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– Ne sais-tu pas que, nous autres princes, nous avons des révélations?

– Ou une police.

– C'est la même chose.

– Ah! Votre Majesté a sa police et n'en dit rien, reprit d'Épernon piqué.

– Parbleu! qui donc m'aimera, si je ne m'aime?

– Vous me faites injure, sire!

– Si tu es zélé, mon cher Lavalette, ce qui est une grande qualité, tu es lent, ce qui est un grand défaut. Ta nouvelle eût été très bonne hier à quatre heures, mais aujourd'hui…

– Eh bien! sire, aujourd'hui?

– Elle arrive un peu tard, conviens-en.

– C'est encore trop tôt, sire, puisque je ne vous trouve pas disposé à m'entendre, dit d'Épernon.

– Moi, il y a une heure que je t'écoute.

– Quoi! vous êtes menacé, attaqué; l'on vous dresse des embûches, et vous ne vous remuez pas!

– Pourquoi faire, puisque tu m'as donné une garde, et qu'hier tu as prétendu que mon immortalité était assurée? Tu fronces les sourcils. Ah ça! mais tes quarante-cinq sont-ils retournés en Gascogne, ou ne valent-ils plus rien? En est-il de ces messieurs comme des mulets? le jour où on les essaie, c'est tout feu; les a-t-on achetés, ils reculent.

– C'est bien, Votre Majesté verra ce qu'ils sont.

– Je n'en serai point fâché; est-ce bientôt, duc, que je verrai cela?

– Plus tôt peut-être que vous ne le pensez, sire.

– Bon, tu vas me faire peur.

– Vous verrez, vous verrez, sire. À propos, quand allez-vous à la campagne?

– Au bois?

– Oui.

– Samedi.

– Dans trois jours alors?

– Dans trois jours.

– Il suffit, sire.

D'Épernon salua le roi et sortit.

Dans l'antichambre, il s'aperçut qu'il avait oublié de relever M. Pertinax de sa faction; mais M. Pertinax s'était relevé lui-même.

XXIX Deux amis

Maintenant, s'il plaît au lecteur, nous suivrons les deux jeunes gens que le roi, enchanté d'avoir ses petits secrets à lui, envoyait de son côté au messager Chicot.

À peine à cheval, Ernauton et Sainte-Maline, pour ne point se laisser prendre le pas l'un sur l'autre, faillirent s'étouffer en passant au guichet.

En effet, les deux chevaux, allant de front, broyèrent l'un contre l'autre les genoux de leurs deux cavaliers.

Le visage de Sainte-Maline devint pourpre, celui d'Ernauton devint pâle.

– Vous me faites mal, monsieur! cria le premier, lorsqu'ils eurent franchi la porte; voulez-vous donc m'écraser?

– Vous me faites mal aussi, dit Ernauton; seulement je ne me plains pas, moi.

– Vous voulez me donner une leçon, je crois?

– Je ne veux rien vous donner du tout.

– Ah ça! dit Sainte-Maline en poussant son cheval pour parler de plus près à son compagnon, répétez-moi un peu ce mot.

– Pourquoi faire?

– Parce que je ne le comprends pas.

– Vous me cherchez querelle, n'est-ce pas? dit flegmatiquement Ernauton; tant pis pour vous.

– Et à quel propos vous chercherais-je querelle? est-ce que je vous connais, moi? riposta dédaigneusement Sainte-Maline.

– Vous me connaissez parfaitement, monsieur, dit Ernauton. D'abord, parce que là-bas d'où nous venons, ma maison est à deux lieues de la vôtre, et que je suis connu dans le pays, étant de vieille souche; ensuite, parce que vous êtes furieux de me voir à Paris, quand vous croyiez y avoir été mandé seul; en dernier lieu, parce que le roi m'a donné sa lettre à porter.

– Eh bien! soit, s'écria Sainte-Maline blême de fureur, j'accepte tout cela pour vrai. Mais il en résulte une chose…

– Laquelle?

– C'est que je me trouve mal près de vous.

– Allez-vous-en si vous voulez; pardieu! ce n'est pas moi qui vous retiens.

– Vous faites semblant de ne me point comprendre.

– Au contraire, monsieur, je vous comprends à merveille. Vous aimeriez assez à me prendre la lettre pour la porter vous-même, malheureusement il faudrait me tuer pour cela.

– Qui vous dit que je n'en ai pas envie?

– Désirer et faire sont deux.

– Descendez avec moi jusqu'au bord de l'eau seulement, et vous verrez si, pour moi, désirer et faire sont plus d'un.

– Mon cher monsieur, quand le roi me donne à porter une lettre…

– Eh bien?

– Eh bien, je la porte.

– Je vous l'arracherai de force, fat que vous êtes!

– Vous ne me mettrez pas, je l'espère, dans la nécessité de vous casser la tête comme à un chien sauvage?

– Vous?

– Sans doute, j'ai un grand pistolet, et vous n'en avez pas.

– Ah! tu me paieras cela! dit Sainte-Maline, en faisant faire un écart à son cheval.

– Je l'espère bien; après ma commission faite.

– Schelme!

– Pour ce moment observez-vous, je vous en supplie, monsieur de Sainte-Maline! car nous avons l'honneur d'appartenir au roi, et nous donnerions mauvaise opinion de la maison, en ameutant le peuple. Et puis, songez quel triomphe pour les ennemis de Sa Majesté, en voyant la discorde parmi les défenseurs du trône.

Sainte-Maline mordait ses gants; le sang coulait sous sa dent furibonde.

– Là, là, monsieur, dit Ernauton, gardez vos mains pour tenir l'épée quand nous y serons.

– Oh! j'en crèverai! cria Sainte-Maline.

– Alors ce sera une besogne toute faite pour moi, dit Ernauton.

On ne peut savoir où serait allée la rage toujours croissante de Sainte-Maline, quand tout à coup Ernauton, en traversant la rue Saint-Antoine, près de Saint-Paul, vit une litière, poussa un cri de surprise et s'arrêta pour regarder une femme à demi voilée.

– Mon page d'hier! murmura-t-il.

La dame n'eut pas l'air de le reconnaître et passa sans sourciller, mais en se rejetant cependant au fond de sa litière.

– Cordieu! vous me faites attendre, je crois, dit Sainte-Maline, et cela pour regarder des femmes!

– Je vous demande pardon, monsieur, dit Ernauton en reprenant sa course.

Les jeunes gens, à partir de ce moment, suivirent au grand trot la rue du Faubourg-Saint-Marceau: ils ne se parlaient plus, même pour quereller.

Sainte-Maline paraissait assez calme extérieurement; mais, en réalité, tous les muscles de son corps frémissaient encore de colère.

En outre, il avait reconnu, et cette découverte ne l'avait aucunement adouci, comme on le comprendra facilement; en outre, il avait reconnu que, tout bon cavalier qu'il était, il ne pourrait dans aucun cas donné suivre Ernauton, son cheval étant fort inférieur à celui de son compagnon, et suant déjà sans avoir couru.

Cela le préoccupait fort; aussi, comme pour se rendre positivement compte de ce que pourrait faire sa monture, la tourmentait-il de la houssine et de l'éperon.

Cette insistance amena une querelle entre son cheval et lui. Cela se passait aux environs de la Bièvre. La bête ne se mit point en frais d'éloquence, comme avait fait Ernauton; mais, se souvenant de son origine (elle était Normande), elle fit à son cavalier un procès que celui-ci perdit.