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— Le motif est clair, disait l'inspecteur. Le voleur n'a pas trouvé dans le dossier qu'il a emporté tous les éléments dont il a besoin pour tirer parti de l'invention. Il a donc enlevé M. Skinner et compte sans doute le faire parler.

— Jonathan ne parlera pas, dit Miss Mary.

— Dans ce cas…

Morrisson haussa les épaules. Pour lui, il n'y avait pas à se leurrer: l'ingénieur était condamné.

— Oh! ajouta-t-il pour paraître optimiste, on le retrouvera. Ce n'est pas facile de transporter un grand blessé sans être remarqué. Il a fallu une voiture transformée en ambulance, ou bien une ambulance volée… Ce véhicule a stationné… Des gens l'ont vu… Non, de ce côté-là, je ne m'inquiète pas. Nous ne tarderons pas à relever une piste. La seule question est de savoir comment M. Skinner a supporté le transport. Je suppose qu'on ne l'a pas emmené trop loin; dans la banlieue, sans doute.

François et Bob échangèrent un regard. Ils pensaient, l'un et l'autre, à la maison où les avait conduits l'homme à l'Austin. Mais ils ignoraient où se trouvait cette maison; alors, à quoi auraient servi leurs déclarations?… Et pourtant, c'était un supplice de tenir un fragment de vérité et de se taire, quand M. Skinner, faute des soins nécessaires, était peut-être en train de mourir. Un supplice plus grand encore pour François. N'aurait-il pas dû dénoncer Miss Mary? Il faillit parler, se retint. Non! C'était décidément au-dessus de ses forces. Il n'y avait qu'à laisser agir la police.

L'inspecteur, justement, leur conseillait de rentrer. Il avait seulement voulu, en les faisant venir à l'hôpital, leur montrer les difficultés de la tâche et prévenir ainsi tout reproche de lenteur et d'inefficacité.

Ils revinrent donc, tristement, et ressassant les mêmes questions: Comment s'y était-on pris pour faire sortir le blessé? Y avait-il eu une complicité dans l'hôpital? Mais non, l'inspecteur avait dit que l'infirmière de garde était au-dessus de tout soupçon.

Miss Mary écoutait distraitement les propos des garçons. Elle semblait étrangère à la discussion. «Pardi, pensa François, elle sait, elle, ce qui s'est passé et où on a caché M. Skinner.

Elle connaît la maison!..» Et un projet se forma peu à peu dans son esprit… Il fallait la surveiller constamment, écouter ses paroles si elle téléphonait, ne pas dormir, monter la garde à la fenêtre, au cas où l'inconnu reviendrait lui parler à la grille… Tout cela était un peu chimérique, soit! Mais il n'en restait pas moins que Miss Mary pouvait conduire à M. Skinner. C'était là, du moins, une hypothèse à ne pas écarter. Certes, François ne nourrissait aucune illusion: il savait bien qu'il était à peu près impuissant; que, si la jeune femme sortait sous prétexte de faire des courses, il ne pourrait pas la suivre; que, si elle écrivait, il ne pourrait pas intercepter la lettre… Mais il lui suffirait de recueillir de nouveaux indices, même minuscules, pour alerter Morrisson. Dénoncer Miss Mary? Pourquoi pas? Puisque, maintenant, la vie de M. Skinner ne tenait plus qu'à un fil!

La routine des gestes quotidiens les reprit; ils laissèrent la voiture devant le perron et, tandis que Miss Mary allait mettre la gouvernante au courant des événements, Bob commença à sortir les assiettes et les couverts et François écrivit une petite lettre pour ses parents, où il parlait beaucoup de Mme Tussaud, mais très peu de la famille Skinner. Mrs. Humphrey avait fait cuire un poulet auquel on ne toucha guère. Bob avait mal à la tête.

— Moi-même, dit Miss Mary, je ne me sens pas très bien. Il faut pourtant que je songe au ravitaillement. Nous allons manquer de tout.

François dressa l'oreille.

— Je peux vous aider? proposa-t-il.

— Oh non! Merci. Je suis habituée à me débrouiller. Tenez plutôt compagnie à Bob.

