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— Moi, dit Miss Mary. J'ai entendu une sorte de grincement. Je suppose que c'est quand il a soulevé la fenêtre.

— Voyons, fit l'inspecteur, d'un air sombre, si je comprends bien, un de ces objets dissimulait une cachette.

Bob poussa le coude de François.

— Non, répondit Miss Mary. Aucune cachette. Et d'ailleurs, qu'est-ce que M. Skinner aurait caché? Ce qu'il avait de plus précieux, c'étaient ses plans et ils ont déjà été volés.

Morrisson, peut-être pour se donner une contenance, se mit à examiner, au hasard, les meubles et les bibelots. De temps en temps, pardessus son épaule, il posait une question:

— Rien d'autre n'a été emporté? Vous êtes sûrs?… Est-ce que M. Skinner venait souvent dans cette pièce?… Est-ce qu'il était particulièrement attaché aux choses qui ont disparu?

— Il nage, souffla Bob à François.

— Bon, conclut l'inspecteur. Je verrai M. Skinner demain. Il n'y a que lui qui peut me renseigner utilement.

Il s'inclina avec raideur devant la jeune femme.

— Bonne nuit, dit-il. J'étais persuadé qu'il n'y avait plus rien à voler ici… Je me suis trompé. Excusez-moi.

Et sans prêter la moindre attention aux deux garçons, il se retira.

— Nous, bien sûr, grommela Bob, on… on…

— On compte pour du beurre, dit François, en français.

— Exactement. Quel mufle!

Ce fut cette nuit-là que François eut l'idée de tenir son journal. Comme il n'avait plus aucune envie de dormir, il prit du papier à lettre et résuma d'abord les événements dont il avait été le témoin. Il nota ensuite ses impressions. C'était passionnant et, en même temps, plein d'enseignements. Car, la plume à la main, il s'apercevait qu'il n'était pas capable de porter un jugement sur ceux qui l'entouraient. Bob, par exemple, un gentil garçon, oui. Mais au-delà des apparences? Le mystère commençait tout de suite. Quels étaient, au juste, ses rapports avec son père? Et avec Miss Mary? Tout ce que François pouvait affirmer, non sans précaution, c'était que Bob souffrait d'une certaine frustration. Et encore ne savait-il pas très bien ce que dissimulait ce mot trop savant. Et M. Skinner? Qui était M. Skinner? Un brillant ingénieur, d'accord. Mais en tant qu'homme?… «Si je connaissais mieux la vie, pensa François, je flairerais mille choses qui m'échappent. Je me prends pour une grande personne, mais je touche là mes limites. C'est vrai. Il y a un petit monde, et c'est encore le mien!.. Sapristi! Il va être trois heures. Je ne me suis jamais couché aussi tard!»

Il se mit au lit, encore obsédé par la découverte de ses insuffisances et, toute la journée du lendemain, il resta distrait, il vécut un peu en marge. Pour la première fois, il comprenait que les visages sont mille fois plus intéressants à étudier que les choses. On rendit visite à M. Skinner. Il avait vieilli en deux jours. Une barbe inégale et rude donnait du flou à sa figure mince. Il avait le regard fiévreux. Il semblait avoir peur, mais ce n'était pas étonnant puisque l'opération que tout le monde redoutait était fixée au lendemain.

M. Merrill était à son chevet. Lui, du moins, offrait une physionomie facile à lire: une bonne grosse face, barrée d'une moustache bourrue, qu'un usage excessif de la cigarette avait roussie en son centre, un nez puissant et sanguin, des yeux gris, vaguement injectés, le droit plus petit que le gauche; autour du front une marque rougeâtre laissée par le chapeau melon; et l'accent! Un accent qui devait rendre malade M. Skinner! Le type du «self made man», de l'homme arrivé à la force du poignet. Le contraire même de M. Skinner. Comment avaient-ils pu s'entendre? Et la voix! Graillonneuse. Enrouée. Et toutes ses phrases commençaient par: «Moi, ma chère mademoiselle… Moi, mon cher Bob…» Etait-il là, poussé par une amitié inquiète ou bien pour veiller sur celui qui valait des millions? Les deux, sans doute.

