Daneel, l’air songeur, regarda aussi autour de lui.
— C’est en effet plus compact que ce que j’avais supposé.
— Que tu avais supposé ? Tu n’es donc encore jamais venu ici, Daneel ?
— Non, camarade Elijah.
— Et toi, Giskard ?
— Moi non plus, monsieur.
— Tu as trouvé ton chemin jusqu’ici sans encombre, et pourtant tu ne connais pas cet endroit.
— Nous avons été bien informés, camarade Elijah, dit Daneel, puisqu’il était nécessaire que nous venions avec vous.
Baley réfléchit un moment puis il demanda :
— Pourquoi le Dr Fastolfe ne nous a-t-il pas accompagnés ?
Mais aussitôt il se dit, une fois de plus, qu’il ne servait à rien d’essayer de prendre des robots par surprise. Si l’on passait une question rapidement, ou à l’improviste, ils attendaient simplement qu’elle soit absorbée et puis ils répondaient. Jamais ils n’étaient pris de court.
— Comme l’a dit le Dr Fastolfe, expliqua Daneel, il ne fait pas partie de l’Institut et il a jugé qu’il ne serait pas convenable de venir en visite sans y avoir été invité.
— Mais pourquoi n’en fait-il pas partie ?
— On ne m’a pas dit la raison de cela, camarade Elijah.
Baley se tourna vers Giskard qui répondit immédiatement.
— Ni à moi, monsieur.
Ils ne le savaient pas ? Leur avait-on dit de ne pas savoir ? Baley haussa les épaules. Peu importait. Les êtres humains pouvaient mentir et les robots recevoir des instructions.
Naturellement, il était possible d’impressionner des êtres humains ou de les manipuler pour leur soutirer une vérité, si on savait les interroger avec assez d’habileté ou de brutalité, et les robots pouvaient être manœuvrés pour leur faire oublier leurs instructions, à condition d’être assez adroit ou dépourvu de scrupules… mais les talents n’étaient pas les mêmes et Baley n’en avait aucun en ce qui concernait les robots.
— Où aurons-nous le plus de chances de trouver le Dr Vasilia Fastolfe ? demanda-t-il.
— Voici son établissement, juste devant nous, répondit Daneel.
— On vous a donc expliqué où il était ?
— Le site a été enregistré dans nos banques de mémoire, camarade Elijah.
— Parfait, alors montrez-moi le chemin.
Le soleil orangé était monté dans le ciel ; il ne devait pas être loin de midi. Ils se dirigèrent vers l’établissement de Vasilia, s’arrêtèrent dans l’ombre du bâtiment et Baley frissonna un peu en sentant aussitôt la baisse de température.
Ses lèvres se pincèrent à la pensée d’occuper des mondes sans Villes et de s’y établir, des mondes où la température n’était pas contrôlée, était soumise à des variations imprévisibles, à des changements stupides. Et, remarqua-t-il avec une sourde inquiétude, la masse de nuages à l’horizon se rapprochait insensiblement. Il pourrait pleuvoir d’un moment à l’autre, laissant cascader des trombes d’eau.
La Terre ! pensa-t-il. Les Villes lui manquaient.
Giskard entra le premier dans l’établissement et Daneel étendit le bras pour empêcher Baley de le suivre.
Naturellement ! Giskard partait en reconnaissance.
Daneel épiait aussi, d’ailleurs. Ses yeux observaient le paysage avec une intensité dont aucun être humain n’aurait été capable. Baley était certain que rien n’échappait à ces yeux robotiques.
Il se demanda pourquoi les robots n’étaient pas équipés de quatre yeux également distribués tout autour de la tête, ou d’une bande optique qui l’entourerait complètement. Pour Daneel c’était impossible, bien entendu, puisqu’il devait avoir une apparence humaine, mais pourquoi pas Giskard ? A moins que cela ne provoque des complications de la vision que les circuits positroniques ne pourraient pas rectifier ? Baley eut un instant un vague aperçu des complexités accablant la vie d’un roboticien.
Giskard reparut sur le seuil et fit un signe de tête. Le bras de Daneel exerça une pression respectueuse et Baley s’avança. La porte était entrouverte.
Il n’y avait pas de serrure à celle de Vasilia mais (Baley s’en souvint brusquement) il n’y en avait pas non plus à celles de Gladïa ou du Dr Fastolfe. Une population clairsemée et la séparation assuraient l’intimité et, sans aucun doute, la coutume de non-ingérence aidait aussi. De plus, tout bien réfléchi, l’omniprésence des gardes robots était plus efficace que n’importe quelle serrure.
La pression de la main de Daneel sur son bras arrêta Baley. Giskard, devant eux, parlait à voix basse à deux robots à peu près du même modèle que lui.
Une brusque froideur frappa Baley au creux de l’estomac. Et si une rapide manœuvre substituait un autre robot à Giskard ? Serait-il capable de reconnaître la substitution ? Distinguer l’un de l’autre deux de ces robots ? Se retrouverait-il avec un robot sans instructions particulières de le protéger et qui pourrait innocemment le mettre en danger et réagir ensuite avec une rapidité insuffisante quand une aide deviendrait nécessaire ?
Maîtrisant sa voix, il dit calmement à Daneel :
— Ces robots sont remarquablement semblables, Daneel. Peux-tu les distinguer ?
— Certainement, camarade Elijah. Leurs vêtements sont différents et leur numéro de code aussi.
— Je ne les trouve pas différents.
— Vous n’avez pas l’habitude de remarquer ce genre de détails.
Baley regarda attentivement les robots.
— Quels numéros de code ?
— Ils ne sont pas facilement visibles, camarade Elijah, sauf quand on sait où regarder et quand, de plus, les yeux sont plus sensibles aux infrarouges que les yeux des êtres humains.
— Dans ce cas, j’aurais bien des ennuis si je devais les identifier, n’est-ce pas ?
— Pas du tout, camarade Elijah. Vous n’auriez qu’à demander son nom entier et son numéro de série à un robot. Il vous les donnerait.
— Même s’il avait reçu l’ordre de donner un faux nom et un faux numéro ?
— Pourquoi un robot recevrait-il un tel ordre ? Baley préféra ne pas donner d’explications.
D’ailleurs, Giskard revenait. Il annonça à Baley :
— Vous allez être reçu, monsieur. Par ici, s’il vous plaît.
Les deux robots de l’établissement prirent les devants. Derrière eux venaient Baley et Daneel, ce dernier ne relâchant pas son étreinte protectrice.
Giskard fermait la marche.
Les deux robots s’arrêtèrent devant une porte à deux battants qui s’ouvrit, automatiquement sembla-t-il. La pièce était baignée d’une lumière tamisée grisâtre, celle du jour filtrant à travers d’épais rideaux.
Baley distingua, pas très clairement, une petite silhouette humaine au centre, à demi assise sur un haut tabouret, un coude reposant sur une table occupant toute la longueur du mur.
Baley et Daneel entrèrent et Giskard derrière eux. La porte se referma, plongeant la pièce dans une pénombre encore plus prononcée.
Une voix féminine dit sèchement :
— N’approchez pas davantage ! Restez où vous êtes !
Sur ce, la salle fut illuminée par la lumière de midi.
Baley cligna des yeux. Le plafond était vitré et, au travers, il vit le soleil. Mais ce soleil paraissait curieusement atténué et l’on pouvait le regarder en face, même si cela ne semblait pas diminuer l’éclairage intérieur. Il pensa que le verre (ou toute autre substance transparente) diffusait la lumière sans l’absorber.
Il abaissa les yeux sur la femme, qui gardait la même position sur le tabouret, et demanda :