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– Eh bien, tu seras à moi quand même! rugit Concini.

Il y avait déjà un moment qu’il préparait son coup. Il bondit brusquement.

Elle leva le bras et l’abattit dans un geste foudroyant. Mais il la surveillait; il avait prévu le geste. Il rejeta vivement le torse de côté. Le petit poing armé fut happé au passage par ses deux poignes tendues.

Ce ne fut pas long. Ce bras blanc, ferme, potelé, ce faible bras de femme, il le tordit, le pétrit. Elle eut un cri déchirant: le poignard, échappant à ses doigts meurtris, venait de tomber sur le parquet.

Avec un éclat de rire sauvage, il le repoussa d’un coup de pied violent et la saisit à pleins bras. Il ricanait toujours. Dans l’état de surexcitation où il se trouvait, joint à l’animation de la lutte, le masque de l’homme civilisé tombait sans qu’il en eût cure, les mauvais instincts de la brute reprenaient le dessus. Et oubliant de surveiller sa prononciation, il grognait entre deux éclats de rire, dans un baragouin moitié français, moitié italien:

– Ah! poveretta, tou croyais me faire ricouler!… Tou ne me connais pas… Te voglio! te voglio! et porco dio! tou seras à moi!…

Elle se raidit, la tête rejetée en arrière, pour éviter l’odieux baiser. Et de ses petits poings fermés, elle frappait comme elle pouvait, au hasard.

Lui, il resserrait son étreinte, il la poussait vers l’estrade et il ricanait:

– Frappe… mords… égratigne… Tes coups sont des caresses pour moi!

Pourtant, à force de se tordre, de se débattre, elle finit par lui glisser des mains, elle réussit à se dégager. Elle n’avait plus qu’une pensée lucide: gagner du temps, ne fût-ce qu’une minute… atteindre la porte. Et puis? Est-ce qu’elle savait!… Un miracle pouvait se produire. Ces trois hommes qui avaient pitié d’elle, tout à l’heure, interviendraient peut-être… Le plafond pouvait s’écrouler et l’écraser… le plancher s’effondrer et l’engloutir… Elle ne savait plus, tant son affolement était grand.

Dans sa lutte, elle s’était laissé acculer contre la petite porte. Si cette porte s’ouvrait, c’était peut-être le salut. Elle essaya de l’ouvrir. Elle était fermée à clé, et la clé n’était pas sur la serrure. Alors tenter de gagner la grande porte?… Mais il fallait contourner l’estrade et son lit monstrueux. Quel chemin à franchir! Et le fauve était là qui guettait, qui la harcelait et barrait la route. Elle fit un appel désespéré au sang-froid et tenta l’aventure. Et dans cet espace d’angle réduit, ce fut la fuite raisonnée, méthodique. Elle, renversant tout ce qui se trouvait à portée de sa main, accumulant les obstacles, les yeux dilatés, hagards, obstinément fixés sur le but à atteindre, les forces décuplées par le désespoir. Et comprenant que s’il la saisissait à nouveau, si elle tombait, si elle s’évanouissait, elle était perdue, elle agissait avec une hâte prudente, attentive à tout, ménageant ses forces. Et cependant, sans interruption, elle poussait de longs cris de détresse.

– À moi!… À l’aide!…

Lui, exalté jusqu’à la folie furieuse, la violence de son désir exaspéré par cette résistance acharnée, il la serrait de près, ne lui laissait pas gagner un pouce de terrain. Il enjambait ou écartait à coups de pied les obstacles et il la poussait avec acharnement, cherchant à l’acculer contre l’estrade. Et, défiguré, hideux, il grognait d’une voix qui n’avait plus rien d’humain:

– Je t’aurai!… Tu seras à moi!…

Elle sentait ses forces s’épuiser; elle n’en pouvait plus; elle était à bout de souffle, ses cris se changeaient en râles.

