— Tu préfères une glace au chocolat, à la fraise ou à la vanille? demanda Bob.
François parut si ahuri qu'en dépit de leurs soucis Miss Mary et Bob éclatèrent de rire. Bob s'adressa à la jeune femme:
— Ce n'est pas François qui est avec nous.
C'est Sans-Atout. Ah mais, c'est qu'il joue au détective, à ses heures! Vous ne savez pas qui est Sans-Atout? Je vais vous le dire.
Et il expliqua pourquoi on avait donné ce surnom à François. Miss Mary écoutait avec indulgence ces histoires de gosses, et François en fut secrètement dépité. Mais il devait bien s'avouer que, jusqu'à présent, il n'avait fait que jouer aux gendarmes et aux voleurs et qu'il était complètement perdu dans une affaire où le sang avait coulé. Ramené sur terre, il cessa de tourner les yeux vers ce qui n'était, en somme, qu'une petite salle poussiéreuse abritant des vieilleries et des rêves puérils.
La vérité, la vraie, il la découvrit une heure plus tard, en franchissant le seuil de Scotland Yard, devant un gigantesque policeman. Ici, on ne s'amusait plus. On pénétrait dans le royaume ténébreux de l'Enquête criminelle. Pourtant, les gens qu'on croisait n'avaient pas l'air bien redoutable. L'immeuble non plus n'imposait guère. Cela tenait plus de la Sécurité sociale que de la Maison de la police. Il y avait des bureaux, beaucoup trop de bureaux, des secrétaires qui passaient avec des dossiers sous le bras, des machines à écrire tapant derrière des portes closes, et des couloirs à n'en plus finir. Miss Mary, toujours à l'aise, demanda l'inspecteur Morrisson à un homme qui devait être quelque chose comme un huissier. Ils montèrent un escalier, et arrivèrent dans une espèce de salle d'attente où l'inspecteur vint presque aussitôt les chercher. Il les introduisit dans un nouveau bureau — encore un — meublé sans élégance d'un matériel métallique verdâtre, et attaqua d'emblée, car il semblait pressé:
— J'ai fait descendre le fichier. Approchez-vous.
Les deux garçons obéirent, tandis que l'inspecteur avançait une chaise pour Miss Mary.
— Vous d'abord, dit-il à François. Je préfère que vous ne vous influenciez pas l'un l'autre.
Et François vit soudain défiler devant ses yeux une interminable série de visages, plus ou moins barbus, plus ou moins jeunes, plus ou moins patibulaires. Il passa bientôt la main sur ses paupières.
— Ils ne sont pas très beaux à voir, admit Morrisson. Mais n'oublions pas que l'homme se trouve peut-être là…
Et il passait devant François une nouvelle photographie, face et profil, un nouveau visage figé dans sa violence secrète, par le flash.
— Non, répétait François.
Nouvelle photographie…, nouvelle figure…, le plus souvent marquée par une vie d'aventures. Mais le visiteur mystérieux n'était pas fiché par la police, ou du moins François ne l'avait pas reconnu. Bob prit sa place, et le défilé recommença, sans plus de succès.
— Je ne suis pas tellement surpris, dit l'inspecteur. Mais il fallait en avoir le cœur net…
J'ai vu M. Skinner. Il l'a échappé belle, mais il s'en remettra… Quant à l'enquête, il est encore trop tôt pour émettre un jugement. Tout ce que je peux affirmer, c'est que les quelques personnes de l'entourage immédiat de M. Skinner, que nous avons interrogées à l'usine, semblent irréprochables… Eh bien, je vous remercie, et je m'excuse de vous avoir inutilement dérangés.
— Autrement dit, nous ne sommes pas plus avancés, dit Miss Mary, quand ils furent dehors. Nous allons rentrer, si vous le voulez bien, car je suis un peu fatiguée.
Ils reprirent la Daimler et regagnèrent la maison. La fin de la journée s'écoula, morose: thé, puis dîner; puis courte veillée. On ne savait s'entretenir que des événements de la nuit précédente et l'on était las de remuer les mêmes hypothèses et de tourner interminablement dans le même cercle.
