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Il coula un regard vers Baley, qui répondit flegmatiquement :

— Je me souviens très bien. En fait, vous avez déclenché chez moi un entraînement de pensée qui a eu pour résultat un petit mouvement sur Terre dans cette même direction.

— Vraiment ? Ce ne doit pas être facile, j’imagine ! Vous devez vous heurter à la claustrophobie de tous les Terriens, leur terreur de quitter leurs murs.

— Nous la combattons, docteur. Notre organisation compte partir dans l’espace. Mon fils est un des dirigeants du mouvement et j’espère qu’un jour il quittera la Terre à la tête d’une expédition pour coloniser un nouveau monde. Et si réellement nous recevons l’aide technologique dont vous parlez…

Baley laissa la phrase en suspens.

— Si nous vous fournissions des vaisseaux, vous voulez dire ?

— Et d’autres équipements. Oui.

— Il y a des difficultés. Beaucoup d’Aurorains ne veulent pas que des Terriens prennent de l’expansion et s’en aillent peupler de nouveaux mondes. Ils ont peur d’une propagation rapide de la culture terrienne, de ses Villes semblables à des ruches, de son chaos, expliqua Fastolfe – et il commença à s’agiter un peu. Mais pourquoi restons-nous plantés là, je vous le demande ? Marchons !

Il se remit en marche lentement et poursuivit :

— J’ai argué que cela ne se passerait pas comme ça. J’ai fait observer que les colons terrestres ne seraient pas des Terriens dans le sens classique. Ils ne seraient pas enfermés dans des Villes. En arrivant sur un nouveau monde, ils seraient comme les Pères Aurorains quand ils sont venus ici. Ils découvriraient un équilibre écologique viable, ils seraient, par leur attitude, plus près des Aurorains que des Terriens.

— Est-ce qu’ils ne manifesteraient pas avec le temps une tendance à toutes les faiblesses que vous reprochez à la culture spatienne, docteur Fastolfe ?

— Peut-être pas. Nos erreurs leur serviraient de leçon… Mais c’est parler pour ne rien dire, car une chose s’est développée qui rend un peu vaine la discussion.

— Quoi donc ?

— Eh bien, le robot humaniforme, voyons ! Il y a des gens qui voient dans le robot humaniforme le colon idéal, comprenez-vous ? Qui disent que c’est eux qui peuvent bâtir de nouveaux mondes.

— Vous avez toujours eu des robots. Vous voulez dire que cette idée n’avait encore jamais été avancée ?

— Si, bien sûr, mais elle était manifestement impossible à réaliser. Les robots ordinaires, non humaniformes et sans surveillance humaine immédiate, construiraient un monde convenant à leur nature non humaniforme ; on ne pourrait pas attendre d’eux qu’ils domestiquent et bâtissent un monde convenant aux esprits et aux corps plus délicats et souples des êtres humains.

— Mais le monde qu’ils bâtiraient servirait certainement de première approximation raisonnable, il me semble.

— Oui, bien sûr, Baley. Malheureusement, et c’est un signe de la décadence auroraine, il y a dans notre peuple un nombre écrasant de personnes qui estiment qu’une première approximation raisonnable est déraisonnablement insuffisante. En revanche, un groupe de robots humaniformes, ressemblant aussi étroitement que possible aux êtres humains par le corps et par l’esprit, réussiraient à construire un monde qui, en leur convenant, conviendrait inévitablement aux Aurorains. Est-ce que vous suivez ce raisonnement ?

— Tout à fait.

— Ils construiraient ce monde si bien, voyez-vous, que lorsqu’ils auraient fini, quand les Aurorains seraient enfin prêts à partir, nos êtres humains passeraient d’Aurora dans une autre Aurora. Ils ne seraient jamais partis de chez eux ! Ils auraient simplement une nouvelle maison, exactement comme l’ancienne, où ils continueraient de sombrer dans la décadence. Suivez-vous aussi ce raisonnement-là ?

— Oui, bien sûr, mais si je comprends bien, les Aurorains ne le suivent pas ?

— Ils risquent de ne pas le suivre. Je crois que je peux présenter l’argument d’une manière persuasive, si l’opposition ne me ruine pas politiquement, avec cette affaire Jander. Comprenez-vous le mobile qui m’est attribué ? Je suis censé m’être embarqué dans un programme de destruction des robots humaniformes, plutôt que de leur permettre d’être utilisés pour aller coloniser d’autres planètes. Du moins c’est ce que prétendent mes ennemis.

Cette fois, ce fut Baley qui s’arrêta de marcher. Il considéra Fastolfe d’un air songeur et hocha la tête.

— Docteur Fastolfe, vous devez comprendre que l’intérêt de la Terre est que vous imposiez totalement votre point de vue.

— Et c’est aussi votre intérêt personnel, M. Baley.

— C’est aussi le mien. Mais si je me place à l’écart pour le moment, il demeure capital, pour notre planète, que nôtre population soit autorisée, encouragée et aidée à explorer la Galaxie ; que nous conservions autant de nos coutumes que nous le pouvons pour nous sentir à l’aise, que nous ne soyons pas condamnés à l’emprisonnement éternel sur la Terre, puisque nous ne pourrions que périr.

— Certains d’entre vous, je crois, tiendront à demeurer emprisonnés.

— Naturellement. Peut-être la grande majorité. Cependant, certains autres au moins, les plus nombreux possible, s’échapperont s’ils en reçoivent l’autorisation. Par conséquent, c’est mon devoir, pas seulement comme représentant de la loi pour une importante fraction de l’Humanité mais aussi comme simple Terrien, de vous aider à vous disculper, que vous soyez coupable ou innocent. Néanmoins, je ne puis me lancer à fond dans cette mission que si je sais pertinemment que les accusations portées contre vous sont sans fondement.

— Bien entendu ! Je le comprends très bien.

— Alors, à la lumière de ce que vous venez de me dire sur le mobile qui vous est attribué, assurez-moi encore une fois que vous n’avez pas commis ce crime.

— Baley, je comprends parfaitement que vous n’ayez pas le choix dans cette affaire. Je sais très bien que je peux vous avouer impunément que je suis coupable, et que vous serez quand même forcé, par la nature de vos besoins et de ceux de votre monde, de vous associer avec moi pour étouffer cette vérité. En fait, si j’étais réellement coupable, je me sentirais contraint de vous l’avouer, afin que vous puissiez prendre cela en considération et, connaissant la vérité, travailler plus efficacement à ma défense et à mon sauvetage… et au vôtre. Mais je ne peux le faire, pour la bonne raison que je suis innocent. Même si les apparences sont contre moi, je n’ai pas détruit Jander. Une telle idée ne m’est jamais venue à l’esprit.

— Jamais ?

Fastolfe sourit tristement :

— Oh, il se peut que j’aie pensé une ou deux fois qu’il aurait peut-être mieux valu pour Aurora que je ne découvre jamais les ingénieuses théories qui ont permis le développement du cerveau positronique humaniforme ; ou qu’il vaudrait mieux que ces cerveaux se révèlent instables et facilement sujets à des gels mentaux. Mais ce n’était que des pensées fugaces, de vagues regrets. Pas un instant, pas une fraction de seconde je n’ai envisagé de provoquer pour cette raison la destruction de Jander.

— Alors nous devons démolir ce mobile qu’on vous attribue.

— Parfait, mais comment ?

— Nous pouvons montrer que ça n’a servi à rien. A quoi bon détruire Jander ? On peut construire de nouveaux robots humaniformes, par milliers, par millions.