Il comprit qu’elle faiblissait. Il redoubla d’efforts, précipita ses attaques. Enfin, ses deux griffes s’abattirent sur ses épaules et la maintinrent. Il la tenait à nouveau. Il eut le grognement joyeux du fauve qui s’apprête à déchirer sa proie:

– Je te tiens!… Tu es à moi!…

Haletante, ruisselante de sueur, déchirée, meurtrie, échevelée, l’esprit chaviré, n’ayant plus une pensée lucide, l’instinct de la conservation, seul, lui fit tenter un suprême effort. Effort vain. Il la tenait bien, cette fois-ci. Alors, un nom monta de son cœur à ses lèvres et jaillit irrésistible, spontané, dans un dernier appel déchirant:

– Jehan! À moi, Jehan!…

Délire? Hallucination? Il lui sembla qu’une voix lointaine, assourdie, tonnait dans le silence de la nuit: «Me voici!»

Hélas! ce n’était qu’une illusion. Le miracle espéré ne se produisit pas. Nul sauveur n’apparut. Et le monstre, dont elle sentait le souffle rauque lui brûler le visage, le monstre raillait:

– Appelle!… Nul ne t’entendra!… Nul ne viendra à ton secours!… Rien ne peut t’arracher à mon étreinte.

Illusion heureuse, toutefois, car dans son cerveau prêt à sombrer dans la folie, une détente se produisit. L’aube d’une espérance, si incertaine qu’elle fût, lui donna des forces nouvelles. Avec la raison, un peu de sang-froid lui revint. Et elle se raidit, se tordit, griffant, mordant, frappant des genoux, s’acharnant inutilement à s’arracher aux serres puissantes qui la tenaient solidement. Et le même appel, plus douloureux, plus désespéré, jaillit encore une fois de ses lèvres décolorées:

– Jehan! À moi, Jehan!

Concini réunit toutes ses forces. Son étreinte se fit irrésistible, indénouable, et il réussit enfin à la soulever, à l’arracher de terre. Alors, il se mit en marche vers le lit, pareil à quelque monstre fabuleux dont la gueule béante semblait s’ouvrir démesurément, prête à broyer la proie. Il y allait lentement, parce qu’il était entravé par ses soubresauts incessants, aveuglé par les coups qu’elle ne cessait de faire pleuvoir sur sa tête, au hasard, mais il y allait sûrement, sans dévier d’une ligne, avec l’inébranlable conviction que, ainsi qu’il l’avait dit, nulle puissance humaine ne pouvait la lui arracher. Et en marchant, pour répondre à ses appels interrompus, il hurlait de toute la puissance de ses poumons:

– Ton Jehan?… Il est au Châtelet… au Châtelet, je te dis, enchaîné dans quelque bon cachot d’où il ne sortira que pour être traîné à l’échafaud!

Comme il prononçait ces paroles, une voix jeune claironna derrière lui:

– Tu te trompes, Concini!… Jehan n’est pas au Châtelet. Il est ici!

Au même instant, Concini reçut au bas des reins un coup d’une force impétueuse: c’était la botte de Jehan qui entrait en collision avec le derrière du favori de la reine.; Le coup avait été si violent, si magistralement asséné, que Concini serait allé s’étaler sur le parquet avec son précieux fardeau si une poigne vigoureuse ne l’avait saisi à l’épaule et maintenu à temps. L’attaque avait été si soudaine, si imprévue, le choc si rude, si douloureux que le ravisseur, étourdi, suffoqué, ne put retenir un cri de douleur atroce. Mais, en même temps, il ouvrit les bras, lâcha sa victime qui courut se réfugier derrière son sauveur.

Il n’en avait pas encore fini. Avant qu’il fût remis, Jehan le retourna d’un geste prompt et brutal et sa main levée s’abattit à toute volée sur la joue du misérable, qui alla rouler sur le parquet, où il demeura évanoui.

XIV

Jehan se tourna vers la jeune fille et, avec une voix d’une infinie douceur: