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– C’est juste! fit Léonora convaincue. Alors, pour arriver au résultat que tu désires, c’est-à-dire à la condamnation de Jehan, je suis obligée de faire intervenir la reine et de lui donner, à mon tour, ce trésor.

– Ceci vous regarde, dit froidement Saêtta. Et en lui-même il songeait:

– Beau sacrifice, ma foi… Comme si je ne savais pas que ces millions ne feront que passer dans les coffres de la reine pour tomber immédiatement dans les tiens!

Léonora reprit très sérieusement:

– Oui, je ne vois que ce moyen de te satisfaire. Je l’emploierai donc. Tu vois, Saêtta, que l’or ne m’éblouit pas autant que tu le pensais.

Saêtta s’inclina profondément en signe d’admiration. En réalité, il dissimulait un sourire railleur. Et en se redressant, il dit d’un air pénétré:

– Vous êtes tout le désintéressement et toute la générosité aussi, signora.

Léonora prit une bourse convenablement garnie et la tendit au bravo, qui la fit disparaître prestement, en disant:

– Quand ton fils sera décidé à chercher ce trésor, tu m’aviseras… Je crois… oui, je suis sûre que tu auras la joie de voir s’accomplir ta vengeance, telle que tu l’as rêvée. Va, Saêtta, va.

Saêtta s’inclina avec cette élégance cavalière, un peu narquoise, qui lui était personnelle et sortit sans ajouter une parole.

Quant à Léonora, elle appuya le coude sur une petite table, placée à son côté, laissa tomber sa tête dans la main, et les yeux perdus dans le vague, impénétrable, elle demeura seule, rêvant, combinant des choses qu’elle seule savait.

XXI

Dame Colline Colle n’avait jamais été jolie, ce dont elle gardait une sourde rancune à tout l’univers. On pourrait aussi bien dire qu’elle n’avait jamais été jeune. Elle n’avait pas quarante-cinq ans et elle paraissait dix ans de plus. Il semble qu’il en avait toujours été ainsi.

Hypocrisie: tel est le mot synthétique capable d’exprimer sa véritable personnalité. Hypocrisie inconsciente, cela va de soi, et vous l’eussiez fort étonnée et indignée en lui reprochant ce vice. Il n’en est pas moins vrai que son existence était une perpétuelle comédie qu’elle jouait à Dieu et au diable, à tous et à elle-même.

Elle était sincèrement et naïvement croyante. Sa conception de la religion se bornait à ceci: terreur intense du diable et de ses suppôts, crainte permanente du péché mortel qui pouvait l’envoyer griller, durant des éternités, au plus profond des enfers. Il va sans dire que le confesseur jouait dans sa vie un rôle prépondérant.

Colline Colle avait passé la matinée à surveiller la réparation des dégâts causés par la violente intrusion de ceux qu’elle appelait: le seigneur masqué et ses trois acolytes.

Après avoir expédié à la hâte un frugal repas, elle vint s’installer près de la fenêtre qui donnait sur la rue. Là, tout en ayant l’air de s’activer à de menus travaux de couture, elle pouvait guetter le passage du moine. Et, en même temps qu’elle surveillait la rue, elle dressait ses batteries en vue de la lutte qu’elle allait soutenir avec son confesseur. Car, pour elle, une confession était un véritable duel dont elle devait sortir triomphante, c’est-à-dire absoute.

Cependant, l’après-midi s’avançait et le moine ne paraissait pas. La matrone s’inquiéta. Allait-elle être obligée de se mettre à sa recherche? Précisément parce qu’elle attachait une grande importance à cet entretien, elle tenait à ne pas paraître l’avoir cherché. Et puis, que de temps perdu! Et l’impatience la rongeait. Et le chiffon de papier qu’elle froissait dans la poche de son tablier était là, pour stimuler encore cette impatience.

Enfin, passé trois heures et demie, le moine parut dans la rue. Et justement, comme par hasard, il s’arrêta devant sa maison. Elle s’empressa de lui faire signe et courut ouvrir la porte qu’elle verrouilla soigneusement derrière lui, dès qu’il fut entré.

Le moine était très complaisant. Colline Colle le savait. Elle constata avec satisfaction qu’il ne s’était pas fait répéter l’invitation. Vivement, en lui prodiguant les marques de respect, elle lui avança un fauteuil dans lequel il se laissa tomber lourdement. Et, tout de suite, avec son gros rire qui secouait son énorme bedaine, avec ce sans-façon qui le caractérisait, il s’écria de sa voix basse profonde:

– Justement, quand vous m’avez appelé, ma digne dame, j’étais en train de me demander si je ne trouverais pas quelque âme charitable qui m’offrirait un rafraîchissement. Il fait une soif intense… et si vous avez encore de ce petit saumurais dont vous me fîtes goûter certain jour…

Déjà Colline Colle volait, apportait une bouteille poussiéreuse et un verre qu’elle remplissait à ras bord.

Mais le moine était galant. Il jura qu’il ne tremperait pas ses lèvres dans ce nectar si son hôtesse ne choquait son verre contre le sien. La matrone se fit tirer l’oreille, comme de juste. Mais enfin, sur l’insistance du digne père, et pour ne pas le désobliger, elle consentit à apporter un deuxième verre que le moine remplit jusqu’au bord, sans écouter ses protestations. En même temps, comme elle connaissait la légendaire goinfrerie de Parfait Goulard, elle avait apporté une moitié de flan qui lui restait de la veille et qu’elle avait confectionné pour demoiselle Bertille, plus quelques menues pâtisseries que le père se mit à dévorer sans désemparer.

Tout ceci était comme la mise en scène de l’assaut que les deux adversaires allaient se livrer.

Chacun d’eux, on le sait, avait son but qu’il cherchait à atteindre sans le laisser deviner à l’autre. Tous les deux, au fond, étaient enchantés de ce que leur rencontre paraissait être le produit d’un hasard fortuit.

Colline Colle, par son empressement à satisfaire sa gourmandise, espérait se concilier les bonnes grâces et l’indulgence du confesseur.

Parfait Goulard ne se doutait pas que la matrone avait un service à lui demander. Mais il la connaissait bien. Et il se disait que quelques verres de vin mousseux et pétillant aideraient puissamment à lui délier la langue.

Il avait pour principe de laisser parler les gens et ne leur posait de questions que lorsqu’il lui était absolument impossible de faire autrement. Il se garda donc bien de faire allusion à Bertille et se mit à parler de choses et d’autres, attendant que la matrone vint d’elle-même au sujet qui l’intéressait.

Colline Colle, elle, n’avait pas la même patience, ni la même diplomatie. Elle avait hâte de connaître la valeur de ce morceau de papier qui lui brûlait la cuisse, à ce qu’il lui semblait. Elle prit donc son air le plus contraint et le plus mystérieux et attaqua:

– Mon père, je suis bien aise du hasard qui vous a amené devant ma maison. Il s’est passé chez moi des choses graves, sur lesquelles je suis désireuse de vous consulter.

Parfait Goulard ne sourcilla pas. Et avec sa bonhomie:

– Parlez, ma chère dame, dit-il. Je mets mes faibles lumières à votre service.

– C’est que, fit la matrone, plus mystérieuse que jamais, il s’agit de choses graves, sur lesquelles il est indispensable que le secret le plus absolu soit gardé.

De plus en plus conciliant, le moine proposa lui-même: