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— Il ne comporte aucun danger ?

— Il y a toujours une certaine marge de danger. Nous avons des orages, des tempêtes, des éboulements de terrain, des séismes, des blizzards, des avalanches, un volcan ou deux… On ne peut pas totalement éliminer la mort accidentelle. Et il y a même les passions de gens coléreux ou envieux, les folies des jeunes et la démence des personnes à courte vue. Mais ces choses-là ne sont que des irritations mineures et ne troublent guère le calme civilisé qui règne dans notre monde.

Fastolfe parut ruminer un moment ses propres paroles, puis il soupira et avoua :

— Je ne puis guère désirer qu’il en soit autrement, mais je fais quand même certaines réserves intellectuelles. Nous n’avons apporté à Aurora que les plantes et animaux que nous jugions utiles, ornementaux ou les deux. Nous avons fait de notre mieux pour éliminer tout ce que nous considérions comme de mauvaises herbes, de la vermine, des animaux nuisibles ou même manquant de perfection. Nous avons sélectionné des êtres humains sains, forts et beaux, selon nos goûts naturellement. Nous avons essayé de… Mais vous souriez ?

Baley n’avait pas souri. Sa bouche avait à peine esquissé un pincement.

— Non, non, protesta-t-il. Il n’y a pas de quoi sourire.

— Si, car je sais aussi bien que vous que je ne suis pas beau, selon les canons aurorains. L’ennui, c’est que nous ne pouvons pas contrôler entièrement les combinaisons de gènes et les influences intra-utérines. De nos jours, bien entendu, avec l’extogénèse qui devient courante, encore que j’espère bien qu’elle ne deviendra jamais aussi courante qu’à Solaria, je pourrais éliminer ce stade fœtal tardif.

— Dans ce cas, docteur Fastolfe, les mondes auraient perdu un grand théoricien robotique.

— Vous avez parfaitement raison, répliqua Fastolfe sans aucune vergogne, mais les mondes ne l’auraient jamais su, n’est-ce pas ? Enfin bref, nous avons œuvré pour créer un équilibre écologique très simple mais complètement viable, un climat tempéré, une terre fertile et des ressources aussi également distribuées que possible. Le résultat est un monde qui produit tout ce dont nous avons besoin, en tenant compte de nos désirs… Voulez-vous que je vous dise vers quel idéal nous avons tendu ?

— Je vous en prie, dit Baley.

— Nous avons travaillé pour créer une planète qui, dans son ensemble, obéirait aux Trois Lois de la Robotique. Elle ne fait rien qui blesse les êtres humains, par action ou par omission. Elle fait ce que nous voulons qu’elle fasse, du moment que nous ne lui demandons pas de faire du mal à des êtres humains. Et elle se protège, à des moments et dans des lieux où elle doit nous servir ou nous sauver même au prix d’un mal fait à elle-même. Nulle part ailleurs, ni sur Terre ni dans les autres mondes spatiens, cela n’est aussi vrai qu’à Aurora.

Baley confia tristement :

— Les Terriens aussi ont rêvé d’un tel monde, mais depuis longtemps nous sommes devenus trop nombreux et nous avons trop gravement endommagé notre planète, au temps de notre ignorance, pour pouvoir y remédier maintenant… Mais parlez-moi un peu des formes de vie indigènes d’Aurora. Vous n’êtes certainement pas arrivés sur une planète morte ?

— Vous savez bien que non, si vous avez visionné nos livres d’histoire. Aurora avait une flore et une faune, quand nous sommes arrivés, et une atmosphère d’azote-oxygène. C’était le cas aussi des cinquante mondes spatiens. Curieusement, dans chaque cas, les formes de vie étaient rares et peu variées. Elles n’étaient pas non plus particulièrement tenaces et ne se cramponnaient pas à leur planète. Nous avons pris la relève, pour ainsi dire, sans la moindre lutte et ce qui reste de la vie indigène est dans nos aquariums, nos zoos et dans quelques régions primitives soigneusement préservées.

 » Nous ne comprenons pas très bien pourquoi les planètes porteuses de vie que les êtres humains ont explorées avaient si peu de formes de vie, pourquoi la Terre seule a très vite débordé d’une multitude de variétés follement tenaces, qui ont rempli toutes les niches de l’environnement, ni pourquoi seule la Terre a développé une vie intelligente.

— Peut-être est-ce une coïncidence, le hasard d’explorations incomplètes. Nous connaissons si peu de planètes, jusqu’à présent !

— Je reconnais que c’est l’explication la plus logique. Il peut certes y avoir quelque part un équilibre écologique aussi complexe que celui de la Terre. Il peut y avoir quelque part une vie intelligente et une civilisation technologique. Pourtant, la vie et l’intelligence de la Terre se sont déployées sur des parsecs dans toutes les directions. S’il y a de la vie et de l’intelligence ailleurs, pourquoi ne se sont-elles pas répandues aussi, et pourquoi n’en avons-nous jamais rencontré ?

— Cela peut arriver demain, qui sait ?

— C’est possible. Et si une telle rencontre est imminente, raison de plus pour ne pas attendre passivement. Car nous devenons passifs, Baley. Depuis deux siècles et demi, il n’y a pas eu un seul établissement sur un nouveau monde spatien. Nos planètes sont si apprivoisées, si délicieuses, que nous ne voulons pas les quitter. Ce monde-ci a été colonisé parce que la Terre était devenue si désagréable que les risques, les dangers des nouveaux mondes déserts paraissaient préférables, par comparaison. Lorsque finalement nos cinquante mondes spatiens ont été développés – Solaria en dernier – il n’y a plus eu d’aiguillon, plus de nécessité d’aller chercher ailleurs. Et la Terre elle-même s’est repliée dans ses souterrains d’acier. Fin de l’histoire. Fin de tout.

— Vous ne le pensez pas vraiment !

— Si nous restons comme nous sommes ? Si nous restons placides, douillettement inertes ? Si, je le pense certainement. L’humanité doit élargir sa vision, sa portée, si elle veut rester florissante. Une des voies d’expansion est l’espace, une exploration constante d’autres mondes et l’envoi de pionniers pour s’y établir. Si nous n’en faisons rien, une autre civilisation en cours d’expansion nous atteindra et nous ne serons pas de force à résister à son dynamisme.

— Vous vous attendez à une guerre cosmique, à une fusillade en hypervision ?

— Non, je doute que ce soit nécessaire. Une civilisation en voie d’expansion dans l’espace n’aura pas besoin de nos quelques mondes et sera sans doute trop avancée intellectuellement pour éprouver le besoin d’imposer ici son hégémonie par la force. Si, toutefois, nous sommes environnés par une civilisation plus vivace, plus vibrante, nous nous étiolerons, par la simple force de la comparaison ; nous dépérirons et mourrons de voir ce que nous sommes devenus et le potentiel que nous avons gaspillé. Naturellement, nous pourrions substituer d’autres expansions : celle des connaissances scientifiques ou de la vigueur culturelle, par exemple. Je sens cependant que ces expansions-là ne sont pas séparables. Mourir dans l’une c’est mourir partout. Il est indiscutable que nous dépérissons en tout. Nous vivons trop longtemps. Nous avons trop de confort.

— Sur Terre, dit Baley, nous considérons les Spatiens comme des êtres tout-puissants, totalement sûrs d’eux. Je ne puis croire à ce que j’entends de la bouche de l’un d’eux !

— Vous ne l’entendrez pas d’une autre bouche. Mes opinions ne sont pas à la mode. Certains les trouvent intolérables et je ne parle pas souvent de toutes ces choses à des Aurorains. J’insiste simplement sur une nouvelle campagne pour de nouveaux établissements, mais sans exprimer ma peur des catastrophes qui nous guettent si nous renonçons à cette colonisation. En cela, au moins, je suis gagnant. Aurora envisage sérieusement, et même avec enthousiasme, une nouvelle ère d’explorations et d’établissements.