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Dumas est atterré : malade, une si jolie femme ? Mais, à la savoir menacée, elle lui paraît plus attirante encore. Et il se laisse conduire chez Clémence où ils vont attendre, lui et Eugène, que Marie vienne ou appelle son amie par la fenêtre. C’est ce qui se passe et il peut bientôt s’incliner sur une petite main pâle ornée de fort beaux diamants.

Quant à Marie, il est visible que ce grand garçon brun aux manières parfaites lui plaît beaucoup. Elle le lui dit d’ailleurs sans ambages. Après quoi, on organise un petit souper très gai. Un peu trop peut-être ! Alexandre souffre de voir sa créature de rêve boire le champagne sans retenue et répondre joyeusement aux plaisanteries les plus fortes. À mesure qu’elle boit d’ailleurs, ses joues se colorent d’une rougeur fiévreuse et, finalement, secouée par une brusque quinte de toux, elle quitte la table en courant. Dumas la rejoint dans un petit salon et la trouve étendue, les yeux clos, sur un canapé. Dans une cuvette posée à terre il y a des traces de sang. Alors il s’assoit près d’elle, prend sa main et dit son inquiétude. Il la connaît à peine et pourtant il lui est intolérable de la voir souffrir. Cette vie insensée la tue et il voudrait tant l’aider, la soutenir… l’aimer enfin. Il ne prononce pas le mot mais elle a deviné :

— Ainsi vous êtes amoureux de moi ? Dites-le tout de suite, ce sera plus simple.

— Si je dois vous le dire un jour, ce n’est pas aujourd’hui.

— Alors vous ferez mieux de ne le dire jamais car il ne peut résulter que deux choses de cet aveu : ou bien je ne vous accepte pas et vous m’en voudrez, ou je vous accepte et vous aurez alors une triste maîtresse. Une femme nerveuse, malade, triste ou gaie d’une gaieté plus triste que le chagrin ; une femme qui crache le sang et qui dépense cent mille francs par an. C’est bon pour un vieux richard mais bien ennuyeux pour un jeune homme comme vous…

Ce fut ensuite le silence. Dumas regardait avec une compassion pleine de tendresse cette femme ravissante qui disait des choses si navrantes fuyant la réalité dans l’ivresse et l’insomnie.

Il voulut parler encore mais elle le fit taire. Il disait des enfantillages et mieux valait retourner dans la salle à manger. Il obéit, déjà trop amoureux pour la contrarier en quoi que ce soit mais dans les jours qui suivirent, il revint assidûment boulevard de la Madeleine, décidé à l’impossible pour arracher Marie à cette existence désastreuse et pour conquérir son amour.

Il se fit son compagnon de chaque jour, l’ami tendre et prévenant qui entoure de mille soins, qui soutient et qui console. Tant et si bien qu’un jour Marie dit à celui qu’elle avait surnommé « Adet » en additionnant ses initiales A et D :

— Si vous me promettez de faire toutes mes volontés sans dire un mot, sans la moindre observation, surtout sans me questionner, je vous aimerai peut-être…

Naturellement, il promit tout ce qu’elle voulait. Et Marie, alors, décida très calmement qu’elle allait en effet aimer le « cher Adet »…

Un papillon affolé…

Comme il arrive chaque fois qu’un amour commence, les jours qui suivirent l’abandon de Marie furent merveilleux pour elle et Dumas. Rompant avec ses riches protecteurs, la belle aux camélias vécut exclusivement pour son nouvel amant. On les vit ensemble dans les bois de Meudon, cueillant des fleurs ou se roulant dans l’herbe. Marie Duplessis abandonnait ses satins et ses diamants pour s’habiller de mousseline candide ou de percale fleurie et, chaque matin, elle faisait porter à son cher Adet le programme de la journée. Des programmes qui étaient pour elle le comble de la simplicité mais qui se révélaient finalement très onéreux pour un jeune homme peu riche. Chaque soir, en effet, il fallait aller au spectacle, souper dans un endroit gai. Rien que les camélias à renouveler chaque jour le ruinaient en dépit de l’aide de son père, toujours généreux mais souvent à court d’argent.

