Выбрать главу

— Quand je chante, moi, on ne graille pas…

En effet on soupe au Versailles. Le directeur est scandalisé : les plus grands se produisent chez lui et personne n’a jamais osé… Eh bien, Édith, elle, ose. C’est ça ou rien ! Et elle gagne : le service sera interrompu pendant son tour de chant. C’est à cette époque que Piaf rencontre Marlene Dietrich avec qui elle développera une grande amitié.

Un soir, dans la salle il y a un Français qu’elle a déjà rencontré une fois en 1942. Il est champion d’Europe de boxe et, en Amérique, il vient de remporter deux importantes victoires coup sur coup : il s’appelle Marcel Cerdan. C’est un homme comme on en voit peu : sans complications, solide comme ses poings, d’une grande générosité et d’une parfaite droiture. Un roman commence qui va entrer dans la légende…

« Non, je ne regrette rien… »

Le premier contact entre ces deux natures donne un curieux résultat : après le spectacle, Cerdan a invité Piaf à souper mais au lieu de l’emmener dans un restaurant élégant, il l’a entraînée dans un snack-bar où il a commandé le menu qu’il juge le meilleur : hot-dogs, ice-cream et bière. Elle sort de là furieuse et sans avoir rien avalé. Le boxeur est navré. Il croyait avoir bien fait les choses et le lui dit. Ce qui la fait éclater de rire. Alors, on efface tout et on recommence. Cette fois dans l’un des restaurants les plus chics et, au dessert, c’est Édith qui invite Marcel à rentrer avec elle… C’est vraiment le début d’un amour. Édith est en extase :

— C’est un type pur et droit. Avec lui tout paraît simple.

Néanmoins, son amie Ginou qui ne la quitte guère et qui vit en principe avec l’un des Compagnons de la chanson, Guy Bourguignon, essaie de la mettre en garde : Cerdan est marié et, à Casablanca où il vit, sa femme Marinette veille sur leurs trois enfants. Piaf alors répond qu’elle ne lui demande pas de divorcer. Simplement, elle l’aime et elle est payée de retour.

En fait, ils vont vivre ensemble, rue Leconte-de-Lisle à Paris, chez Édith, se surveillant l’un l’autre pour ne pas entraver leurs carrières respectives. Édith aime boire ; Cerdan pas. Elle aime la vie nocturne ; lui a besoin de sommeil mais quand on s’aime, tout est si simple ! Le seul point noir est que leur liaison doit rester cachée à cause de Marinette… Chaque année, ils se retrouvent en Amérique où le Versailles renouvelle annuellement le contrat d’Édith Piaf et c’est à sainte Thérèse que la chanteuse demande que Marcel devienne champion du monde. Une prière qui se réalise. Édith est dans la salle quand, le 21 septembre, Cerdan arrache le titre mondial à Tony Zale. Jamais elle n’a été aussi heureuse… Et la vie continue.

Au mois d’octobre 1949, Édith est à New York. Marcel doit venir la rejoindre et remettre son titre en jeu. Elle l’attend avec impatience. Tellement qu’elle obtient de lui qu’il vienne avant la date prévue et prenne le Constellation du 27 octobre… Le Constellation qui n’arrivera jamais et qui s’écrase sur une montagne avec le champion du monde et Ginette Neveu, l’une des plus grandes violonistes de cette époque. La nouvelle foudroie Piaf :

— Il est mort et c’est moi qui l’ai tué. Moi !

Le soir, au Versailles elle chantera quand même. Néanmoins, raconte Auguste Le Breton, un silence de mort l’accueille quand elle entre en scène. Puis les applaudissements éclatent qu’elle repousse d’un geste de ses belles mains :

— Non, pas pour moi. Mais pour lui. C’est pour lui que je chante. Merci quand même…

Recommencer à vivre sans Marcel est une cruelle épreuve. Édith pense en venir à bout en s’occupant de la famille de son champion, de Marinette et des enfants. Sa vie va-t-elle s’arrêter ? Non à cause de ce grand, de cet immense besoin d’amour qui la talonne et la pousse en avant. Elle n’oubliera jamais Cerdan mais il y aura d’autres hommes et, après une terrible période où Piaf boit, se drogue, manque de naufrager dans les pires profondeurs, quelqu’un la remet en selle.

