Выбрать главу

— Je crains que ce ne soit pas le cas. Aucun ne peut être construit. Moi seul sais comment les concevoir et tant que la colonisation par les robots restera une possibilité, je refuse d’en construire d’autres. Jander n’est plus et il ne reste que Daneel.

— Le secret sera découvert par d’autres.

Fastolfe releva le menton.

— Je voudrais bien connaître le roboticien qui en serait capable ! Mes ennemis ont fondé un Institut de Robotique, sans autre but que de découvrir les méthodes ayant servi à la construction du robot humaniforme, mais ils ne réussiront pas. Ils n’ont pas réussi jusqu’à présent et je sais qu’ils ne réussiront pas.

Baley fronça les sourcils.

— Si vous êtes le seul à connaître le secret du robot humaniforme, et si vos ennemis le cherchent désespérément, ne vont-ils pas tenter de vous l’arracher ?

— Si, bien sûr. En menaçant mon existence politique, en imaginant quelque châtiment qui m’interdirait de faire des recherches dans ce domaine et mettrait ainsi fin à ma carrière aussi, à mon existence professionnelle, peut-être espèrent-ils que je partagerai mon secret avec eux. Ils peuvent même me faire ordonner par la Législature de partager le secret, sous peine de confiscation des biens, d’emprisonnement, etc. Mais je suis bien décidé à subir n’importe quoi – n’importe quoi – plutôt que de céder. Seulement je ne voudrais pas avoir à le faire, comprenez-vous.

— Sont-ils au courant de votre détermination à résister ?

— Je l’espère. Je l’ai déclaré assez clairement. Ils s’imaginent sans doute que je bluffe, que je ne parle pas sérieusement. Mais je suis très sérieux.

— D’autre part, s’ils vous croient, ils risquent d’avoir recours à des mesures plus graves.

— Que voulez-vous dire ?

— Voler vos papiers. Vous enlever. Vous torturer. Fastolfe éclata de rire et Baley rougit.

— Je n’aime pas jouer au feuilleton en Hyperonde, dit-il d’un air pincé, mais avez-vous envisagé tout cela ?

— Mr Baley ! Premièrement, mes robots peuvent me protéger. Il faudrait une guerre totale pour me capturer, moi ou mes travaux. Deuxièmement ; même si d’une façon ou d’une autre ils y parvenaient, pas un des roboticiens qui s’opposent à moi ne supporterait de faire savoir à tout le monde qu’il n’a pu obtenir le secret du cerveau positronique humaniforme qu’en le volant ou en me l’arrachant par la force. Il ou elle perdrait complètement sa réputation professionnelle. Troisièmement, ce genre de chose est inconcevable à Aurora, ça ne s’est jamais vu. Le moindre soupçon d’une tentative de cet ordre contre ma personne retournerait immédiatement la Législature – et aussi l’opinion publique – en ma faveur.

— Ah oui ? marmonna Baley, en pestant à part lui sur l’obligation de travailler dans une civilisation, une culture dont il ne comprenait absolument pas la tournure d’esprit.

— Oui. Vous pouvez me croire sur parole. Tenez, j’aimerais qu’ils tentent un coup aussi mélodramatique. J’aimerais qu’ils soient assez incroyablement stupides pour faire ça. Et même, Baley, je voudrais pouvoir vous persuader d’aller les trouver, de vous insinuer dans leurs bonnes grâces, de gagner leur confiance et de les pousser à organiser une attaque contre mon établissement, ou encore de m’agresser sur une route déserte, ou tout autre forfait de ce genre qui, je suppose, est courant sur la Terre.

— Je ne pense pas que ce serait mon style, répliqua Baley d’un air toujours aussi pincé.

— Je ne le pense pas non plus, alors je n’ai aucune intention de chercher à réaliser mon souhait. Et, croyez-moi, c’est bien dommage, car si nous ne pouvons pas les amener à employer cette méthode suicidaire, ils vont continuer à faire quelque chose de beaucoup mieux, à leur point de vue. Ils vont me détruire avec des calomnies.