François ne fut pas dupe. Ce qu'il avait prévu arrivait. Elle allait rejoindre l'homme roux; il le sentait. Que faire? Il avait beau passer en revue toutes sortes de plans, aucun n'était réalisable. Cependant, à force de chercher, il trouva une idée qui ne valait peut-être pas cher, mais qui n'était pas idiote. Il se mit à la creuser, tout en aidant Bob à débarrasser la table.

— Tu devrais te reposer un peu, dit-il. Une petite sieste et tu seras d'aplomb. Moi, pendant ce temps, je ferai du courrier. Vers quatre heures, s'il ne pleut pas, on essaiera de sortir, hein? Et puis, crois-moi, Morrisson n'est sans doute pas un superman, mais il dispose de moyens formidables. Alors, il faut avoir confiance.

Bob avala deux cachets et consentit à s'étendre. Aussitôt, François avertit Miss Mary qu'il sortait pour acheter des cartes postales, et il fit mine de s'éloigner. Mais en quelques bonds, il se cacha derrière la Daimler. C'était maintenant ou jamais…

La malle! Il l'ouvrit. Elle était très spacieuse, en dépit de la roue de secours qui tenait beaucoup de place. Elle était même revêtue d'une moquette. François s'assura que le pêne de la serrure pouvait être manœuvré de l'intérieur. Un dernier coup d'œil! En souplesse, il se glissa dans la malle et rabattit le couvercle. Il était à l'étroit, mais, en tâtonnant, il trouva une position pas trop inconfortable. Il ne manquait pas d'air car la voiture était ancienne et le couvercle ne s'ajustait pas d'une manière hermétique. Restait l'odeur d'huile, de caoutchouc, de cuir… C'était un peu écœurant. François se dit que, par une malchance persistante, il ne saurait pas, encore une fois, quel chemin il suivrait. Peut-être Miss Mary conduirait-elle simplement la voiture au parking de quelque supermarché.

Quand elle ouvrirait la malle pour y déposer ses paquets, alors… S'il n'avait pas trouvé l'occasion de s'éclipser auparavant, ce serait la honte, le déshonneur, quelque chose d'affreux. Mais il fallait quand même essayer. A pile ou face. Miss Mary mentait ou ne mentait pas. François persistait à croire qu'elle mentait et qu'elle n'allait pas faire des achats.

Il se recroquevilla quand il l'entendit s'approcher. Elle mit le moteur en route et la Daimler commença à rouler, vira dans la rue, accéléra.

— Si je perds, songea François, je passerai pour un voyou. Si je gagne, je serai peut-être un héros. Ce sera à toi, vieux Bob, de décider!

Le tout pour le tout

La suspension était si souple, le bruit des roues si feutré, qu'il était impossible de se faire une idée de la nature du sol. Bientôt, François perdit toute notion de déplacement. Il songea, un instant, à entrebâiller la malle, mais il se ravisa. Il serait bientôt repéré et comme, d'autre part, il ne connaissait pas du tout Londres, ce qu'il apercevrait du trajet ne le renseignerait pas. Il changea de position, se coucha sur le dos, genoux repliés, et des réflexions sinistres commencèrent à l'assaillir. Il s'était lancé, tête basse, dans cette aventure, poussé — il se l'avouait maintenant — par une curiosité qui n'avait rien à voir avec les raisons qu'il s'était données. En réalité, il voulait savoir et voilà tout. Le mystère l'attirait, comme la flamme attire le papillon. Mais le papillon s'y brûle. C'était peut-être un sort aussi cruel qui l'attendait!

Un cahot lui écrasa les genoux contre la tôle. Il se replia sur le côté, le nez contre le pneu de la roue de secours. Il avait de plus en plus chaud. Le bandit, les bandits plutôt, car on avait sans doute affaire à une bande, n'hésiteraient pas à le tuer. Sa photographie paraîtrait dans les journaux, sous le titre: On recherche… Il se voyait mort; il imaginait la douleur de ses parents; il avait la gorge nouée d'émotion.

«Je deviens idiot, pensa-t-il. Une bande! Miss Mary chef de gangsters!.. J'ai lu trop d'illustrés! C'est probablement moins simple et en même temps plus dramatique. Mais alors, quoi?