Oubliant que la jeune fille ne pouvait le voir, il se découvrit dans un geste un peu théâtral, empreint de cette grâce élégante qui caractérisait ses gestes et ses attitudes, et il dit avec empressement:
– Madame, si vous daignez promettre de ne pas appeler à l’aide, de ne pas bouger…
– Je n’appellerai pas, je ne bougerai pas, assura la jeune fille.
– S’il en est ainsi, madame, croyez que je suis très heureux d’accéder à vos désirs qui sont des ordres pour moi.
Et Concini lui-même, secoué d’un long frisson au contact de ce corps désiré qui l’affolait, arracha les écharpes qui l’immobilisaient, le manteau qui lui dérobait la vue de ces traits d’une pureté idéale, qu’il avait hâte de contempler.
Bertille n’eut pas un mot, pas un geste de remerciement à l’adresse de celui qui venait de lui rendre la liberté de ses mouvements. Elle ne daigna même pas l’honorer d’un regard. Il semblait qu’elle ne l’eût même pas aperçu.
Avec un calme stupéfiant, que Concini admira intérieurement, elle se redressa sans hâte et s’assit, commodément. Elle aspira longuement une bouffée d’air frais, rajusta son corsage, rejeta derrière l’oreille quelques mèches de cheveux qui la gênaient, arrangea, de quelques menus gestes vifs et gracieux, les plis de sa robe chiffonnée et croisa fortement ses mains sur son sein. Geste en apparence très naturel, mais qui lui permettait d’avoir constamment sous la main l’arme sur laquelle reposait son salut.
Et Concini la vit ainsi toute blanche, enveloppée dans les plis harmonieux du prestigieux manteau d’or qu’était son opulente chevelure. Il vit la resplendissante beauté, l’éclatante fraîcheur, le velouté de la chair douce et parfumée, l’harmonie impeccable des lignes, la grâce juvénile des attitudes empreintes d’une souveraine dignité, et, émerveillé, ébloui, il ferma les yeux sous le masque et porta la main à son cœur comme pour en comprimer les tumultueux battements.
Les trois sacripants eux-mêmes, sous le charme de cette radieuse apparition, traduisirent leur impression par leur habituel sifflement, indice de la plus extrême admiration. Et, par un revirement dont ils étaient sincèrement ébahis, ils commencèrent d’éprouver une étrange sensation de malaise à la pensée de la besogne qu’ils accomplissaient. Et dans leur cœur racorni, l’aube d’un sentiment inconnu, qui ressemblait presque à de la pitié, se levait en faveur de cette enfant qui leur apparaissait belle et pure et immaculée, autant et plus que ces représentations en images de madame la Vierge, qu’ils admiraient de confiance quand, par hasard, ils s’égaraient dans une église, ce qui leur arrivait quelquefois.
Cependant, si Concini avait connu la jeune fille, il aurait été frappé de sa pâleur. Ses yeux bleus, si doux, brillaient d’un éclat fiévreux qui lui aurait donné fort à penser. Mais Concini ne la connaissait pas. Il fut dupe de son calme apparent.
Sans regarder le ravisseur qui se tenait debout et découvert devant elle, dans une attitude respectueuse, comme perdue dans un rêve, de sa voix harmonieuse, elle dit:
– Vous vous exprimez comme un gentilhomme que vous n’êtes pas…
– Madame! gronda Concini en pâlissant. Imperturbable, elle continua:
– … parce que un gentilhomme, digne de ce nom, ne s’abaisse pas à faire violence à une jeune fille… Mes désirs sont des ordres pour vous, avez-vous dit? Soit!… Je désire donc retourner paisiblement chez moi. Laissez-moi aller et j’oublierai…
– Madame, interrompit Concini d’une voix désespérée, vous me demandez précisément la seule chose que je ne puisse vous accorder… pour le moment du moins.
Avec un air de dédain écrasant qui exaspéra Concini, de sa voix paisible, presque indifférente, elle insista:
– Je disais bien: vous n’êtes pas un gentilhomme, cela se voit, du reste… Vous êtes le plus fort, faites de moi ce que vous voudrez… Je ne m’abaisserai certes pas à discuter plus longtemps avec vous.
Emporté par la passion qui grondait en lui, Concini éclata d’une voix basse, ardente:
– De grâce, madame, écoutez-moi… Vous ne savez pas quelle passion furieuse, sauvage, est entrée en moi, dès l’instant où je vous ai aperçue pour la première fois… vous ne savez pas que depuis cet instant, je passe des nuits sans sommeil, à balbutier votre nom si cher et si doux!… Oui, je sais, j’ai usé de ruse et de violence envers vous, vous l’avez dit: je me suis avili à une besogne déshonorante pour un gentilhomme. Mais je ne suis pas aussi coupable que vous le pensez… Il le fallait, madame: une menace était suspendue sur votre tête et je n’avais que ce moyen pour vous sauver… Le mépris dont vous m’accablez est aussi injuste qu’il m’est intolérable… Je vous le jure, madame, jamais passion ne fut aussi profonde, aussi sincère, aussi respectueuse que celle que vous m’avez inspirée!
Jusque-là, Bertille avait gardé une attitude pétrifiée. On n’aurait su dire si elle écoutait seulement. Voyant qu’il faisait une pause avec un air de souveraine dignité, elle prononça:
– Un mot, un seuclass="underline" Suis-je libre, oui ou non?
– Eh bien! haleta Concini, tenez, madame, oui, vous êtes libre!… Allez, retournez paisiblement chez vous!…
Malgré l’empire prodigieux dont elle avait fait preuve jusque-là, la jeune fille ne put retenir un mouvement de joie. Un peu de sang reparut sur ses joues si pâles, et d’un geste impulsif, sa main s’appuya sur la portière, comme si elle eût voulu user à l’instant de cette liberté rendue.
Mais déjà Concini reprenait, la brûlant de son souffle enflammé:
– En échange, je ne vous demande qu’une chose, oh! si peu: laissez tomber sur moi un regard moins sévère. Dites un mot… un seul mot d’espoir!… un mot, madame, est-ce trop exiger de vous?
La main crispée sur l’appui de la portière retomba mollement, et, du bout des lèvres, elle laissa tomber:
– Après la félonie et la violence, le marchandage et l’injure!… Laquais!
Et tournant le dos d’un geste las, elle s’accota, ferma les yeux et parut s’assoupir.
Le favori eut un geste de rage et de menace. Le mot l’avait cinglé comme un coup de cravache en plein visage. Une horrible imprécation jaillit de sa gorge contractée et remettant son chapeau qu’il enfonça d’un coup de poing furieux, il gronda:
– Laquais! soit… J’agirai donc en laquais!…
Et profitant de ce que la jeune fille lui tournait le dos, saisissant les deux écharpes qu’il avait posées sur la portière, d’un geste prompt il les lui jeta sur la tête et la bâillonna de nouveau avant qu’elle eût esquissé un geste de défense. Il paraît qu’il ne se fiait plus à la parole qu’elle avait donnée de ne pas appeler.
Soulagé par cette violence, il ordonna d’un ton rude:
– En route, vous autres!… Où vous savez.
La litière s’ébranla, escortée par les trois braves, la rapière au poing, suivie de Concini qui, les lèvres retroussées par un rictus terrible, marmonnait en la couvant des yeux:
– Laquais!… Ce mot dont tu viens de me souffleter, la belle, te fera verser des larmes de sang!…