M. Skinner et Miss Mary échangeaient des regards qui disaient assez à quel point ils regrettaient la présence de ce gêneur. Aussi la visite fut-elle courte. Bien sûr, on parla du second vol, tellement inexplicable. M. Skinner confirma que les objets dérobés n'avaient qu'une faible valeur. Il ne comprenait pas plus que les autres pourquoi on les avait pris. Mais il ne paraissait pas attacher à l'événement beaucoup d'importance. Son esprit était uniquement préoccupé par l'imminence de l'opération.

— Nous reviendrons demain, promit Miss Mary.

François remarqua le regard désespéré de M. Skinner. Pourquoi désespéré? Puisque le chirurgien était très optimiste! Mais François n'était pas dans la peau du malade!

— Allez donc tous les deux au jardin zoologique, proposa Miss Mary. Moi, j'ai beaucoup à faire à la maison, et il faut que je trouve un ouvrier pour réparer la fenêtre.

Cette promenade fut quelque peu maussade. Certes, François n'avait jamais vu un parc zoologique aussi magnifique. Mais Bob manifestait peu d'entrain. Ils flânèrent longuement devant le bassin des pingouins, dans le pavillon des insectes, celui des reptiles. Ils virent les fauves, les girafes, les éléphants. Par suite de quelque association d'idées bizarres, Bob dit:

— Papa m'inquiète. Il a beaucoup changé.

— Ce n'est pas étonnant.

— Oh! Je me comprends. Il y a quelque chose qui le tracasse.

— Explique.

— Je le sens. C'est tout. Ça se passe entre lui et Merrill… Tiens, c'était ici que se trouvait le panda géant. Il est mort… Moi, je n'aime pas Merrill. Il ne pense qu'à son fric. Et il doit en vouloir à papa. Et pourtant, papa, c'est le type régulier. Ce n'est pas sa faute si on l'a attaqué et si on lui a fauché ses plans!

Tard dans la nuit, François écrivait encore. Il notait tout, même les choses les plus banales, parce que rien n'est banal, il en était de plus en plus convaincu. Par exemple, Mrs. Humphrey faisait la tête. Pourquoi? Vraisemblablement parce qu'elle en voulait à Miss Mary d'avoir téléphoné au vitrier. C'était à elle de prendre cette initiative. De même, c'était à elle de décider de fermer les volets. Que se passerait-il quand Miss Mary serait Mrs. Skinner? Sans doute la gouvernante partirait-elle. Peut-être était-ce la raison pour laquelle le dîner laissait à désirer. La viande était trop bouillie, les pommes de terre pas assez cuites. A sa manière volontairement effacée, Mrs. Humphrey était un personnage. Ce second cambriolage, qu'il avait bien fallu lui révéler, l'avait profondément affectée. Que quelqu'un fût venu prendre le classeur, c'était déjà choquant. Mais voler des objets en quelque sorte confiés à sa garde, puisqu'elle les époussetait tous les jours, ça, jamais! Elle se sentait personnellement visée. «Cela ne se serait pas passé ainsi du temps du «pauvre Monsieur», disait-elle. (Le «pauvre Monsieur» était le père de M. Skinner). Dans ma jeunesse, on avait de l'éducation!» Et elle classait certainement Miss Mary qui était là et n'avait rien empêché, dans la catégorie des gens mal élevés. François écrivit encore quelques remarques, se relut, bâilla. Cette fois, il était grand temps de se mettre au lit. Mais comme il avait un peu chaud, il alla ouvrir la fenêtre et entrebâilla les volets. Dommage que le jardin ne fût pas mieux soigné! M. Skinner avait pourtant les moyens de se payer un jardinier, maintenant. S'il avait traversé une période de gêne, grâce à M. Merrill, désormais, il était renfloué. La lueur lointaine d'un lampadaire poussait de pâles reflets entre les massifs et éclairait vaguement l'allée. Et soudain, François se rejeta en arrière: il y avait une ombre dans le jardin.

Très ému, François avança la tête avec précaution. Non! Ce n'était pas le voleur qui revenait. C'était… Miss Mary qui partait. Sa silhouette était parfaitement reconnaissable, ses cheveux blonds notamment. Elle se dirigeait vers la grille, portant une sorte de paquet. François écarquillait les yeux. C'était une valise. Impossible de s'y tromper. C'était bien une valise. Mais comment croire que Miss Mary pût partir ainsi, en pleine nuit, à l'insu de tous? Cela ne lui ressemblait guère.