Alors, incapable d’accepter la moindre diminution de son train de vie, Marie revit en secret le vieux comte Stackelberg mais, surtout, un nouvel adorateur se présenta et elle ne lui résista guère. Celui-là jeune, noble et très riche. Petit-fils du célèbre banquier Perregaux, il est régent de la Banque de France et porte à Marie une folle passion. Grisée, celle-ci se laisse adorer et couvrir de joyaux que le pauvre Dumas admire d’un œil chaque jour plus irrité car il ne croit guère à la génération spontanée de ce genre de colifichets. Marie a beau lui dire que « Le mensonge blanchit les dents ! » il sait bien qu’elle lui ment et il le prend de plus en plus mal. Des scènes éclatent et Marie reproche à son amant de vouloir l’abaisser à une existence bourgeoise.

Le malheureux en souffre. En outre, ses dettes atteignent le chiffre de 50 000 livres. Alors, dans la nuit du 30 août, il écrit cette lettre : « Ma chère Marie, je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je voudrais ni assez pauvre pour être aimé comme vous le voudriez. Oublions donc tous deux, vous un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi un bonheur qui me devient impossible… » L’hiver sera triste pour le jeune homme mais, au printemps suivant, son père l’emmènera en Espagne et en Algérie en pensant que le voyage sera un bon antidote.

Pendant ce temps, Marie poursuit sa vie insensée. La lettre d’Adet lui a fait un peu de peine mais pas beaucoup : elle sait qu’elle n’a pas de temps pour les regrets. D’ailleurs, à peine Dumas disparu, elle s’attache Franz Liszt que lui a présenté le Dr Koreff, son médecin : une passion rapide, violente, uniquement sensuelle et que le musicien fuira pour n’en être pas victime. Il écrira plus tard : « Je ne suis parti ni pour les Marion Delorme ni pour les Manon Lescaut mais celle-là était une exception : elle avait beaucoup de cœur… »

De cette affirmation Dumas pourrait douter mais au fond aucun de ses adorateurs ne songe à lui offrir ce dont elle rêve : le mariage.

— Vous autres hommes, dit-elle à Perregaux, vous prenez tant qu’il y a à prendre puis vous partez sans regrets, sans un souvenir.

Car à présent elle se sait condamnée. La fièvre la quitte de moins en moins et elle a encore maigri mais cela ne l’empêche pas de se jeter vers l’illusion des plaisirs, comme un papillon affolé, pour y consumer sa vie. Et c’est sans doute la pitié qui pousse Édouard Perregaux à lui offrir ce mariage dont elle rêve. Et comme elle s’étonne, allègue le scandale que la famille ne pardonnerait pas, il trouve une solution : il doit partir pour l’Angleterre afin d’y régler quelque affaire et ils se marieront là-bas sans tapage !

Devenir comtesse Perregaux ? Jamais Marie n’a rien espéré de semblable. Elle serait l’une des premières dames de Paris au lieu d’en être la première courtisane ! Elle accepte, bien sûr, et, le 21 février 1846, Perregaux l’épouse devant le Register du comté de Middlesex. Assurément, le mariage n’est pas tout à fait régulier car les bans n’ont pas été publiés. En outre, il n’est pas valable en France mais ce que souhaite Édouard c’est parer les derniers mois de Marie d’une douce illusion, l’installer outre-Manche dans une somptueuse propriété où elle pourrait tenir son rang sans scandale et, peut-être, lui faire retrouver un peu de santé au bon air de la campagne anglaise. L’hiver, il propose de l’emmener au soleil de la Méditerranée et demander à l’amour de faire un miracle.

Hélas, Marie ne comprend pas, n’accepte pas. Ce qu’elle veut c’est vivre à Paris pour y reprendre une vie joyeuse et pourquoi pas paraître à la cour de Louis-Philippe ? Une courtisane chez le roi bourgeois ! Quelle folie !… Alors plantant là son époux, elle s’enfuit, rentre boulevard de la Madeleine et, avec une joie enfantine, fait peindre ses armes toutes neuves sur les portières de sa voiture.