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— C’est une démonstration puérile pour un esprit scientifique et dont l’effort est totalement disproportionné au résultat qui n’est, bien entendu, qu’une pincée de sel. Mais le bon maître de maison aurorain est fier de pouvoir faire une petite exhibition. Il y a des experts capables de garder l’épiceur en l’air pendant une minute et demie, en bougeant les mains si rapidement que l’œil peut à peine les suivre. Naturellement, ajouta le savant d’un air songeur, Daneel est capable d’accomplir ce genre de chose avec une plus grande habileté et bien plus rapidement que n’importe quel être humain. Je l’ai mis à l’épreuve de cette façon, pour vérifier le fonctionnement de ses circuits cérébraux. Mais il serait terriblement malséant de lui demander d’exhiber de tels talents en public. Cela humilierait inutilement les épicistes humains – c’est ainsi qu’on les appelle vulgairement, familièrement plutôt, et vous ne trouverez ce mot dans aucun dictionnaire.

Baley grogna et Fastolfe soupira.

— Oui, revenons à nos affaires, cela vaudra mieux.

— C’est dans ce dessein que vous m’avez fait traverser plusieurs parsecs dans l’espace.

— Certes, certes… Eh bien, continuons !

— Dites-moi, docteur Fastolfe, votre petite démonstration avait-elle une raison précise ?

— Ma foi, nous semblions être dans une impasse. Je vous ai fait venir ici pour faire quelque chose qui ne peut être fait. Votre expression était plutôt éloquente et, pour tout vous avouer, je ne me sentais pas plus à l’aise que vous. Il m’a paru, par conséquent, que nous avions besoin d’un petit moment de détente. Et maintenant… Reprenons.

— La tâche impossible ?

— Pourquoi serait-elle impossible pour vous, monsieur Baley ? Vous avez la réputation de réussir l’impossible.

— La dramatique en Hyperonde ? Vous croyez à cette ridicule déformation de ce qui s’est passé à Solaria ?

Fastolfe écarta les bras.

— Je n’ai pas d’autre espoir.

— Et moi, je n’ai pas le choix. Je dois continuer d’essayer ! Je ne peux pas retourner sur Terre sur un échec. Cela m’a bien été précisé… Dites-moi, docteur, comment Jander a-t-il pu être tué ? Quelle sorte de manipulation de son cerveau aurait été exigée ?

— Monsieur Baley, je ne sais vraiment pas comment je pourrais expliquer cela, même à un autre roboticien, ce que vous n’êtes certainement pas, et même si j’étais prêt à publier mes théories, ce qui n’est pas le cas. Cependant, voyons un peu si je puis vous donner un semblant d’explication… Vous savez, bien entendu, que les robots ont été inventés sur la Terre.

— Sur la Terre, on s’occupe le moins possible de robotique.

— Les violents préjugés anti-robots des Terriens sont bien connus, dans les mondes spatiens.

— Mais l’origine terrienne des robots est évidente à toute personne, sur la Terre, qui veut bien y penser. On sait parfaitement que le voyage hyperspatial a été développé avec l’aide des robots et puisque les mondes spatiens n’auraient pas pu être colonisés sans voyage hyperspatial, il est évident que les robots existaient avant ces établissements, alors que la Terre était encore la seule planète habitée. Par conséquent, les robots ont été inventés sur Terre par des Terriens.

— Et pourtant la Terre n’en éprouve aucune fierté, n’est-ce pas ?

— Nous n’en parlons pas, répliqua sèchement Baley.

— Et les gens de la Terre ne savent rien de Susan Calvin ?

— J’ai découvert son nom dans quelques vieux livres. C’était une des pionnières de la robotique, je crois ?

— C’est tout ce que vous savez d’elle ?

Baley fit un geste d’indifférence.

— Je suppose que je pourrais apprendre davantage en fouillant dans les annales, mais je n’en ai jamais eu l’occasion.

