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Sur un ton très naturel, celui-ci répondit:

– J’ai dit que j’étais payé parce que je suis content d’avoir rendu service à don César, tiens!

Laissant leur petit guide, les trois aventuriers, en se servant de la borne, eurent tôt fait d’escalader le mur et se laissèrent doucement tomber dans les jardins de la maison des Cyprès.

Don César voulut s’élancer aussitôt; mais Pardaillan le retint en disant:

– Doucement, s’il vous plaît. Ne nous exposons pas à un échec par trop de précipitation. C’est le moment d’agir avec prudence et surtout silencieusement. Je passe le premier en éclaireur; vous, don César, derrière moi; et vous, monsieur de Cervantès, vous fermerez la marche. Ne nous perdons pas de vue, et maintenant plus un mot.

Dans l’ordre qu’il venait d’établir, Pardaillan s’avança prudemment, évitant les allées sablées comme l’avait judicieusement recommandé El Chico, se dirigeant droit vers le côté de la maison qui lui faisait face.

Les portes et les fenêtres étaient closes. Pas le plus petit filet de lumière ne se voyait nulle part. De ce côté, tout semblait bien endormi.

Pardaillan contourna la maison et atteignit le deuxième côté, aussi sombre, aussi silencieux que le premier. Il poussa plus loin et parvint au troisième côté.

De ce côté, à une fenêtre du rez-de-chaussée située dans l’angle de la maison, à travers des volets mal joints, un mince filet de lumière filtrait.

Pardaillan s’arrêta.

Jusque-là, tout paraissait marcher à souhait. Il s’agissait maintenant d’atteindre la fenêtre éclairée et de voir ce qui se passait à l’intérieur.

Pardaillan désigna la fenêtre à ses deux compagnons et, sans mot dire reprit sa marche en avant, en redoublant de précautions.

D’ailleurs tout paraissait les favoriser. Ils marchaient sur un épais gazon qui étouffait complètement le bruit de leurs pas et ils côtoyaient de nombreux massifs, derrière lesquels il leur serait facile de se dissimuler en cas d’alerte.

Pardaillan contourna un massif qui se trouvait à quelques pas de la fenêtre. Don César et Cervantès suivirent à la file et ne remarquèrent rien d’anormal. Ce massif une fois dépassé, ils n’avaient plus qu’à franchir une petite pelouse qui s’étendait, presque jusque sous la fenêtre.

Derrière Cervantès, du sein de ce massif où ils n’avaient rien remarqué d’anormal, des ombres surgirent soudain, rampèrent silencieusement et se redressèrent tout à coup pour exécuter avec un ensemble parfait la manœuvre que voici:

Deux mains saisirent l’écrivain au cou, par derrière, et étouffèrent dans sa gorge le cri prêt à jaillir. Une cape fut lestement jetée sur sa tête, vivement entortillée et serrée à l’étouffer. Des poignes vigoureuses le saisirent aux bras et aux jambes, l’enlevèrent comme une plume avant qu’il eût pu se rendre compte de ce qui lui arrivait, et le portèrent dans le massif.

La capture s’était opérée avec une rapidité foudroyante, sans heurt, sans bruit, sans à-coup d’aucune sorte, sans que ni le Torero, ni Pardaillan, plus éloignés, se fussent aperçus de quoi que ce soit.

Dans le massif une des ombres dépouilla lestement Cervantès de son manteau. Elle s’en enveloppa soigneusement et, s’efforçant d’imiter l’allure du prisonnier, s’en fut délibérément rejoindre le chevalier et don César.

Une voix brève prononça:

– Qu’on le porte dehors, sans lui faire du mal.

Et Cervantès, à moitié étranglé, se trouva porté hors de la maison en moins de temps certes qu’il n’en avait mis à pénétrer.

Pendant que Cervantès était ainsi lestement enlevé Pardaillan et don César étaient parvenus sous la fenêtre éclairée.

Nous avons dit qu’elle était située au rez-de-chaussée. Mais c’était un rez-de-chaussée assez élevé pour qu’un homme, même de grande taille, ne pût atteindre les volets et jeter un regard indiscret dans l’intérieur.