C’est Jacques Pills, qui fut la moitié d’un duo célèbre : Pills et Tabet. Il est charmant et Piaf le connaît déjà depuis des années : il était venu se faire entendre d’elle accompagné de son pianiste, un Méridional famélique nommé Gilbert Bécaud. Pills lui a plu et, le 29 juillet 1952, à la mairie du XVIe arrondissement, elle l’épousait. Son témoin, à elle, c’était Marlene Dietrich et Piaf portait au cou la croix d’émeraude que lui avait offerte sa grande amie. Le mariage religieux eut lieu à New York, le 20 septembre, en l’église Saint-Vincent-de-Paul parce qu’il n’y avait pas d’église Sainte-Thérèse. Pour une fois, Édith portait du bleu pâle avec un petit chapeau assorti et un bouquet de fleurs dans les mains. Elle avait cessé d’être en marge. Elle était enfin et véritablement Madame. En rentrant en France, le couple s’installe 67, boulevard Lannes dans un immense appartement qui verra défiler une bonne partie des têtes d’affiches du monde et que Piaf gardera jusqu’à sa mort.

Chaque année, Piaf retournait en Amérique. Après le Versailles et La Vie en rose pour Pills, c’était la tournée des villes américaines. Ce fut aussi pour elle l’arrivée des rhumatismes déformants dont elle allait tant souffrir. En plus, elle devenait trop superstitieuse, faisant tourner les tables jusqu’à une heure avancée de la nuit, cherchant à retrouver par-delà la mort cette sécurité, ce bonheur sûr que lui avait donné Cerdan et qu’elle n’arrivait pas à retrouver. Ce n’était pas faute de le chercher. Avant Pills, il y avait eu aussi Robert Lamoureux et Eddie Constantine : elle aimait les hommes grands, élégants et bien bâtis. Pourtant, il y en avait eu un qui n’obéissait pas aux canons de la chanteuse : petit, malingre, avec une curieuse voix enrouée… mais tellement de talent ! Il s’appelait Charles Aznavour. Le divorce avec Pills était inévitable…

Un autre amour allait bientôt la distraire : André Schoeller qui possédait une galerie de tableaux rue La Boétie. Piaf dans la grande peinture ! Piaf chez les intellectuels ! Pourquoi pas après tout ? Schoeller avait vingt-neuf ans, il était beau, élégant, charmant… mais aussi prudent car il était marié. Piaf avait quarante ans mais restait envoûtante avec ses beaux yeux bleu clair, sa peau fine, si blanche et sans rides. Néanmoins, ils se sépareront sans cesser d’être amis.

Déjà Piaf a subi plusieurs cures de désintoxication et sa santé se délabre. De brèves aventures encore : Félix Marten, Claude Figus et Georges Moustaki que son ami Henri Crolla amène un soir dans le « cirque Piaf ». Car on ne dort guère boulevard Lannes et on y boit sec. Moustaki s’installera mais donnera à Piaf « Mylord » son inoubliable chanson et il sera longtemps son guitariste. Un accident de la route où elle manque mourir, chasse le Grec de la vie intime de la vedette.

Un Grec, néanmoins, il allait y en avoir un autre, le dernier et celui-là lui apporterait, en dépit des quolibets et des rires moqueurs quelque chose d’infiniment pur, d’infiniment respectable pour employer un mot dont elle avait horreur.

Il se nommait Théophanis Lamboukas et travaillait avec son père qui possédait un salon de coiffure. Il vint un soir boulevard Lannes, emmené par Claude Figus et resta des heures à regarder Édith aller et venir, chantonner, boire…

Mais, en février 1962, atteinte d’une double bronchopneumonie, Édith est hospitalisée à Neuilly. Théo vient la voir, lui apporte une poupée grecque, puis des fleurs. Il la coiffe, lui fait la lecture et pour lui elle redevient coquette. Comme elle trouve son nom impossible, elle le rebaptise Sarapo qui, en grec, veut dire « Je t’aime »…