— Quelles calomnies ?

— Ils ne m’attribuent pas seulement la destruction d’un robot. C’est déjà assez grave et pourrait suffire. Ils chuchotent – ce n’est encore qu’une vague rumeur – que la mort n’est qu’une de mes expériences, dangereuse et réussie. Ils murmurent que je travaille à un système pour la destruction rapide et efficace des cerveaux humaniformes, afin que lorsque mes ennemis auront créé leurs propres robots humaniformes, je puisse, avec les membres de mon parti, les détruire tous et empêcher ainsi Aurora d’aller bâtir de nouveaux mondes, tout cela afin de laisser la Galaxie à mes alliés terriens.

— Il ne peut y avoir un mot de vérité dans tout cela !

— Bien sûr que non. Des calomnies, je vous dis. Et ridicules, de surcroît. Une telle méthode de destruction n’est même pas possible théoriquement et les gens de l’Institut de Robotique sont loin d’être sur le point de créer leurs propres robots humaniformes. Je suis absolument incapable de me livrer à une orgie de destruction massive, même si je le voulais. Je ne peux pas.

— Alors est-ce que tout ne s’écroule pas sous son propre poids ?

— Malheureusement, ça n’arrivera sans doute pas à temps. Cette affaire est peut-être grotesque, mais elle va probablement durer suffisamment pour retourner l’opinion publique contre moi et obtenir juste assez de voix à la Législature pour me condamner. Eventuellement, on reconnaîtra que toute cette histoire était ridicule, mais il sera trop tard. Et notez bien, je vous prie, que dans tout cela la Terre sert de bouc émissaire. L’accusation selon laquelle je sers les intérêts de la Terre est puissante et beaucoup de gens choisiront de croire à cette cabale, contre tout bon sens, uniquement parce qu’ils détestent la Terre et les Terriens.

— Vous voulez me dire, en somme, qu’un ressentiment actif contre la Terre est en train de se répandre et d’augmenter ?

— Précisément. La situation empire de jour en jour, pour moi et pour la Terre, et nous avons très peu de temps devant nous.

— Mais n’y a-t-il pas un moyen facile de réfuter tout ça d’un bon coup ? (Baley, en désespoir de cause, jugeait qu’il était temps de se rabattre sur l’observation de Daneel.) Si vous cherchiez vraiment à expérimenter une méthode de destruction d’un robot humaniforme, pourquoi en choisir un dans un autre établissement, qui risquerait de mal se prêter à votre expérience ? Vous aviez Daneel sur place, dans votre propre établissement. Il était à votre disposition, bien commodément. Est-ce que l’expérience n’aurait pas été pratiquée sur lui, s’il y avait une vérité dans toutes ces rumeurs ?

— Non, non, riposta Fastolfe. Non, je ne ferai croire ça à personne. Daneel est ma première réussite, mon triomphe. En aucun cas, sous aucun prétexte, je ne le détruirais. Il était tout naturel que je me tourne vers Jander. Cela sautera, aux yeux de tout le monde et je serais fou de chercher à faire croire que cela aurait été plus logique pour moi de sacrifier Daneel.

Ils s’étaient remis en marche et ils arrivaient presque à destination. Baley, la figure fermée, les lèvres serrées, gardait le silence.

— Comment vous sentez-vous, Baley ? demanda enfin Fastolfe.

— Si c’est à ma présence dans l’Extérieur que vous pensez, je n’en ai même pas conscience, murmura Baley. Si vous voulez parler de notre dilemme, je crois que je suis bien près de renoncer, si je peux le faire sans me placer dans une chambre ultrasonique de dissolution de cerveau. Pourquoi m’avez-vous fait venir, docteur Fastolfe ? s’écria-t-il passionnément, en élevant la voix. Pourquoi me confiez-vous cette tâche ? Que vous ai-je fait pour que vous me traitiez ainsi ?

— A vrai dire, répondit Fastolfe, ce n’est pas moi qui ai eu cette idée et je ne puis plaider, pour ma défense, que le désespoir.