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Le soupçon, comme on voit, s’était changé en certitude. Le mobile seul lui échappait. Et c’est ce mobile qu’il avait résolu de connaître.

Là-dessus était venue l’affaire de sa délivrance. Pardaillan, brave et loyal gentilhomme, avait reculé avec horreur à la pensée d’accuser un père de comploter contre son fils. Il l’avait très bien compris et n’avait pas insisté. Mais lui, qui savait ce que valait Saêtta et qu’il n’était pas son père, lui avait été vivement frappé de ce fait venant s’ajouter à tant d’autres.

Et il était parti résolu à avoir une explication violente, mais décisive. L’attitude de Saêtta l’avait déconcerté. Il s’était dit: «Ce n’est pas une comédie qu’il joue là. Quel but tortueux poursuit-il donc? Il faut que je sache à tout prix. Mais ce n’est pas de la violence qu’il faut ici, ni de la franchise: c’est de la ruse. Soit, je ruserai donc.»

Et son attitude s’était modifiée. Et maintenant il se préparait à cet entretien qu’il sentait inévitable comme il se serait préparé pour une lutte d’où il lui fallait sortir vainqueur coûte que coûte.

Saêtta, à mille lieues de soupçonner la tempête déchaînée sous ce front pâle, mais calme en apparence, Saêtta, en un récit fantaisiste, préparé d’avance, raconta comment il était allé rue des Rats dans l’intention de l’arracher aux griffes de Concini. Le récit qu’il fit était invraisemblable. Jehan eut l’air de l’accepter pour véridique et remercia comme il convenait.

Quand les explications eurent été fournies de part et d’autre, Saêtta entreprit de décider Jehan à s’emparer du trésor de Fausta. Il n’indiquait que vaguement l’endroit où on le trouverait: dans les environs de la chapelle du Martyr. Il n’était venu que dans cette intention.

Quels arguments convaincants il trouva? Peu importe. Disons seulement que lorsqu’il quitta la mansarde, il emportait la conviction que Jehan était fermement résolu à s’approprier le trésor. Quand il se trouva enfin seul, Jehan réfléchit:

– Voilà où il voulait en venir! À me proposer un vol. Il y a longtemps qu’il cherche à faire de moi un voleur!… Pourquoi cette obstination? Pourquoi?

Et, avec un sourire qui eût inquiété l’ancien maître d’armes, s’il l’avait pu voir, il ajouta:

– Eh bien, soit! Je me ferai voleur… puisque je n’ai que ce moyen de percer le but secret poursuivi avec tant d’opiniâtreté par Saêtta.

Cependant, cette lutte qu’il venait de soutenir avait été un grand bien pour lui en ce sens qu’elle lui avait fait oublier momentanément Bertille et l’avait arraché au morne désespoir dans lequel il s’enlisait, en réveillant en lui l’homme d’action.

Maintenant sa pensée revenait à sa fiancée. Mais ce n’était plus pour s’abandonner au découragement, c’était pour s’exciter à la lutte. Il allait et venait dans la petite mansarde, comme un fauve dans sa cage, ne semblant pas se souvenir qu’il venait de passer deux journées d’angoisses mortelles, enseveli dans une sorte de tombe. Deux journées qui eussent brisé de fatigue le tempérament le plus robuste. Il finit pas se dire:

– Je fouillerai Paris maison par maison et il faudra bien que je la retrouve… Et si je ne la trouve pas?… si elle est morte?… C’est bien simple: comme la vie ne m’est plus rien sans elle, j’en finirai d’un bon coup de dague. Mais encore faut-il que j’aie épuisé toutes les recherches. Dès demain, j’entre en campagne. J’aurai besoin de toutes mes forces. Donc, il faut que je me repose. Couchons-nous et dormons… c’est nécessaire.

Et il fit comme il avait décidé: il se coucha. Et, soit que la fatigue l’eût terrassé enfin, soit effet de sa volonté, quelques instants plus tard il dormait profondément.

Il faut convenir qu’il n’avait vraiment pas volé les quelques heures de repos qu’il s’accordait.

XXXII

Après le départ de Jehan, Pardaillan monta dans sa chambre, où il s’enferma à double tour. Il prit le coffret qui lui avait été confié et le posa sur sa table. Et il resta un long moment rêveur, les yeux fixés sur le coffret, sans le toucher.

Il s’éloigna de la table et se mit à marcher de long en large, réfléchissant profondément. Et chaque fois qu’il passait devant le coffret, il lui jetait un coup d’œil. Mais il ne le touchait toujours pas.

Il paraissait tourner et retourner dans son esprit une question qui l’embarrassait.

Brusquement, il se décida. Il traîna le fauteuil devant la table, se laissa tomber dedans, et, avec un haussement d’épaules, il bougonna:

– Au diable les scrupules!… Ces papiers m’appartiennent… ils me sont destinés, tout au moins. Si la demoiselle de Saugis savait que je suis Pardaillan, elle me les remettrait. Cela ne fait pas de doute. Donc, je ne fais rien de mal… j’use de mon droit strictement.

Ayant tranché ce point qui l’avait laissé si longtemps indécis et hésitant, il prit le coffret d’une main ferme et en vida le contenu sur la table.

Il prit un à un les papiers et les parcourut très superficiellement, cherchant son nom. Il trouva, en tout et pour tout, deux feuillets qu’il mit de côté. Il remit tous les autres dans le coffret qu’il ferma à clef et il alla cacher le tout au fond d’un bahut dont il mit la clé dans sa poche.

Ceci fait, il revint s’asseoir devant la table et prit les deux feuillets. Le premier de ces feuillets était la lettre du comte de Vaubrun dont nous avons cité les passages essentiels au moment où l’indiscrète Colline Colle la lisait.

Pardaillan lut et relut cette lettre avec la plus grande attention. Puis, il la posa sur le bord de la table et réfléchit:

– Qu’est-ce que c’est que ce Luigi Cappello, comte de Vaubrun, qui fut au service de Mme Fausta et se dit mon ami?… Du diable si je me souviens!

Il parut remonter dans des souvenirs lointains et tout à coup il s’écria:

– Eh! pardieu, j’y suis: Luigi Capello, comte toscan! C’est le messager que Fausta envoyait au général Alexandre Farnèse, pour lui porter l’ordre d’envahir le royaume à la tête de son armée. C’est celui que j’arrêtai et blessai, sur la route de Gravelines. Oh! diable, ceci ne date pas d’aujourd’hui!

Il fouilla encore une fois sa mémoire, et il eut un sourire de satisfaction.

– Voilà les souvenirs qui reviennent, murmura-t-il. Après l’avoir blessé, après lui avoir enlevé la lettre de Fausta, que je déchirai devant lui, je l’ai soigné de mon mieux, et il en fut très touché. Si touché que, lorsqu’il fut complètement rétabli, il vint me remercier, m’assura qu’il se considérait comme mon obligé et que je pouvais faire état de lui, comme d’un ami dévoué.

Il eut un de ces indéfinissables sourires, et:

– Mon obligé: hum!… C’était un peu excessif. Car enfin, si je ne l’avais pas blessé, je n’aurais pas eu le mérite de le soigner ensuite. Mon ami: cette lettre me prouve qu’il l’était réellement devenu. C’était un brave, c’était aussi un galant homme et un homme de cœur.

Content d’avoir élucidé ce détail qui l’intriguait, il passa à un autre.