Regardant droit devant lui, il exécuta lentement un pas glissé, les mains tendues. Lentement, en regardant fixement, il avança.
Ses mains touchèrent la surface lisse d’un mur. Il le suivit à tâtons, de chaque côté. Il toucha le lavabo qu’il avait vu durant cet instant de vision normale et, guidé par ses mains, il parvint à le distinguer, faiblement, faiblement, rien qu’un contour dans l’écrasante sensation de lumière.
Il trouva le robinet mais aucune eau n’en coula. Il suivit sa courbe mais ne découvrit rien qui fût l’équivalent des poignées normales qui contrôlaient l’écoulement de l’eau. Sous ses doigts, il sentit une plaque rectangulaire, que la sensation un peu rêche distinguait du mur environnant. En glissant les doigts dessus, il appuya, en hésitant, et aussitôt la verdure, qui s’étendait bien au delà du plan vertical du mur, que lui révélaient ses doigts, fut séparée par un filet d’eau tombant d’une certaine hauteur vers ses pieds, dans un grand bruit d’éclaboussures.
Il fit un bond en arrière, réflexe automatique, mais l’eau n’arriva pas jusqu’à ses pieds. Elle ne cessait pas de couler mais elle n’atteignait pas le sol. Il tendit la main. Ce n’était pas de l’eau mais une illusion d’optique d’eau. Elle ne mouillait pas sa main, il ne sentait rien. Cependant, ses yeux refusaient obstinément de se rendre à l’évidence : ils voyaient de l’eau.
Baley suivit le filet vers le haut et finit par toucher de l’eau véritable, un mince flot coulant du robinet. Elle était froide.
Ses doigts retrouvèrent le rectangle râpeux et il fit quelques essais, en appuyant un peu au hasard. La température de l’eau changea rapidement et il finit par trouver l’endroit qui fournissait une tiédeur agréable.
Il ne trouva pas de savon. Toujours en hésitant, il frotta ses mains sous cette eau, qui avait l’air d’une source naturelle qui aurait dû le tremper de la tête aux pieds mais ne l’éclaboussait même pas. Et, comme si le mécanisme lisait dans sa pensée ou, plus vraisemblablement, était déclenché par le frottement des mains, il sentit l’eau devenir savonneuse, tandis que la source qu’il voyait et ne voyait pas se couvrait de bulles et de mousse.
Toujours craintivement, il se pencha sur le lavabo et se frotta la figure avec cette eau savonneuse. Il sentit sa barbe naissante mais savait qu’il n’avait aucun moyen de traduire l’équipement de cette pièce en matériel à raser, sans avoir reçu des instructions.
Le visage lavé, il tint ses mains sous l’eau, en se demandant comment arrêter l’écoulement du savon. Il n’eut pas à s’interroger longtemps. Ses mains, probablement, contrôlaient cela en cessant de se frotter. L’eau perdit sa sensation savonneuse et la mousse disparut. Il se bassina la figure, sans frotter, et elle fut rincée aussi. Sans rien avoir et avec la maladresse d’un novice ignorant tout du processus, il trempa tout le devant de sa chemise.
Des serviettes ? Du papier ?
Il recula, les yeux fermés, tenant la tête en avant pour éviter de mouiller davantage ses vêtements. Ce recul devait être le mouvement clef, car il sentit un courant d’air chaud. Il y plaça la figure puis les mains.
Ouvrant les yeux, il s’aperçut que la source ne coulait plus. Avec ses mains, il constata qu’il ne sentait plus de l’eau véritable.
Sa crispation d’estomac s’était changée depuis longtemps en irritation. Il savait bien que les Personnelles variaient énormément d’un monde à l’autre, mais cette ridicule illusion d’Extérieur, c’était vraiment aller trop loin !
Sur Terre, la Personnelle était une immense salle commune de commodités réservées à un sexe, avec des cabines privées dont chacun avait une clef. A Solaria, on accédait à la Personnelle par un étroit couloir, contre un des côtés de la maison, comme si les Solariens espéraient qu’elle ne serait pas considérée comme une pièce de leur demeure. Dans les deux mondes, cependant, aussi différents qu’il était possible par ailleurs, les Personnelles étaient clairement définies et personne ne pouvait se tromper sur l’usage de tous les appareils sanitaires.