François s'endormit très vite. Mais son sommeil était agité, coupé de rêves bizarres où Sherlock Holmes intervenait en ricanant. François le voyait, qui arpentait le bureau en fumant. Il n'avait pas l'air content. Et même, il marcha vers François pour lui donner sur la poitrine de petits coups, avec le tuyau de sa pipe, comme s'il essayait de lui faire admettre d'autorité un raisonnement difficile.
— François!
— Oui?
François ouvrit les yeux. C'était Bob qui était là et qui essayait de le réveiller.
— Il y a encore quelqu'un en bas, chuchota Bob.
— Quoi?:…
— Chut!.. Il est dans le salon.
Un étrange butin
Etait-ce le rêve qui continuait? Mais non. Bob était bien réel et son ton effrayé montrait assez qu'il ne plaisantait pas. Tout recommençait comme la nuit précédente, et François, le cœur battant, retrouva d'un coup sa lucidité.
— Il y a quelqu'un dans le bureau?
— Non. Dans le salon. C'est Miss Mary qui a entendu. Elle couche au-dessus.
La maison était silencieuse.
— Il faut aller voir, dit Bob.
François se leva. Dans le couloir, Miss Mary écoutait. François eut de la peine à la reconnaître. Dans sa robe de chambre, avec ses cheveux qui formaient deux nattes et son visage démaquillé, elle paraissait beaucoup plus jeune et ressemblait à une petite fille sans défense. Eux-mêmes, en pyjama, l'un bleu, l'autre lie de vin, n'étaient plus que des gamins apeurés. A la faible lumière de la veilleuse, qui était allumée au fond du couloir, ils formaient un groupe bizarre, et paraissaient tenir conciliabule avant de se livrer à quelque jeu insolite. Ils tendaient l'oreille. Rien.
— Je suis sûre, souffla Miss Mary. Tenez! Un faible grincement leur parvint du rez-de-chaussée.
— C'est peut-être Mrs. Humphrey? chuchota François.
— Non. J'ai vérifié. Elle dort.
Ils ne savaient que faire. Descendre? C'était aller au-devant du danger, et l'on n'ignorait plus, maintenant, que l'homme à la barbe était capable de tout. Car c'était sûrement lui qui s'était, à nouveau, introduit dans la maison. Appeler? Mais le téléphone se trouvait dans le bureau, donc à deux pas du malfaiteur. Alors quoi? Rester là? Et s'il montait? Les deux garçons attendaient que la jeune femme proposât quelque chose, mais elle était aussi perplexe qu'eux. François déchiffra l'heure: minuit et demi.
— Ecoutez, dit Bob. Nous sommes trois, quand même! A trois, nous ne devons pas risquer grand-chose. Allons-y!
Il alluma le plafonnier du couloir et s'engagea le premier dans l'escalier. Ils s'arrêtèrent à mi-hauteur. De là, ils découvraient le vestibule et ses portes. Elles étaient toutes fermées. Aucun bruit. Ils continuèrent leur progression, marche après marche. Ils atteignirent le rez-de-chaussée, attentifs, un peu pâles, se sentant de plus en plus exposés. Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres du salon et auraient dû entendre quelque chose. Ils n'osaient plus bouger.
— On a l'air malin, murmura Bob.
Et il rit nerveusement.
— Pourtant, je ne me suis pas trompée, dit Miss Mary.
— Eh bien, je crois qu'il n'y a plus personne… François, allume. Le bouton est de ton côté.
François tâtonna et trouva le bouton. Le lustre à quatre branches du hall s'illumina. Si l'ennemi était encore dans la place, il devait voir, sous la porte du salon, une raie lumineuse. Alors, ou bien il allait s'enfuir, ou bien il allait prendre l'offensive.
Mais rien ne se produisit. Alors, résolument, Bob traversa le hall et ouvrit.
— Qui est là? cria-t-il, d'une voix qui tremblait un peu.
Puis il se retourna et dit: