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Il sentit que la voiture franchissait un passage à niveau; une sonnerie grêle retentissait quelque part. Un poids lourd grondait, juste derrière la Daimler. Puis la voiture prit du champ et augmenta sa vitesse. Elle se trouvait sur une route plantée d'arbres, ce qui produisait un sifflement saccadé. Ensuite, elle vira dans un chemin plein d'ornières. L'eau giclait en claques sonores sur la carrosserie. De temps en temps, des cailloux produisaient une détonation vibrante, en ricochant sur les ailes.

— On doit approcher, se dit Sans-Atout. Il y a bien quarante-cinq minutes qu'on roule.

Des crampes naissaient dans ses mollets. Il se massa tant bien que mal. Il ne savait plus comment se tenir et son visage ruisselait. Il pensa aux chiens, que les chasseurs enferment dans la malle de leurs voitures. S'il chassait un jour, son chien voyagerait près de lui; c'était juré. Une écœurante odeur de gaz brûlés rendait, à la longue, sa respiration de plus en plus pénible. François chercha la serrure de la malle. Tant pis! Mieux valait être vu qu'étouffer! Mais ses doigts hésitaient, palpaient en vain un crochet, des ressorts. Il s'affola soudain. Et s'il était coincé, dans cette oubliette! S'il allait demeurer prisonnier! Il découvrit enfin le minuscule levier qui libérait le couvercle du coffre. A ce moment, la voiture ralentit et stoppa.

Le grand moment était arrivé. La portière claqua. Les pas de Miss Mary s'éloignèrent. Il y eut un grincement rouillé. La grille, pardi! La grille de la maison perdue… Miss Mary revint, remonta dans la Daimler et, au ralenti, s'engagea dans une allée aux graviers craquants. Nouvel arrêt, nouveau grincement. Maintenant, la grille était refermée. La Daimler redémarra.

François suivait sa progression comme sur un écran de cinéma. Il voyait dans sa tête les herbes folles, les massifs, le perron, la maison. Il aurait dû se munir d'une lampe de poche. Mais non, imbécile! Il fait jour! Il avait oublié qu'il devait être trois heures de l'après-midi. Peut-être même y avait-il, maintenant, du soleil! Cela lui rendit confiance. Au fond, il s'était exagéré les risques qu'il courait. Miss Mary allait descendre… Voilà, elle descendait; elle allait gravir le perron… Voilà, ses petits talons résonnaient sur la pierre; elle allait ouvrir avec une clef ou bien elle allait sonner… Non, elle frappait à petits coups; peut-être simplement pour signaler sa présence… Et puis la porte s'ouvrait, se refermait. Silence.

Dans le jardin, un oiseau chantait. François déplaça le levier, et le couvercle, poussé par ses ressorts, se souleva automatiquement. Rapide coup d'œil. Rien de suspect en vue. François ouvrit le couvercle et respira largement. Puis il se déplia à grand-peine. Il était abominablement ankylosé. Il trébucha en posant un pied à terre, et, pour se récupérer, s'obligea à exécuter quelques mouvements d'assouplissement. D'un revers de manche, il essuya son visage en sueur, et regarda l'heure. Quatre heures moins dix. Un pâle soleil dessinait son ombre sur le gravier.

Il ne s'était pas trompé. Il était bien devant la maison de l'homme à l'Austin. Les fenêtres étaient toutes fermées. Il songea à la cuisine qui, la veille, lui avait si opportunément ouvert le passage. Il referma le coffre sans le faire claquer et contourna la maison. Cette fois, la porte de la cuisine était close. Une main au-dessus des yeux, il essaya d'apercevoir, à travers les vitres, l'intérieur de la pièce. Personne. La poignée tourna et la porte s'ouvrit.

Il y avait des assiettes sales sur la table, une bouteille de vin à moitié vide, et, dans un coin, sortant à demi d'une poubelle, des pansements ensanglantés. M. Skinner était là!

