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Pendant que maître Miton se cramponnait aux branches de la haie pour passer par-dessus, et que le compère Friard cherchait vainement une ouverture pour se glisser par-dessous, l'inconnu s'était levé, avait purement et simplement ouvert le compas de ses longues jambes, et d'un simple mouvement, pareil à celui que fait un cavalier pour se mettre en selle, il avait enjambé la haie sans qu'une seule branche effleurât son haut-de-chausse.

Maître Miton l'imita en déchirant le sien en trois endroits, mais il n'en fut point ainsi du compère Friard, qui, ne pouvant passer ni par-dessous ni par-dessus, et, de plus en plus menacé d'être écrasé par la foule, poussait des cris déchirants, lorsque l'inconnu allongea son grand bras, le saisit à la fois par sa fraise et par le collet de son pourpoint, et, l'enlevant, le transporta de l'autre côté de la haie avec la même facilité qu'il eût fait d'un enfant.

– Oh! oh! oh! s'écria maître Miton, réjoui de ce spectacle et suivant des yeux l'ascension et la descente de son ami maître Friard, vous avez l'air de l'enseigne du Grand-Absalon.

– Ouf! s'écria Friard en touchant le sol, que j'aie l'air de tout ce que vous voudrez, me voilà de l'autre côté de la haie, et grâce à monsieur. Puis, se redressant pour regarder l'inconnu à la poitrine duquel il atteignait à peine: Ah! monsieur, continua-t-il, que d'actions de grâces! Monsieur, vous êtes un véritable Hercule, parole d'honneur, foi de Jean Friard. Votre nom, monsieur, le nom de mon sauveur, le nom de mon… ami?

Et le brave homme prononça en effet ce dernier mot avec l'effusion d'un cœur profondément reconnaissant.

– Je m'appelle Briquet, monsieur, répondit l'inconnu, Robert Briquet, pour vous servir.

– Et vous m'avez déjà considérablement servi, monsieur Robert Briquet, j'ose le dire; oh! ma femme vous bénira; Mais, à propos, ma pauvre femme! ô mon Dieu, mon Dieu! elle va être étouffée dans cette foule. Ah! maudits Suisses qui ne sont bons qu'à faire écraser les gens!

Le compère Friard achevait à peine cette apostrophe, qu'il sentit tomber sur son épaule une main lourde comme celle d'une statue de pierre.

Il se retourna pour voir quel était l'audacieux qui prenait avec lui une pareille liberté.

Cette main était celle d'un Suisse.

– Foulez-fous qu'on vous assomme, mon bedit ami? dit le robuste soldat.

– Ah! nous sommes cernés! s'écria Friard.

– Sauve qui peut! ajouta Miton.

Et tous deux, grâce à la haie franchie, ayant l'espace devant eux, gagnèrent le large, poursuivis par le regard railleur et le rire silencieux de l'homme aux longs bras et aux longues jambes qui, les ayant perdus de vue, s'approcha du Suisse qu'on venait de placer là en vedette.

– La main est bonne, compagnon, dit-il, à ce qu'il paraît?

– Mais foui, moussieu, pas mauvaise, pas mauvaise.

– Tant mieux, car c'est chose importante, surtout si les Lorrains venaient comme on le dit.

– Ils ne fiennent bas.

– Non?

– Bas di tout.

– D'où vient donc alors que l'on ferme cette porte! Je ne comprends pas.

– Fous bas besoin di gombrendre, répliqua le Suisse en riant aux éclats de sa plaisanterie.

– C'être chuste, mon gamarate, très chuste, dit Robert Briquet, merci.

Et Robert Briquet s'éloigna du Suisse pour se rapprocher d'un autre groupe, tandis que le digne Helvétien, cessant de rire, murmurait:

– Bei Gott!… Ich glaube er spottet meiner. – Was ist das für ein Mann, der sich erlaubt einen Schweizer seiner kœniglichen Majestaet auszulachen?

Ce qui, traduit en français, voulait dire:

– Vrai Dieu! je crois que c'est lui qui se moque de moi. Qu'est-ce que c'est donc que cet homme qui ose se moquer d'un Suisse de Sa Majesté?

II Ce qui se passait à l'extérieur de la porte Saint-Antoine

Un de ces groupes était formé d'un nombre considérable de citoyens surpris hors de la ville par cette fermeture inattendue des portes. Ces citadins entouraient quatre ou cinq cavaliers d'une tournure fort martiale et que la clôture de ces portes gênait fort, à ce qu'il paraît, car ils criaient de tous leurs poumons:

– La porte! la porte!

Lesquels cris, répétés par tous les assistants avec des recrudescences d'emportement, occasionnaient dans ces moments-là un bruit d'enfer.

Robert Briquet s'avança vers ce groupe, et se mit à crier plus haut qu'aucun de ceux qui le composaient:

– La porte! la porte!

Il en résulta qu'un des cavaliers, charmé de cette puissance vocale, se retourna de son côté, le salua et lui dit:

– N'est-ce pas honteux, monsieur, qu'on ferme une porte de ville en plein jour, comme si les Espagnols ou les Anglais assiégeaient Paris?

Robert Briquet regarda avec attention celui qui lui adressait la parole et qui était un homme de quarante à quarante-cinq ans.

Cet homme, en outre, paraissait être le chef de trois ou quatre autres cavaliers qui l'entouraient.

Cet examen donna sans doute confiance à Robert Briquet, car aussitôt il s'inclina à son tour et répondit:

– Ah! monsieur, vous avez raison, dix fois raison, vingt fois raison; mais, ajouta-t-il, sans être trop curieux, oserais-je vous demander quel motif vous soupçonnez à cette mesure?

– Pardieu! dit un assistant, la crainte qu'ils ont qu'on ne leur mange leur Salcède.

– Cap de Bious! dit une voix, triste mangeaille.

Robert Briquet se retourna du côté où venait cette voix dont l'accent lui indiquait un Gascon renforcé, et il aperçut un jeune homme de vingt ou vingt-cinq ans, qui appuyait sa main sur la croupe du cheval de celui qui lui avait paru le chef des autres.

Le jeune homme était nu-tête; sans doute il avait perdu son chapeau dans la bagarre.

Maître Briquet paraissait un observateur; mais, en général, ses observations étaient courtes; aussi détourna-t-il rapidement son regard du Gascon, qui sans doute lui parut sans importance, pour le ramener sur le cavalier.

– Mais, dit-il, puisqu'on annonce que ce Salcède appartient à M. de Guise, ce n'est déjà point un si mauvais ragoût.