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Baley attendit quelques instants, mais elle n’ajouta rien à la négation.

— N’est-ce pas surprenant ? dit-il enfin. Il me semble que lui, entre tous les autres, devrait en faire partie.

— Il se trouve que nous ne voulons pas de lui. Ce qui est peut-être moins important, il ne veut pas de nous.

— N’est-ce pas encore plus étonnant ?

— Je ne crois pas…

Et puis, comme poussée à en dire plus par sa propre irritation, elle ajouta :

— Il habite dans la Ville d’Eos. Je suppose que vous connaissez la signification de ce nom, Terrien ?

— Oui. Eos est l’ancienne déesse grecque de l’aube ; comme Aurora était la déesse romaine de l’aurore.

— Précisément. Le Dr Han Fastolfe vit dans la Ville de l’Aube sur le Monde de l’Aurore, mais lui-même ne croit pas à l’Aube. Il ne comprend pas la méthode nécessaire d’expansion dans toute la Galaxie, pour convertir l’Aube en un grand Jour galactique. L’exploration robotique de la Galaxie est le seul moyen pratique de mener à bien cette tâche et il refuse de l’accepter… et de nous accepter.

Baley demanda lentement :

— Pourquoi est-ce le seul moyen pratique ? Aurora et les autres mondes spatiens ont été explorés et colonisés par des êtres humains, pas par des robots.

— Permettez-moi de rectifier. Par des Terriens. C’était un gaspillage, une procédure inefficace et maintenant il n’y a pas de Terriens à qui nous permettions de devenir de futurs colonisateurs. Nous sommes devenus des Spatiens, avec une longue espérance de vie et de santé et nous avons des robots infiniment plus variés et adaptables que ceux qu’avaient à leur disposition les êtres humains qui ont été à l’origine de la colonisation de nos mondes. Les temps et les circonstances sont absolument différents et aujourd’hui seule l’exploration robotique est réalisable.

— Supposons que vous ayez raison et que le Dr Fastolfe ait tort. Même alors, il a un point de vue logique. Pourquoi l’Institut et lui ne s’accepteraient-ils pas mutuellement ? Simplement parce que vous êtes en désaccord sur ce point ?

— Non, ce désaccord est relativement mineur. Il y a un conflit beaucoup plus fondamental.

Encore une fois, Baley attendit une suite mais elle n’ajouta rien à sa réflexion. Il ne jugea pas prudent de manifester son irritation. Il dit calmement, presque en hésitant :

— Quel est ce conflit plus fondamental ?

L’amusement qu’il y avait dans la voix de Vasilia perça quelque peu dans son expression. Cela adoucit ses traits et, pendant un instant, elle ressembla encore plus à Gladïa.

— Vous ne pourriez jamais le deviner, à moins qu’il ne vous soit expliqué, je pense.

— C’est justement pourquoi je pose la question, docteur Vasilia.

— Eh bien, Terrien, je me suis laissé dire que les gens de la Terre ont la vie courte. On ne m’a pas abusée, n’est-ce pas ?

Baley fit un geste vague.

— Certains d’entre nous vivent jusqu’à cent ans, en temps terrestre. Ce qui ferait… (Il calcula un instant.) Ce qui ferait dans les cent trente années métriques, peut-être.

— Et quel âge avez-vous ?

— Quarante-cinq ans terrestres ; soixante métriques.

— J’ai soixante-six ans métriques. Je compte vivre au moins trois siècles métriques de plus, si je suis prudente.

Baley écarta les bras et s’inclina.

— Je vous félicite.

— Il y a des inconvénients.

— On m’a dit ce matin même qu’en trois ou quatre siècles, on risque d’accumuler beaucoup, beaucoup de pertes.

— J’en ai peur, dit Vasilia. Et aussi d’accumuler beaucoup, beaucoup de gains. Dans l’ensemble, cela s’équilibre.

— Eh bien, donc, quels sont les inconvénients ?