Moment d'émotion et d'orgueil! François avait raisonné juste, ce qui prouvait, hélas, que Miss Mary était coupable. Il se demanda s'il devait s'échapper pour prévenir l'inspecteur Morrisson. Mais il fallait être sûr… Ces pansements, à la réflexion, ne prouvaient rien. L'homme roux avait peut-être été blessé, dans l'accrochage avec le camion? C'était peut-être lui que Miss Mary venait soigner?

François traversa la cuisine comme une ombre et, se plantant au milieu du vestibule, écouta. On parlait, au premier étage. Ce fut plus fort que lui. C'était un démon qui le poussait. Empoignant la rampe, pesant sur elle pour s'alléger et ne pas faire grincer les marches, il gravit lentement l'escalier. Les voix étaient plus nettes et l'on reconnaissait facilement celle de la jeune femme. François atteignit le couloir qui desservait les chambres. Le bruit venait de la première pièce à droite. En deux enjambées, François fut devant la porte et se baissa pour regarder par le trou de la serrure. Par chance, la clef avait été enlevée. Il vit un lit et, dans le lit, M. Skinner, immobile, les yeux clos. Etait-il mort? Non, sans doute. On n'aurait pas parlé si librement devant un cadavre. Il devait simplement dormir, épuisé. Peut-être l'avait-on torturé? Impossible. Miss Mary ne l'aurait pas toléré. Ne pas oublier que M. Skinner était son fiancé! Une ombre passa dans le champ de vision de François; une épaule, une jambe se dessinèrent, une silhouette s'approcha du lit: l'homme roux. Il se pencha vers le blessé et se retourna en secouant la tête. Miss Mary apparut à son tour. Elle expliquait quelque chose, que François n'entendit pas; en même temps, elle faisait des gestes tranchants de la main. Ce n'était plus le moment d'hésiter. Il fallait intervenir, et le plus vite possible!

François se rappela qu'il avait vu, la veille, un téléphone, dans la pièce du rez-de-chaussée qui ressemblait à un bureau. Marchant à reculons, il se replia silencieusement vers l'escalier, qu'il descendit avec une lenteur extrême, comme s'il portait de la dynamite. Là-haut, le bruit de voix avait repris, et puis il y eut un gémissement de souffrance. Le malheureux M. Skinner avait dû revenir à lui. Peut-être résistait-il à ses bourreaux.

François, risquant le tout pour le tout, traversa rapidement le vestibule et pénétra dans le bureau dont il ferma soigneusement la porte. Il était dans la nasse. Si quelqu'un survenait; il était perdu. Il savait qu'au moment où il allait soulever le combiné, la sonnette émettrait un tintement, bref, mais peut-être perceptible du premier étage. Il tendit la main vers le téléphone… et la ramena vers lui. Il avait peur. Jusqu'à présent, il s'était comporté avec décision et audace. Maintenant, il flanchait. Sans doute était-il trop jeune pour mener jusqu'à son terme une action d'homme!

Il approcha son visage de la pastille blanche située au centre de la couronne mobile. Le numéro de la police était inscrit là: Emergency 9.9.9. Alors, d'un geste précis, il souleva le combiné, et la sonnette, comme surprise par la rapidité de son mouvement, fit entendre un seul coup, comme une horloge annonçant la demie. Le bruit n'avait certainement pas porté bien loin. François forma le numéro; il tournait le dos à la porte et serrait l'appareil contre sa poitrine, pour étouffer au maximum le minuscule cliquètement de crécelle de la couronne revenant en arrière, après chaque sollicitation du doigt. Et soudain la voix de quelque fonctionnaire de service lui éclata dans l'oreille.

— Allô… J'écoute.

François n'avait pas eu le temps de préparer ses phrases et il se mit à bafouiller, à voix basse.

— Parlez plus fort, ordonna la voix bourrue.

Cette fois, on allait l'entendre. Ce n'était plus qu'une affaire de secondes.

— Je viens de découvrir l'endroit où l'on a conduit M. Skinner.

— Quoi?

— M. Jonathan Skinner, qui a été enlevé la nuit dernière, de l'hôpital.

— Quel hôpital?

On le faisait exprès! On voulait sa mort!

— Je ne sais pas. C'est l'inspecteur Morrisson qui est chargé de l'enquête. Qu'on le prévienne tout de suite…

— Où êtes-vous?