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– Et c’est pour cela que tu avais prévenu le grand prévôt?

– Oui, signora!…

– Ce qui a été manqué cette nuit peut se recommencer, dit Léonora en le regardant en face.

Saêtta secoua la tête et:

– Non, signora, dit-il. Jehan n’est pas de ceux qui se laissent prendre deux fois de suite au même piège. Il est même extraordinaire que nous ayons pu l’amener là une fois… encore avons-nous échoué à la dernière minute.

Léonora ne put réprimer un geste de contrariété.

– Oui, dit froidement Saêtta, ce qui vous chiffonne, c’est le roi. Patience, signora, ce n’est là que partie remise. Si j’étais aussi sûr de réussir ma vengeance que vous pouvez être sûre, vous, d’être débarrassée du roi, avant peu…

– Que veux-tu dire? fit vivement Léonora. As-tu appris quelque chose?

– Non, rien, signora… Seulement, si j’en crois ce que j’entends chuchoter de différents côtés, les jours du roi sont comptés. Il est condamné. Par qui?… Pourquoi?… Comment?… C’est ce que nul ne sait ou du moins ne dit. Mais la conviction de chacun est qu’Henri de Navarre n’a pas longtemps à vivre.

– C’est vrai, dit Léonora avec un calme effrayant. C’est ce que tout le monde chuchote à la cour… Le roi lui-même, à tout propos, parle de sa mort prochaine.

– Vous voyez bien!… Quoi qu’il en soit, je vous ai aidée dans cette affaire et suis encore prêt à vous aider le cas échéant. Et tenez, j’y songe, n’avez-vous pas entendu dire qu’un astrologue a prédit que le roi mourrait à la première grande cérémonie qu’il donnerait?

– Crois-tu donc réellement à ces histoires d’astrologues et de magiciens? demanda Léonora avec un dédain trop accentué pour n’être pas un peu affecté.

– Si j’y crois, Cristo santo!… Vous n’y croyez donc pas, vous, signora? s’écria Saêtta sincèrement surpris.

– Pas trop, je l’avoue.

– Vous avez tort, signora, dit gravement Saêtta. Le roi y croit, lui. À telles enseignes que, dit-on, c’est pour cela qu’il a toujours refusé de consentir à la cérémonie du sacre de la reine Maria, son épouse. Il est convaincu qu’il n’y survivra pas.

Léonora écoutait avec un intérêt qui constituait le plus flagrant démenti au scepticisme qu’elle avait cru devoir afficher. Et en même temps, elle réfléchissait.

– Où veux-tu en venir? fit-elle.

– À ceci, signora, c’est que lorsqu’on veut faire aboutir certaines entreprises capitales, il est bon de mettre tous les atouts dans son jeu.

– Eh bien?

– Eh bien, vous qui possédez toute la confiance de la reine, vous devriez la pousser à obtenir du roi qu’elle soit sacrée. Il est impossible de trouver une plus grande cérémonie, je suppose. Ce sera la réalisation de la première partie de la prédiction… Une chance de plus dans votre jeu, signora. Vous aurez les astres et les esprits avec vous et pour vous. Et quant à la deuxième partie de la prédiction, avec un peu d’adresse et d’audace, on peut aider le destin, que diable!

Léonora rêvait. Peut-être les paroles du bravo concordaient-elles avec des réflexions qu’elle avait déjà faites.

– Peut-être as-tu raison, dit-elle enfin. Mais le roi n’est pas facile à décider… Quand il ne veut pas… il ne veut pas.

– Bah!… dit Saêtta en souriant, on dit que ce que femme veut, le diable le veut. À plus forte raison le roi qui n’est pas le diable. Mais, pour en revenir à Jehan, le voir condamner comme régicide, c’était superbe!… Jamais je n’aurais osé espérer pareil raffinement de vengeance… songez un peu aux supplices qui l’attendaient!… (Et avec un affreux soupir.) Quel malheur que la chose n’ait pas réussi!… Jamais je ne trouverai quelque chose d’aussi beau, d’aussi complet!…

Léonora le regarda. Il paraissait vraiment désespéré. Elle demeura impassible. Que lui importait le sort de Jehan? Curieusement, elle s’informa:

– Et maintenant que vas-tu faire?

Il la regarda d’un air étonné et, avec une résolution farouche:

– Mais… toujours la même chose, dit-il. Le pousser au-devant du bourreau. (Et avec un haussement d’épaules.) Que voulez-vous, signora, c’est une idée que j’ai bien ancrée là. (Il se touchait le front.) Rien ne m’en fera démordre. Je l’ai sauvé de la mort quand il était petit. Aujourd’hui qu’il est homme et de taille à se défendre, je vous jure, si je le voyais dans quelque périlleuse situation, je n’hésiterais pas à risquer ma peau pour le tirer d’affaire… Si quelqu’un menaçait son existence, je tuerais celui-là de ma propre main et sans miséricorde.

Et sur un ton terrible qui n’admettait pas de réplique:

– Jehan doit périr sur l’échafaud… C’est là qu’il périra. Jehan doit mourir de la main du bourreau. Et, moi vivant, nulle autre main ne lui portera le coup mortel. Moi vivant, nul ne pourra le soustraire au sort que je lui ai fixé!

Il y avait comme une sourde menace dans l’intonation de ces paroles. Léonora n’y prêta pas garde, ou la dédaigna.

– C’est ce que j’ai voulu dire, fit-elle tranquillement. Comment comptes-tu le livrer au bourreau?

Saêtta eut un sourire livide.

– Voici mon nouveau projet, dit-il. Je vais mettre Jehan sur la piste du trésor de sa mère… ou, pour mieux dire, de son trésor, car sa mère le lui a légué. Bien entendu, il ignorera la vérité. Pour lui, il s’agira d’une somme à soustraire… d’un vol, pour appeler les choses par leur nom. Ceci sera dur à obtenir de lui, car il a ses idées… mais c’est mon affaire, c’est à moi de le décider. Lorsqu’il le sera, ce trésor que nul n’a pu trouver, il le découvrira, lui, je vous en réponds. Alors…

– Alors?

– Vous interviendrez, vous, signora. Comment? C’est votre affaire. (Il eut un sourire narquois.) Moi, je m’en rapporte à vous. Je suis sûr de ce qu’il aura trouvé, lui, vous saurez vous arranger pour le faire entrer dans vos coffres… Seulement, maintenant que vous savez quel est le but que je poursuis (sa voix se fit rude), je compte sur vous pour le faire délicatement cueillir au bon moment. Pris en flagrante tentative de vol, son compte sera bon… Qu’il soit condamné comme régicide ou comme voleur, pourvu qu’il soit condamné, c’est tout ce que je demande, moi.

Léonora réfléchissait profondément:

– Pourquoi, dit-elle au bout d’un instant, pourquoi ne pas le faire arrêter dès maintenant? Ce serait plus simple, il me semble.

– Vous n’avez donc pas compris, signora? Je ne veux pas qu’on l’envoie pourrir dans un cachot, moi!… Je veux une condamnation en bonne et due forme… avec une belle exécution publique!

– Ne sais-tu pas, dit Léonora avec un sourire livide, qu’on peut toujours s’arranger?

– Non, par le diable! Je veux que la condamnation soit méritée!… Je veux que le populaire qui se pressera sur le passage du condamné puisse justement lui reprocher son crime!… Et puis (il eut un sourire goguenard) vous oubliez le trésor, signora! Le précieux, le merveilleux, le prodigieux trésor!… Si vous faites coffrer Jehan tout de suite, qui donc, je vous le demande, ira vous le dénicher, ce mignon trésor?