«- Où est-elle?
«La gueuse!… Elle a compris tout de suite. Mais je l’étranglais sans m’en apercevoir. Je desserre mon étreinte; elle râle:
«- Partie!… Enlevée!… Je n’y suis pour rien!… Grâce!…
«On s’explique, à la hâte. Je lui arrache les mots, syllabe par syllabe… Au signalement, je reconnais mes hommes. La litière?… Je l’avais vue s’en aller dans la direction de la Seine. J ’étais fixé. Je savais qui avait fait le coup et où l’on vous conduisait. Je lâche la vieille, je repasse par le trou et je m’élance. J’arrive. Je martèle la porte à coups de pied, à coups de poing. Je crie, j’appelle… Heureusement, mes hommes se tenaient sur le qui-vive. Ils m’entendent, reconnaissent ma voix. Ils m’ouvrent. Une indication qu’ils me donnent, un ordre que je lance en bondissant… Il était temps!… Vous voyez que c’est très simple.»
Elle répéta machinalement:
– C’est très simple!…
Et les yeux perdus dans le vague, comme si elle avait considéré des choses visibles pour elle seule, doucement, à mi-voix, se parlant à elle-même:
– J’ai vu l’algarade avec les deux inconnus qui voulaient pénétrer chez moi. J’ai vu le duel avec le roi. J’ai vu la bataille avec les archers, alors que je tremblais que le roi n’arrivât trop tard. J’ai vu le misérable s’écrouler, assommé par un soufflet… un seul soufflet lancé par cette main de fer!…
Elle joignit ses petites mains et, extasiée, les traits illuminés par une joie enfantine, à laquelle se mêlait un naïf orgueil, elle acheva sa pensée:
– Pour moi!… Tout cela pour moi!…
Alors, ses yeux se portèrent sur lui qui, à demi courbé, palpitait, exalté d’une telle joie qu’il lui semblait que son cœur allait éclater dans sa poitrine. Et elle tendit vers lui ses jolies mains jointes en un geste de supplication:
– Prenez garde, dit-elle d’une voix ardente. Il faut veiller sur vous. Et avec une exaltation soudaine:
– Pourquoi ces archers, ces gardes sont-ils arrivés si fort à propos? Quelqu’un les avait donc prévenus?
Une ombre passa sur le front de Jehan. Si fugitive qu’elle fût, elle la vit, ou son cœur la devina.
– Ah! vous aussi, vous avez fait cette remarque? dit-elle vivement. Il avoua sans détours:
– Oui, et je me doute qui a fait le coup.
– C’est lui! C’est le misérable qui m’a enlevée. N’en doutez pas. Cet homme vous haïssait déjà mortellement. Et maintenant!… Mais il savait donc, lui, que vous deviez vous heurter au roi? Qui sait si ce n’est pas lui qui vous a prévenu, poussé, armé, à votre insu? Qui sait si ce n’est pas lui – ou les siens – qui avaient imaginé ce moyen de se défaire du roi?
Il tressaillit. Ces paroles, qu’une sorte de divination lui dictait, correspondaient trop bien avec ses propres observations et ses réflexions pour qu’il n’en fût pas frappé. Elle reprit avec plus d’exaltation:
– Savez-vous qu’il vous croyait arrêté?…
– Oui. Je l’ai entendu vous dire que j’étais enchaîné au Châtelet.
– Mais vous ne l’avez pas entendu me dire que l’échafaud se dresserait prochainement pour vous. Vous ne l’avez pas entendu parler des supplices qui vous seraient infligés!… Et tenez… oui, j’en jurerais… il s’est trahi sans le vouloir quand il a dit que vous subiriez le supplice des rég… C’est régicides qu’il a voulu dire. Il savait, vous dis-je!… Oh! veillez, veillez bien sur vous!
De la voir si agitée, si inquiète – et pour lui, à cause de lui -, une joie tumultueuse et infiniment douce le pénétrait, le grisait toute une éternité. Et il la rassura. Il veillerait sur lui-même. Elle pouvait être tranquille.
Mais il disait cela du bout des dents. C’était le lion qui se détourne dédaigneusement à la vue d’un adversaire trop faible pour lui. Elle comprît qu’il continuerait comme devant à négliger toute précaution. Elle hocha douloureusement la tête, ses traits si fins se crispèrent. Et tout à coup, elle se rasséréna. Elle avait une inspiration. Elle le regarda bien en face et dit d’une voix plaintive:
– Si vous ne veillez pas sur vous et s’il vous arrive malheur, que deviendrai-je, moi? Qui me défendra?
Il pâlit affreusement, toute sa joie tombée du coup. C’est qu’elle avait trouvé, d’instinct, l’argument puissant, irrésistible. Il dit, mais cette fois avec une conviction qui ne permettait aucun doute sur sa sincérité:
– Eh bien, oui, je veillerai sur moi, je vous le jure!… Parce que, en effet, vous avez raison, s’il m’arrivait malheur, vous n’auriez personne pour vous défendre.
Cette fois, elle fut rassurée. Il ferait pour elle ce qu’il aurait dédaigné de faire pour lui-même. Elle revint à Concini:
– Cet homme est redoutable… croyez-en mon cœur qui me le dit. Et peut-être n’est-il pas seul acharné à votre perte.
Il tressaillit de nouveau. Une fois de plus, elle l’étonnait en devinant des choses qu’elle ne pouvait savoir. Elle continua:
– Il faut vous garder de toutes les manières. On ne se contentera pas de chercher à vous meurtrir, on essayera de vous salir.
– Comment cela? fit-il étonné.
– Ce misérable ose prétendre que vous accomplissiez à son service une besogne horrible.
Très calme, il s’informa:
– Quelle besogne?… Ne serait-ce pas qu’il me reproche d’être un assassin à gages?
– Oui, dit-elle nettement.
Il se redressa, l’œil flamboyant, et lança:
– Il en a menti par la gorge, le ruffian!
S’il s’en était tenu là, tout eût été dit. Mais il crut devoir expliquer.
– J’aborde l’homme qu’on m’a désigné en face, loyalement, au grand jour. Et je le provoque. Un contre un, épée contre épée, la poitrine largement offerte aux coups. Parfois, seul contre plusieurs. Je joue ma peau. De quelque côté que frappe la mort, le combat est loyal. Il n’y a rien à dire.
Elle s’était dressée toute droite, très pâle. Elle ferma les yeux et gémit:
– Horrible!… Affreux!…
Il la vit si défaite qu’il en fut bouleversé. Cependant il ne comprenait pas encore. Il bégaya:
– Quoi?… Qu’est-ce qui est horrible, affreux? La tête basse, comme une coupable, elle précisa:
– La besogne que vous accomplissez.
Ce fut comme un coup de massue qui lui tombait brusquement sur le crâne. Il chancela. Il lui sembla que tout croulait en lui et autour de lui.
Comme elle le regardait à ce moment, elle vit le ravage effrayant causé par une parole tombée de sa bouche. Elle sentit son cœur fondre de compassion et elle expliqua doucement:
– Frapper pour sa défense personnelle, c’est bien… C’est la loi naturelle qui veut que chacun sauve sa propre existence menacée. Mais… frapper pour un peu d’or!… c’est cela qui est affreux… On ne vous l’a donc jamais dit?