— Comme c’est singulier, murmura Fastolfe. Elle est considérée comme une demi-déesse par tous les Spatiens, au point que très peu de Spatiens, sans doute, qui ne sont pas roboticiens, savent qu’elle était une Terrienne. A leurs yeux, ce serait pour ainsi dire une profanation de le leur dire. Ils refuseraient d’y croire, si on leur apprenait qu’elle est morte après n’avoir vécu que cent années métriques. Et pourtant, vous ne la connaissez que comme une des pionnières !

— A-t-elle un rapport avec tout ceci, docteur Fastolfe ?

— Pas directement, mais dans un sens. Vous devez comprendre que de nombreuses légendes entourent son nom. Une des plus célèbres, et celle qui a le moins de chances d’être vraie, concerne un robot manufacturé dans ces temps primitifs et qui, par suite d’un accident le long de la chaîne de production, aurait eu des facultés télépathiques…

— Quoi ?

— Une légende ! Je vous ai dit que c’était une légende, et indiscutablement une pure invention ! Notez bien, il existe une raison théorique de supposer que cela pourrait être possible, encore que personne n’ait jamais présenté de schéma plausible qui pourrait seulement commencer à incorporer une telle faculté. Cela n’aurait certainement jamais pu apparaître dans des cerveaux positroniques aussi rudimentaires et simples que ces robots de l’époque pré-hyperspatiale, non, c’est inconcevable, tout à fait. C’est pourquoi nous sommes certains que cette histoire-là est une fable. Mais laissez-moi parler quand même, car elle contient une moralité.

— Je vous en prie, continuez !

— Le robot, selon la légende, savait lire dans la pensée et, quand on lui posait des questions, il lisait dans l’esprit de la personne qui l’interrogeait et lui répondait ce qu’elle voulait entendre. Or, la Première Loi de la Robotique stipule très clairement qu’un robot n’a pas le droit de faire du mal à un être humain ou, par son inaction, de permettre qu’il arrive du mal à l’être humain. Mais pour les robots, cela signifie généralement un mal physique. Un robot capable de lire dans la pensée, en revanche, pourrait certainement comprendre que la déception, la colère ou toute autre émotion violente rendrait malheureux l’être humain qui ressent ces émotions, et interpréterait l’inspiration de ces émotions comme un « mal ». Si, par conséquent, un robot télépathe savait que la vérité peut décevoir ou irriter un être humain qui l’interroge, ou faire de la peine à cette personne, ou lui causer de l’envie, alors il répondrait par un mensonge agréable. Vous saisissez cela ?

— Oui, naturellement.

— Donc il a menti, même à Susan Calvin. Les mensonges ne pouvaient durer longtemps, car différentes personnes entendaient des réponses différentes qui ne concordaient pas entre elles et, de plus, n’étaient confirmées par aucune réalité. Voyez-vous, Susan Calvin a découvert que le robot lui avait menti et, de plus, que ces mensonges l’avaient plongée dans une situation terriblement embarrassante. Ce qui l’aurait certainement déçue, pour commencer, la décevait maintenant d’une manière intolérable, à cause des faux espoirs… Vous n’avez jamais entendu cette histoire ?

— Je vous en donne ma parole !

— Stupéfiant ! Pourtant, elle n’a certainement pas été inventée à Aurora car elle circule également dans tous les mondes… Enfin bref, Calvin s’est vengée. Elle a fait observer au robot que quelle que fût son attitude – qu’il mente ou qu’il dise la vérité –, il ferait un mal égal à la personne à qui il s’adressait. Il ne pouvait donc obéir à la Première Loi. Le robot, comprenant cela, fut obligé de se réfugier dans l’inaction totale. Si vous voulez une description plus imagée, ses circuits positroniques ont grillé. Le cerveau était irrémédiablement détruit. La légende prétend que le dernier mot de Susan Calvin au robot détruit fut « Menteur ! ».