Or, à droite et à gauche de la fenêtre, il y avait deux arbustes plantés dans deux grandes caisses. Et Pardaillan, qui avait passé sa journée à se débattre dans le filet d’Espinosa, Pardaillan qui avait pu se rendre compte à ses dépens, de quelles précautions minutieuses l’inquisiteur savait s’entourer, Pardaillan ne put s’empêcher de trouver bizarre que ces deux caisses se trouvassent précisément là, sous cette fenêtre, la seule éclairée de la mystérieuse demeure.

– On jurerait qu’on les a placées là pour nous faciliter la besogne, grommela-t-il.

D’un coup d’œil rapide, il étudia les volets et il pensa:

«Bizarre! ces volets ne tiennent pour ainsi dire pas. La lumière filtre par quantité de fentes et de trous… Mordiable! cette fenêtre de rez-de-chaussée si mal défendue, dans une maison qui, partout ailleurs, paraît gardée!… Voilà qui ne me dit rien qui vaille!…»

Mais tandis que Pardaillan observait et réfléchissait, El Torero, impatient comme tous les amoureux, agissait. C’est-à-dire que sans se poser des points d’interrogation comme le faisait le chevalier, il traînait une des deux caisses sous la fenêtre, grimpait dessus sans s’inquiéter de l’arbuste qu’il piétinait, et, appliquant son œil à une de ces nombreuses fentes qui paraissaient suspectes à Pardaillan, il regarda et, oubliant toute prudence, il s’exclama presque à haute voix:

– Elle est là!…

En entendant cette exclamation, Pardaillan jeta les yeux autour de lui. À ce moment l’homme qui s’était enveloppé dans le manteau de Cervantès s’approchait avec précaution, tout comme aurait fait le romancier. Dans l’ombre Pardaillan le prit pour Cervantès et n’apercevant rien de suspect, il s’élança d’un bond à côté de don César et regarda lui aussi, oubliant toutes ses appréhensions du coup.

Sur un lit de repos, placé juste en face la fenêtre, la Giralda, étendue, paraissait profondément endormie. C’était bien elle, il n’y avait pas le moindre doute, et l’amoureux n’aurait certes pu s’y tromper.

Don César et Pardaillan se regardèrent et se comprirent sans parler.

S’arc-boutant sur leur caisse ils saisirent les volets et tirèrent de toutes leurs forces réunies.

Les volets s’ouvrirent sans trop de peine et sans aucun bruit, ce qui, en l’occurrence, était le plus important.

Débarrassés de cet obstacle, ils s’établirent le mieux qu’ils purent sur le bord de la fenêtre afin de l’ouvrir sans bruit, comme ils venaient d’ouvrir les volets.

À ce moment une porte s’ouvrit dans la chambre. Un homme entra qui s’approcha de la Giralda et la contempla un moment avec une expression passionnée qui fit pâlir don César. Puis, se baissant, l’homme saisit dans ses bras la jeune fille qui s’abandonna, les membres ballants, comme un corps privé de la vie. Chargé de son précieux fardeau, qui ne paraissait pas peser bien lourd à ses bras robustes, l’homme se redressa et se dirigea vers la porte par où il était entré.

– Vite! rugit don César en donnant de l’épaule contre la fenêtre, il l’emporte!

Pardaillan tira son épée, appuya de son côté, de toutes ses forces contre la fenêtre, qui s’ouvrit violemment, avec fracas, et l’épée à là main il sauta à l’intérieur de la pièce. Au même instant il entendit un cri terrible.

Lorsqu’il sentit la fenêtre céder sous leurs efforts, don César se ramassa pour bondir. Dans le même moment, il se sentit saisir par les jambes et ramené en arrière. Alors il poussa le cri que Pardaillan entendit en sautant.

Ramené violemment à terre, le Torero fut saisi en un clin d’œil, réduit à l’impuissance, comme l’avait été Cervantès, et comme lui porté hors la maison.

Pardaillan, lui, avait sauté.