugné, je l’avoue. Mais ce qui ne me répugne nullement, c’est de considérer Fausta comme une intraitable ennemie, c’est de renverser ses projets autant qu’il en sera en mon pouvoir, c’est enfin de considérer ses amis et serviteurs comme mes ennemis, depuis le duc de Guise jusqu’à vous. Je lis dans vos yeux l’envie que vous avez de me tuer. Vous ne me tuerez pas, monsieur! Et comme je ne veux pas que sa lettre arrive, comme enfin vous êtes le serviteur d’une femme qui veut ma mort, c’est moi qui vais vous tuer!…

En même temps, Pardaillan tomba en garde. Les fers se croisèrent…

Le comte Luigi, en homme habile, se tint sur la défensive. En somme, il ne s’agissait pas pour lui de tuer un adversaire et de remporter la victoire. Il s’agissait simplement d’écarter ou d’arrêter un adversaire. Il s’agissait de faire parvenir la lettre.

Pardaillan, selon son habitude, attaqua par une série de coups droits foudroyants. Le messager ne dut son salut qu’à une marche en arrière. Mais tout en rompant, il se défendait avec un courage et une habileté qui pendant quelques secondes tinrent l’assaillant en respect…

– Monsieur, dit tout à coup Pardaillan, vous me paraissez homme de cœur, et je vous dois mes excuses…

– De quoi? fit le comte Luigi.

– De vous avoir prié de me remettre votre lettre. J’aurais dû prévoir qu’un homme comme vous peut être vaincu par la fortune, mais qu’il ne courbe pas volontairement la tête…

– Merci, monsieur, dit le messager en parant vivement une nouvelle attaque.

– Recevez donc, acheva Pardaillan, toutes mes excuses pour la proposition incongrue que je vous ai faite, et tous mes regrets d’être forcé de vous traiter en ennemi…

En même temps, il se fendit à fond. Le messager jeta un cri rauque, laissa échapper son épée, tourna sur lui-même et s’abattit…

– Holà! grommela Pardaillan, aurais-je vraiment été assez maladroit pour le tuer…

Il s’agenouilla, défit le pourpoint du comte toscan et examina la blessure en hochant la tête. À ce moment, le blessé ouvrit les yeux.

– Monsieur, dit Pardaillan, je suis maître du champ. Je puis donc vous prendre la missive que vous portez. Mais je serais au désespoir de vous quitter en ennemi, car vous êtes un brave… Voulez-vous, de bonne volonté, me remettre cette lettre?… Voulez-vous que nous nous séparions amis?…

Le blessé fit péniblement un geste de la main pour désigner une poche intérieure de son pourpoint.

– La lettre est là? dit Pardaillan.