Alors pourquoi, à Aurora, cette rusticité factice, qui masquait totalement tous les détails d’une Personnelle ?
Pourquoi ?
Quoi qu’il en soit, son agacement laissait peu de place aux émotions habituelles, au malaise que lui causait l’Extérieur ou cette parodie d’Extérieur. Il avança dans la direction où il se rappelait avoir vu la demi-cloison translucide.
Ce n’était pas la bonne. Il ne trouva ce qu’il voulait qu’en suivant lentement le mur, à tâtons et en se cognant contre divers éléments.
Finalement, il urina dans une illusion de petite mare qui ne semblait pas recevoir correctement le flot. Ses genoux lui apprenaient qu’il visait bien, entre les côtés de ce qu’il pensait être un urinoir, et il se dit que s’il se servait d’un mauvais réceptacle, ou s’il visait mal, ce n’était pas sa faute.
Un instant, quand il eut fini, il envisagea de retrouver le lavabo pour se passer les mains à l’eau mais y renonça. Il n’avait vraiment pas le courage d’affronter les recherches et cette fausse cascade.
Toujours à tâtons, il trouva la porte par laquelle il était entré mais il ne s’en rendit compte que lorsqu’il la toucha et qu’elle s’ouvrit. La lumière s’éteignit immédiatement et fut remplacée par celle, non illusoire, du jour.
Daneel l’attendait et, avec lui, Fastolfe et Giskard.
— Cela vous a pris près de vingt minutes, dit Fastolfe. Nous commencions à nous inquiéter.
Baley se sentit brûler de rage.
— J’ai eu des problèmes avec vos grotesques illusions, dit-il entre ses dents, tenant la bride à sa colère.
Fastolfe fit une petite moue et haussa les sourcils.
— Il y a un contact juste à côté de la porte, à l’intérieur, qui contrôle l’illusion. Il peut l’atténuer et vous permettre de voir la réalité à travers, ou même supprimer complètement l’illusion, si vous le souhaitez.
— On ne me l’a pas dit. Est-ce que toutes vos Personnelles sont comme ça ?
— Non. A Aurora, les Personnelles possèdent généralement des systèmes d’illusions mais elles varient avec chaque individu. L’illusion d’une nature verdoyante me plaît et j’en varie les détails de temps en temps. On se lasse de tout, vous savez, au bout d’un moment. Il y a des gens qui créent des illusions érotiques, mais ce n’est pas du tout de mon goût.
« Naturellement, quand on est habitué aux Personnelles, les illusions ne posent pas de problèmes. Les pièces sont toutes standard et l’on sait où tout se trouve. Ce n’est pas plus difficile que d’aller et venir dans un lieu bien connu, dans le noir… Mais dites-moi, monsieur Baley, pourquoi n’êtes-vous pas ressorti pour demander des instructions ?
— Parce que je ne le voulais pas. Je reconnais que j’étais extrêmement irrité par ces illusions mais je les acceptais. Après tout, c’était Daneel qui m’avait conduit à la Personnelle et il ne m’avait donné aucune explication, aucun avertissement. Il m’aurait certainement tout expliqué longuement, s’il avait été libre de le faire, car il aurait sûrement prévu que je risquais de me blesser. J’ai donc été forcé de conclure que vous lui aviez donné des instructions pour qu’il ne m’avertisse pas, et comme je ne vous pensais pas vraiment capable de me jouer un mauvais tour, je devais en déduire que vous aviez un but sérieux pour agir ainsi.
— Ah ?
— Ma foi, vous m’avez demandé de venir à l’Extérieur et, quand j’ai accepté, vous m’avez immédiatement proposé de passer par la Personnelle. Par conséquent, j’ai pensé que votre dessein, en m’envoyant dans une illusion d’Extérieur, était de voir si je serais capable de le supporter ou si je ressortirais en pleine panique. Si je le supportais, alors on pouvait avoir confiance en moi pour m’emmener dans le véritable Extérieur. Eh bien, j’ai tout supporté. Je suis un peu mouillé, merci bien, mais ça sèchera vite.