— Vous n’êtes pas un savant, naturellement.

— Je suis un inspecteur. Un policier, si vous préférez.

— Mais peut-être connaissez-vous des savants, dans votre monde ?

— J’en ai rencontré quelques-uns, répondit Baley sans se compromettre.

— Vous savez comment ils travaillent ? On nous dit que, sur la Terre, ils collaborent par nécessité. Ils ont, au plus, un demi-siècle de travail actif dans le courant de leur courte existence. Moins de sept décennies métriques. On ne peut pas faire grand-chose dans ce laps de temps.

— Certains de nos savants ont accompli beaucoup en bien moins de temps.

— Parce qu’ils profitaient des découvertes que d’autres avaient faites avant eux, et parce qu’ils profitent de l’usage qu’ils peuvent faire des découvertes contemporaines des autres. N’est-ce pas ainsi que ça se passe ?

— Naturellement. Nous avons un milieu scientifique auquel ils contribuent tous, à travers les étendues de l’espace et du temps.

Exactement. Ça ne marcherait pas autrement. Chaque savant, sachant qu’il a peu de chances d’accomplir beaucoup de choses uniquement par lui-même, est forcé de contribuer aux travaux de tous, il ne peut pas éviter de faire partie du centre d’échanges. Ainsi, le progrès est infiniment plus grand que si cette collaboration n’existait pas.

— N’est-ce pas également le cas à Aurora et dans les autres mondes spatiens ? demanda Baley.

— En principe, si. Théoriquement. En pratique, pas tellement. Les pressions sont moins vives dans une société à longue vie. Les savants ont trois siècles, trois siècles et demi à consacrer à un problème. Alors l’idée vient que des progrès importants peuvent être accomplis durant ce temps par un chercheur solitaire. Il devient possible de ressentir une sorte de gloutonnerie intellectuelle, de vouloir accomplir quelque chose par soi-même, tout seul, de s’arroger un droit de propriété sur telle ou telle facette du progrès, d’accepter de ralentir l’avance générale plutôt que de renoncer à ce que l’on juge être à soi seul. Et l’avance générale est effectivement ralentie par cet état de choses, dans les mondes spatiens, au point qu’il est difficile de dépasser le travail effectué sur la Terre, malgré nos énormes avantages.

— Vous ne diriez pas cela, sans doute, si le Dr Han Fastolfe ne se conduisait pas de cette façon, n’est-ce pas ?

— C’est bien ce qu’il fait. C’est son analyse théorique du cerveau positronique qui a rendu possible le robot humaniforme. Il s’en est servi pour construire – avec l’aide du regretté Dr Sarton – votre ami robot Daneel. Mais il n’a pas publié les détails importants de sa théorie, il ne les a communiqués à personne, absolument personne. Ainsi la production de robots humaniformes est son exclusivité.

Baley plissa le front.

— Et l’Institut de Robotique s’est voué à la collaboration entre savants ?

— Exactement. Cet Institut est formé de plus de cent roboticiens de tout premier plan, d’âges, d’avancement et de talents différents, et nous espérons établir des branches dans d’autres mondes et en faire une association interstellaire. Nous avons tous fait vœu de communiquer nos découvertes ou nos hypothèses personnelles au fond commun, de faire de notre plein gré pour le bien général ce que vous faites sur la Terre par la force des choses, à cause de votre vie si courte.

 » Mais cela, le Dr Han Fastolfe s’y refuse. Je suis sûre que vous considérez le Dr Fastolfe comme un noble patriote aurorain idéaliste, mais il ne veut pas mettre sa propriété intellectuelle – comme il l’envisage – dans le fond commun et, par conséquent, il ne veut pas de nous. Et comme il détient un droit de propriété personnelle sur des découvertes scientifiques, nous ne voulons pas de lui… Je suppose que vous ne trouvez plus si singulière notre animosité mutuelle ?

Baley hocha lentement la tête puis il demanda :